revolution 11 27Tunisiens, Tunisiennes, désertez les mosquées, déchirez vos cartes de partis, coupez la radio et la télé. Prenez une plume, un pinceau, un instrument de musique et écrivez, dessinez, chantez et riez, vous serez libres et heureux.

 

Par Karim Ben Slimane*

Les moins de 30 ans ne connaissent peut être pas le film culte ‘‘Easy Rider’’, magnifique ode à la contre-culture et à la subversion réalisé par l’iconoclaste Dennis Hopper en 1969.

Trois personnages magistralement incarnés par Dennis Hopper, Peter Fonda et Jack Nicholson traversent l’Amérique et découvrent sa face réactionnaire et hostile aux évolutions des mœurs et au vent de liberté. Les trois connaîtront le même sort, ils mourront victimes de l’intolérance et de la haine.

Easy Rider contre Free Rider

Les Easy Rider sont des prophètes de la liberté. Une liberté sans concession et sans nuance, celle qui fait valoir la différence et combat les dogmes reproduisant les rapports de domination et de pouvoir dans la société.

La révolution tunisienne a connu aussi des Easy Rider, ses prophètes de la liberté qui ont rêvé à une Tunisie sans compartiments, sans différences et une Tunisie pour tous. Qu’ils revendiquent le travail pour tous, qu’ils crient à l’absence de l’Etat et des services publics dans leurs quartiers, qu’ils enragent contre les bavures policières et les lois scélérates qui envoient des gamins en prison, qu’ils chantent «Legalize it», ou qu’elles demandent les mêmes droits que les hommes en matière d’héritage et de droits civiques, ceux qui ont battu le pavé le 14 janvier 2011 étaient des Easy Rider. A ce moment-là ils étaient unis par un rêve.

Dans un registre beaucoup plus prosaïque la science économique qualifie de Free Rider, passager clandestin en français, ceux qui profitent de services et de produits sans en payer le prix. Quand vous prenez le train sans payer vous êtes un Free Rider. Quand vous profitez d’une révolution à laquelle vous n’avez pas participé vous êtes aussi un Free Rider.

Aujourd’hui je pense que 3 ans après la révolution tunisienne, les Easy Rider sont tombés de leurs bécanes, à l’instar des protagonistes du film de Dennis Hopper, sous les coups des Free Rider.

Ce qui a nui le plus à la révolution tunisienne est que nous avons tué le rêve et l’utopie et nous nous sommes très vite occupés des choses de la vie, car il fallait bien manger et boire, me diriez-vous.

La révolution a été ravagée par le réalisme et le pragmatisme a tué le rêve et le romantisme. A peine Ben Ali chassé que les Free Rider se sont jetés les bras raccourcis sur le pouvoir. L’ivresse n’a que très peu duré, la gueule de bois qui s’en est suivie continue encore à nous donner la nausée.

Il faut toujours être ivre de liberté

La Tunisie est devenue moche et beaucoup de ceux qui nous gouvernent le sont encore davantage car ils sont incapables de s’unir dans le rêve et dans l’espoir.

Je revendique le droit au badinage, à l’impertinence, à la nonchalance, à l’irrévérence, à la rêverie et à l’ivresse. Car il faut toujours être ivre, comme le dit Baudelaire : tout est là et c’est l’unique question. Ivre de liberté.

Les partis politiques et les salons des intellectuels ne sont que les latrines modernes où à chaque instant on baise et puis on crache sur la révolution telle une catin à deux sous. Gouverner n’a rien de révolutionnaire. Il n’y a de révolutionnaire que l’acte qui choque et qui incommode, la parole qui tonne et qui assourdit et l’esprit libre et vagabond. Car le reste n’est que misère et indécence.

La colère n’est pas encore assez forte pour que tombent les masques, pour que le commerce de Dieu et de la Patrie tournent à la banqueroute. Il faut faire preuve d’audace et d’impertinence pour chevaucher de nouveau, comme des Easy Rider, les chemins de la liberté.

Mes chers concitoyens libres, désertez les mosquées, déchirez vos cartes de partis, coupez la radio et la télé. Prenez une plume, un pinceau, un instrument de musique et écrivez, dessinez, chantez et riez, vous serez libres et heureux. Surtout n’oubliez jamais : «Enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise» (Baudelaire, ‘‘Les petits poèmes en prose’’).

*Spectateur rigolard.