Le mouvement revendicatif, qui s'est emparé de tous les corps de métiers durant les 3 années de la transition démocratique, confine à l'hystérie collective.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Deux ou trois faits, qui ont déplorablement marqué la semaine qui vient de s'écouler, méritent, incontestablement, commentaire.
Le commerce du sang des martyrs de la Révolution
Mercredi 23 avril 2014, l'Assemblée nationale constituante (ANC) a vécu une scène qui n'a fait que ternir un peu plus l'image déjà bien écornée de l'auguste Assemblée! Un député nahdhaoui, célèbre davantage par ses éclats de voix guignolesques que par un réel enrichissement des débats au sein de la Constituante, en a été le héros bien volontaire!
Faisant fi d'une décision du président de séance, l'homme du jour a pris la tête d'une délégation de parents de martyrs de la Révolution observant un sit-in place du Bardo et, bousculant le service d'ordre, a envahi bruyamment l'hémicycle. Il s'en est suivi une longue interruption des débats de la plénière qui était en train de discuter des articles de la future loi électorale.
Cris, larmes et sanglots des mères des martyrs sous le regard luisant de l'élu du peuple qui affichait une mine réjouie et s'époumonait à chanter l'hymne national d'une voix tonnante et tonitruante! Hystérie collective donc. Le tout, évidemment, sous l'œil impassible des caméras!
Pour engranger des voix dans la perspective des prochaines échéances électorales que ne ferait-on pas! Y compris, manifestement, faire honteusement commerce du sang des martyrs et des souffrances des blessés de la Révolution! Si la conscience morale n'est pas assez forte chez certains pour les empêcher de dépasser les limites de la dignité, n'y a-t-il pas un règlement intérieur à l'ANC pour sanctionner ce genre de fauteurs de troubles?
Instrumentalisation de la cause palestinienne
Dans le même but et aussi hypocritement, on n'a pas reculé devant l'instrumentalisation de la cause palestinienne et sa mise au service de l'image de marque de certains partis et hommes politiques. N'est-ce pas là le but de cette pétition qui circule actuellement parmi les constituants et appelant à questionner – certains espèrent même limoger – la ministre du Tourisme qu'on accuse d'avoir autorisé – une première dit-on – des touristes israéliens à entrer en Tunisie? Or, il est de notoriété publique que ce genre de visites, surtout lors de la période du pèlerinage de la Ghriba, n'a rien de nouveau. C'est même là une pratique secrètement tolérée que la Troïka n'avait pas remise en question ces deux dernières années.
Quelle signification doit-on donc donner à ces gesticulations factices, sinon apparaître dans le rôle du nationaliste arabe intransigeant sur les principes et prêt à en découdre – sur le seul plan rhétorique – avec l'ennemi sioniste ! On escompte par là de forts dividendes sur le plan électoral! Mais tabler sur la naïveté des électeurs pourra bien s'avérer dangereux le jour du vote!
Mais, les pétitionnaires dont il s'agit ici rêvent aussi par leur geste d'occasionner, accessoirement, quelques difficultés supplémentaires au gouvernement de Mehdi Jomaa dont on escompte secrètement l'échec. C'est là une manière de laisser entendre que l'échec n'est pas la marque de fabrique des seules deux formations gouvernementales précédentes conduites par le parti islamiste Ennahdha.
Que les difficultés souhaitées à l'exécutif actuel risquent de faire sombrer non seulement l'équipe de technocrates aujourd'hui aux commandes du pays, mais aussi et surtout la Tunisie dans son ensemble, est loin d'émouvoir outre mesure nos constituants à la légitimité devenue, pourtant, caduque depuis l'adoption de la Loi fondamentale.
Ne voit-on pas également à l'œuvre les mêmes machiavéliques desseins à Ben Guerdane, Tataouine et dans d'autres localités où, comme par contagion, l'on s'est mis soudain à réclamer, à cor et à cri, ici et maintenant, sa part légitime de développement? Pourquoi avoir attendu l'arrivée du gouvernement de Mehdi Jomaâ pour exposer des doléances si nombreuses après avoir observé, dans ces fiefs islamistes, un silence assourdissant durant les deux années de l'interrègne de la défunte Troïka?
Les instits font monter la mayonnaise
De tous les arrêts de travail qui touchent actuellement les divers aspects de la vie économique et sociale, les plus difficiles à admettre sont ceux qui concernent le monde de l'éducation et jettent régulièrement nos jeunes enfants dans la rue.
Que dire donc de celui déclenché, le jeudi 24 courant, par les instituteurs qui promettent de remettre cela au mois de mai et même, le cas échéant, de poursuivre crescendo le mouvement de protestation par une grève administrative lors des examens de fin d'année? Autant dire que l'on nous menace allègrement de prendre en otage, pourrait-on dire, l'année scolaire de nos chères têtes brunes!
Qui oserait contester la pénibilité de la fonction de maître d'école, principalement, dans les zones rurales – pénibilité pour laquelle les grévistes réclament une indemnité spécifique? Mais refuser, comme le font nos grévistes, les nouvelles méthodes de recrutement destinées à remplacer l'ancien concours du Capes et basées sur un contrôle objectif des connaissances des futurs enseignants, c'est cultiver la médiocrité pédagogique!
D'ailleurs, le moment est-il réellement bien choisi pour exiger de nouvelles indemnités alors que le pays est proche de la banqueroute? Nos pédagogues n'auraient-ils pas été plus inspirés s'ils avaient réclamé davantage de moyens pédagogiques, de matériels informatiques ou de bibliothèques de classe? Voire, principalement à la campagne, simplement des fournitures scolaires pour les plus démunis, des clôtures même pour nos établissements éducatifs, de l'eau courante et des toilettes, oui, des toilettes dignes de ce nom!
Mais, le mouvement revendicatif qui s'est emparé de tous les corps de métiers durant les trois années de la transition démocratique, et qui confine à l'hystérie collective, a fait perdre à la plupart d'entre nous le sens de la mesure, celui de la réalité et, pire, celui du civisme.
Autisme politique, égocentrisme à tous les étages de la société, corporatisme rigide et ruineux pour l'économie du pays, voilà les maux qui ont, hélas, remplacé les valeurs fondatrices de la Révolution, à savoir, Liberté, Égalité et Dignité!
* Universitaire.
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