Le futur chef du gouvernement va essayer d'enrayer des tensions exacerbées, et ne pas céder aux poussées d'impatience du corps social ou des suspicions politiciennes qui ne manqueront de resurgir, tant les méfiances restent grandes.
Par Hédi Sraieb*
L'indépendant Mehdi Jomaâ, désigné par le dialogue national pour succéder à l'islamiste Ali Larayedh à la tête du gouvernement réunit, a priori, les qualités incontournables exigés par une opinion publique en manque de repères politiques et largement désenchantée par les derniers atermoiements de cette même scène politicienne: probité, compétence, indépendance et neutralité. Il est, en quelque sorte un «parfait technicien» qui, selon toute vraisemblance, s'entourera de congénères du même acabit. Un «gouvernement de compétences» qui devrait se tenir à égale distance des partis. Mais cela se peut-il vraiment? Improbable.
Voilà, pour les apparences extérieures! Alors un délai de grâce pouvant déboucher sur un climat politique quelque peu apaisé? Rien n'est moins sûr!
Exit donc la personnalité expérimentée au profit d'un béotien de la politique.
Endiguer la spirale récessive
Ce choix par défaut, fruit d'un dialogue national poussif (le mot est faible), n'est somme toute que la résultante, in fine, de rapports des forces instables et changeants au gré des intérêts tactiques et variables des formations politiques, parfois même des arrières pensées et humeurs de certains de leurs dirigeants... temporairement neutralisés.
In fine, car il s'agissait bien de trouver remède à deux ordres de considérations. Trouver une issue à la crise politique bien trop paralysante, inutile de revenir sur les péripéties. Trouver le moyen d'endiguer la spirale récessive, nombre d'indicateurs virant au rouge.
Urgence politique comme urgence économique et sociale éminemment partagées, mais perçues de manière très inégale selon les sensibilités et les jeux d'alliance du moment.
Toujours est-il que ce candidat de la dernière chance, répond bien à l'une des deux impérieuses nécessités: restaurer un tant soit peu la «confiance», tant au plan extérieur (partenaires et bailleurs de fonds) qu'au plan intérieur, celui de la communauté des affaires et des investisseurs de plus en plus en «stand-by».
La seconde trouverait sa solution dans le prolongement du dialogue national quitte à croiser le fer avec une Assemblée constituante peu disposée à se laisser dépouiller de sa légitimité, espérant de facto jouer les prolongations. Un nouveau bras de fer en perspective ! Sans aucun doute.
Les marges de manœuvre de ce gouvernement apparaissent donc étroites et limitées dans le temps. Il disposera peut être de la capacité de promulguer par ordonnances, s'évitant ainsi d'interminables débats. Dans quels domaines et secteurs et jusqu'où?
Rien n'a encore filtré. Mais force est de constater qu'il aura relativement carte blanche sur certaines questions économiques! Il est, à n'en pas douter, l'homme du moment: celui du besoin de rassurer et conforter la communauté financière internationale et dans sa foulée nombre de chancelleries inquiètes pour leurs intérêts.
Desserrer la contrainte du financement extérieur
Ce Premier ministre confirmera la signature souveraine de l'Etat sans sourciller, ne dérogera pas aux orientations de politique économique générale prises jusqu'ici, réaffirmant son acceptation totale et indéfectible aux réformes structurelles convenues.
Cela devrait d'ailleurs lui valoir un desserrement de la contrainte de financement extérieur, au grand soulagement d'une certaine élite politico-économique. Le versement des tranches gelées par les institutions internationales pourrait être débloqué et ce d'autant plus vite que ce nouveau Premier ministre promulguera le nouveau code des investissements (pourtant fort controversé). Continuité de l'Etat oblige, vous dit-on !!
Un temps mis à profit pour tenter d'enrayer des tensions exacerbées, mais probablement relativement court pouvant céder, à tout moment, sous l'effet d'une nouvelle poussée d'impatiente du corps social ou de nouvelles suspicions tacticiennes qui ne manqueront de resurgir tant les méfiances se sont cristallisées. Modulo, aussi une possible inefficience gouvernementale redoublée du fait du grippage des chaines de commandements des appareils d'Etat, passablement mises à mal ces derniers temps; la crise aiguë du secteur public n'en étant qu'un signe avant-coureur.
Une équation à bien trop d'inconnues pour esquisser la moindre prédiction!
Restons-en là pour l'instant. Mais si je pouvais me permettre un seul conseil au nouveau Premier ministre, ce serait l'inviter à relire avec une attention soutenue ''Le Prince'' de Machiavel (1513): un jeu subtil entre fortune (occasion propice) et virtù (qualités, personnelles). Sans aucun doute, des recettes utiles par les temps qui courent, qui explicitent avec force détails les façons dont la virtù (moyens, capacité effective) doit se doter et s'exercer pour réussir à maitriser la fortune (le devenir, la fin)
* Docteur d'Etat en économie du développement.