Les priorités auxquelles doit s'atteler le prochain gouvernement en matière économique sont l'emploi et les salaires, l'équilibre budgétaire, la rigueur en matière de gestion des deniers publics et pause dans la consommation. Analyse...
Par Hédi Sraieb*
Si un accord se dessine pour nommer un gouvernement restreint de personnalités indépendantes, celui-ci, à n'en pas douter, aura fort à faire ! Il bénéficiera d'un état de grâce probablement assez limité. Sa règle d'or pour cette période encore indéfinie sera sans aucun doute la recherche de l'apaisement et le retour à un minimum de sérénité et de confiance. Une vraie gageure, dans ce contexte de suspicion généralisé qui pourrait se transformer en défiance à mesure que l'on se rapprochera des échéances électorales.
Bien évidemment nombre de questions restent en suspens. Reconduite du régime politique? Modalités du scrutin? Ordre de préséance (élections présidentielles ou législatives)? Toutes choses qui détermineront les comportements des forces politiques.
Mais tel n'est pas l'objet de ce papier qui cherche juste à entrevoir ce qui ferait non pas unanimité mais seulement consensus large sur les questions économiques et sociales. Il y aura toujours quelques troublions pour médire et fustiger. Essayons tout de même!
L'ordre des urgences (objectives) dicte aussi les priorités auxquelles doit s'atteler ce gouvernement dont la durée de vie ne dépassera pas douze mois voire un peu plus.
1- Calmer des tensions sociales qui n'en finissent pas de s'exacerber.
La spirale récessive étant à l'œuvre comme en témoignent divers indicateurs, le gouvernement serait bien inspiré en convoquant une grande Conférence sur l'Emploi et les Salaires. Les organisations syndicales et professionnelles seraient invitées à trouver par elles-mêmes les solutions qui conviendraient le mieux pour la période à venir. Très grossièrement cette conférence pourrait aboutir à des engagements de titularisation et d'embauche d'un côté, de modération salariale et promotionnelle, de l'autre.
Les régions déshéritées en continuelle révolte: ici manifestation de chômeurs devant le gouvernorat de Sidi Bouzid.
L'Etat (donnant aussi l'exemple) quant à lui prendrait à sa charge la mise en œuvre d'une politique de police de prix. D'évidence la lutte contre l'inflation avec l'assentiment de l'opinion pourrait prendre une toute autre tournure; intermédiaires et circuits spéculatifs étant connus.
2- Restaurer des marges manœuvre au travers d'un collectif budgétaire.
Les premières indications de la Loi de Finances de 2014 laissent entrevoir les premiers signes d'une politique d'austérité.
Le gouvernement actuel éprouve les pires difficultés (auxquelles il a d'ailleurs largement contribué) à réduire le déficit public, à contenir les fragiles équilibres extérieurs (besoins d'importations et de remboursements) en limite de rupture. Le gouvernement sortant a d'ailleurs annoncé le gel et le report de projets d'investissement d'infrastructures ou de développement dans les régions déshéritées.
Pourquoi ne pas lancer, alors, un grand emprunt national auquel toute la communauté nationale (celle de l'étranger incluse) serait «astreinte» à souscrire. Divers montages techniques fortement incitatifs sont possibles (adossés à une amnistie, à des avantages fiscaux ou autres contreparties). Cet emprunt aurait aussi l'avantage d'assécher le trop plein de liquidités qui circulent. On peut faire confiance à la Banque centrale de Tunisie (BCT) et au Trésor-Public pour imaginer un dispositif attractif qui puisse permettre de lever 3 à 5 milliards de DT. Une bouffée d'oxygène mais qui présenterait l'intérêt aussi d'un endettement de l'Etat en monnaie nationale et non plus en devises fortes comme compter le faire le pouvoir sortant. Sa mise au point, son lancement et sa souscription pourraient se faire en 6 mois.
3- Rigueur publique et ascèse collective: pause en matière de consommation.
L'idée est bien, ici, un temps d'arrêt dans la consommation aussi bien publique que privée. Ne disposant plus, à proprement parler de marges de manœuvre, ce gouvernement pourrait lancer une campagne «Sauvons le pays, achetons tunisien».
Il ne s'agit là que d'une mesure de bon sens et de salut public. Inutile de rappeler ici l'unanimité (indifféremment de la couleur idéologique et politique) des condamnations: du train de vie ostentatoire de l'Etat (voiture, essence, etc.), de la surconsommation de produits de grand luxe (voire de simple confort) devise-ivores, mais aussi, de la vente effrénée de produits illicites à vils prix importés sous le manteau et qui alimentent ce commerce parallèle. Une remarque cependant s'impose.
Il ne va sans dire ici qu'il conviendrait d'accompagner cette opération «Achetons National», par des mesures spécifiques et ciblées en direction des acteurs de ce commerce, n'étant pas tous – loin s'en faut –, des spéculateurs, mais bien plus souvent des citoyens en «économie de survie».
Cette politique, bien évidemment, serait précisément d'alerter sur la dangerosité des excès de consommation (publique comme privée) de produits importés qui se verraient ainsi et provisoirement freinés, surtaxés ou contingentés. La dissuasion est aussi un instrument légitime de politique économique, si collectivement consentie.
Certes ce gouvernement devra faire appel à des trésors d'ingéniosité pédagogiques tant les dénis seront nombreux et les comportements «après moi le déluge», légions.
Assurément ce gouvernement devra anticiper les fortes résistances qui ne manqueront pas de manifester leur opposition à ces entraves à la liberté...
Comme on le perçoit trois mesures simples mais qui nécessitent un doigté, disons-le, quasi hors du commun. Mais une politique vertueuse qui pourrait aussi enclencher une sortie – peut-être encore timide mais notable –, de ce lock-out de l'investissement privé qui désespère de voir une éclaircie dans le climat devenu délétère et exécrable des derniers temps.
Restons lucide, ce nouveau gouvernement provisoire n'aura pas l'occasion d'aller plus loin.
Croire ou faire croire qu'il pourra faire plus et mieux est, dans le meilleur des cas illusoire, une chimère... au pire une escroquerie intellectuelle.
La réforme fiscale attendra! Ainsi que toutes les autres mesures de salubrité publique.
Naïf, le propos? Je laisse les lecteurs et les politiques juger de ces propositions.
Qui dit mieux? Nous sommes tous preneurs.
* Docteur d'Etat en économie du développement.