A l'occasion du 1er anniversaire du lâche assassinat de Chokri Belaïd, le ministre de l'Intérieur a cru bien faire en offrant en «cadeau», à la famille du martyr, le cadavre de Kamel Gadhgadhi, le meurtrier présumé, tué, mardi 4 février, à Raoued. «Nous n'avons pas besoin de cadavres, mais de la vérité», a répondu Basma Khalfaoui.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Basma Khalfaoui a décliné ce bien macabre présent en répondant, mercredi 5 février, sur les ondes de Mosaïque FM qu'elle est loin d'exiger l'application de la loi du talion et que la Tunisie, au contraire, a besoin de tous ses enfants pour la construction du pays, et cela grâce à leurs efforts et non par leur sang. Le sang, a-t-elle ajouté, a suffisamment coulé jusqu'ici avec le sang de Chokri, celui des soldats et même le sang de Gadhgadhi. Et à la correspondante du quotidien ''Libération'', elle a encore déclaré: «Nous n'avons pas besoin de cadavres, mais de la vérité.»
Loin de tout sentiment de vengeance, notre Antigone nationale administre là une belle leçon de dignité et d'humanité aux politiciens qui, au lieu d'élever le débat et de cultiver chez leurs concitoyens le sens de l'humain, misent, plutôt, sur nos bas et mauvais instincts.
Ce que Mme Khalfaoui réclame au ministre de l'Intérieur, c'est non pas davantage de morts et de deuils dans des familles tunisiennes, mais, seulement, la vérité sur l'assassinat de son époux. Vérité qui ne se limite pas, bien entendu, aux seuls noms des exécutants présumés, mais va bien au-delà pour nous révéler ceux des instigateurs et commanditaires ainsi que ceux de tous leurs complices qui ont trempé dans les meurtres de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi ou leur ont montré une complaisance injustifiée.
Mais si le ministre de l'Intérieur n'a commis, somme toute, qu'une faute de goût en parlant de «cadeau» à propos de la mort de Gadhgadhi, n'a-t-il pas fait encore davantage, ou pire, en présentant et, à sa suite, le porte-parole de son département, les terroristes tués mardi à Raoued comme les meurtriers de l'ancien dirigeant du Parti des patriotes démocrates unifié (Watad) et comme les égorgeurs de nos jeunes et vaillants soldats du Mont Chaâmbi.
N'est-ce pas là une conduite étonnante de la part d'un ancien juge chevronné? N'est-ce pas là, en effet, aller trop vite en besogne, enfreindre allègrement la procédure et désigner d'entrée de jeu et sans un procès équitable comme des coupables ceux qui ne peuvent être encore aux yeux de la loi que de simples présumés? Est-ce de cette manière que nous inaugurons la nouvelle ère du droit et de la justice après des décennies de dictature ou le fait du prince a souvent primé sur la loi?
Il y a là, sans aucun doute, faute contre la déontologie et contre la probité professionnelle. Certains journalistes et médias ont été, cependant, encore plus loin et ont ajouté à ces fautes une autre, non moins grave. En exhibant, mardi soir, à la télévision, les cadavres de certains terroristes – qui n'ont eu que le sort qu'ils méritaient, faut-il le rappeler? –, on a gravement porté atteinte à la dignité humaine et au respect dû aux morts, ceux-ci fussent-ils nos pires ennemis.
Même la guerre – et nous sommes bien entrés en guerre contre la lâche hydre du terrorisme – a ses règles qu'il faut respecter afin de ne pas tomber dans la barbarie que nous reprochons, à juste titre, à nos adversaires. C'est là, à bien voir, une question primordiale d'honneur avant tout.
* Universitaire.
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