Lettre ouverte au président provisoire de la république, Moncef Marzouki, qui a fait entrer l'extrémisme au Palais de Carthage et l'a même introduit dans les institutions de l'Etat.
Par Monia Kallel Mouakher*
Je suis de ceux qui respectent la hiérarchie, la discipline et les institutions de l'Etat.
Je suis de ceux qui étaient gênés de voir les trois présidents se faire renvoyer par les agents de la sûreté nationale.
Je suis également de ceux qui croient à la force du ressenti, et l'imprévisibilité du comportement humain, de ceux qui pensent que personne n'est à l'abri d'un moment-bourrasque qui balaye les plans et les idées les plus accomplis.
En un instant (d'un certain 19 octobre 2013), des agents de la sûreté nationale, venus assister aux obsèques de leurs camarades, écrasés sous un soleil de plomb, excédés de fatigue, de colère, et de chagrin crient «dégage», le célèbre slogan plus libérateur qu'insulteur.
La rhétorique salafiste pure et dure de «votre» Mufti
Cet instant, je l'ai vécu en écoutant quelques heures après (sur la chaîne nationale Watania 1) le Mufti de la République.
Le «dégage», je l'ai profondément pensé et je viens, par la présente, l'écrire à vous, M. le Président, qui avez choisi (?) de nommer ce personnage à ce poste. Passons sur son arrogance, sa brutalité, sa haine de Bourguiba, ses falsifications de l'Histoire de la Tunisie et de son histoire.
Il est, nous sermonne-t-il, «un prédicateur, un orateur et un savant», sorti de l'école zitounienne et nourri du savoir des cheikhs Fadhel et Tahar Ben Achour. Ces déclarations, taillées pour la circonstance, sont contredites par une rhétorique salafiste pure et dure.
Hamda Saied, le faux disciple de Tahar Ben Achour et vrai sympathisant d'Oussama Ben Laden.
Le hasard a voulu qu'avant de voir «notre» Mufti avec son beau costume traditionnel tunisien, j'ai vu sur le plateau d'une chaîne privée (à laquelle vous avez accordé plus d'une interviews) un barbu béret noir et qamis blanc qui se réclame d'Ansar Charia, et exprime ouvertement son allégeance au mouvement Al-Qaïda.
Mais, étrange coïncidence, le disciple de Ben Achour et le disciple de Ben Laden tiennent exactement le même discours: un discours mécanique, manichéen, accusateur et diviseur. Il y a le «nous» et le «vous» (habituels), le musulman et le laïc, l'islam vrai et l'islam pâle, dégradé.
Bourguiba, comme les Français (on est plus indulgent avec l'Amérique !!!) affirment l'un et l'autre (en usant des mêmes mots), a «réduit» l'islam à des «histoires», des «contes» comme si leurs «analyses» relevaient d'un rigoureux savoir, comme si les idéologues étaient plus crédibles que les conteurs, ou les politiques plus fiables que les fabulistes, comme si une religion, une culture ou une civilisation pouvait survivre à ses légendes, et ses structures imaginaires!!!
Des terroristes sur les plateaux de télévision
Je veux bien continuer à croire au «prestige de l'Etat», mais pouvez-vous m'expliquer, M. le Président, pourquoi et comment vous avez porté l'ignorance à nos écrans?
Pourquoi et comment un gouvernement qui prétend n'avoir aucun lien avec les terroristes et promet de les combattre protège-t-il leurs théoriciens, leurs sympathisants et leurs discoureurs?
Les Ligues de protection de la révolution, les "pasdarans" d'Ennahdha, au Palais de Carthage.
N'avez-vous pas noté, dans l'un de vos livres, que pour un Arabe, la parole est un acte et un engagement? Pourquoi et comment offre-t-on des tribunes à des individus qui viennent nous débiter des démonstrations frivoles fantaisistes pour minimiser la gravité de la situation qui est en train de coûter la vie à nos soldats (les barbus de Goubellat, nous dit-on, cherchaient des trésors enfouis dans la montagne, et le Mufti nous explique que «le terrorisme a commencé le jour où Bourguiba a enlevé le voile aux femmes et fermé la Zitouna»)?
Pourquoi et comment certaines chaînes de télévision accueillent-elles des extrémistes qui appartiennent à des organisations classées par les gouvernants dans la catégorie des terroristes sans que ces mêmes gouvernants, bien à l'affût, pourtant, des «médias de la honte», ne lèvent pas la moindre petite voix?
M. le Président, je veux bien croire au manque d'expérience des chefs actuels, à la difficulté de la situation (économique et sociale) à condition qu'on respecte ma mémoire, mes sentiments et l'intelligence de ce peuple qui, après avoir «dégagé» le dictateur, se voit gouverner par des politiques aussi sourds à ses aspirations, aussi irrespectueux de sa dignité et aussi prompts à s'abriter derrières les scénarios complotistes.
M. Ali Larayedh, le chef du gouvernement, ne trouve pas mieux, pour justifier les «pancartes» du «dégage» (brandies au bout de 80 minutes d'attente) que d'accuser certains «partis» d'avoir «préparé le coup», infantilisant ainsi les hommes qui veillent sur sa sécurité, et la nôtre, et qui protègent courageusement nos frontières...
Bilel Chaouachi, membre de l'organisation terroriste Ansar Charia, a l'honneur des plateaux de télévision: le terrorisme est devenue une opinion.
Quand il voulait sonder l'opinion publique, le premier habitant de Carthage et le fondateur de l'Etat tunisien, demandait à son tailleur, et homme de confiance, de lui rapporter ce dont parlent les gens. Permettez-moi, M. le Président, de jouer ce rôle et de vous dire que dans les marchés et dans les cafés, dans la rue et à l'université, l'histoire du «nouveau» Mufti est sur toutes les lèvres. Les commentaires sont plus ou moins sévères, plus ou moins construits mais tous semblent saisis par son intervention.
Alors, pourquoi, pourquoi, M. le Président, avez-vous permis à ce personnage de s'introduire dans nos familles et de tenir un discours le moins qu'on puisse dire est qu'il nous est étranger?
* Universitaire.