En reniant ses engagements envers les énergies renouvelables, le gouvernement tunisien est responsable de la faillite de plusieurs sociétés de ce secteur.
Par Mohamed Chawki Abid
Les multiples recommandations, émises par des pays «amis» ou par des opérateurs en énergie (PO: power operator), prônent le recours à l'extraction du gaz de schiste et à l'importation du charbon pour produire nos besoins croissants en électricité. Mais, l'argument historique («le renouvelable est plus cher que le fossile») n'est plus valable, vu que l'électricité photovoltaïque revient à 150-200 millimes le kWh.
Briser la boucle de l'asservissement
Devenue compétitive suite aux évolutions technologiques, l'énergie éolienne et solaire bat les combustibles fossiles, et renvoie bien loin l'opportunité économique de l'électricité à base de gaz de schiste ou de charbon, nonobstant leur impact nocif sur l'environnement.
Tous nos politiciens, au pouvoir et dans l'opposition, de gauche comme de droite, gagneraient à cesser d'être intimidés par les géants mondiaux des hydrocarbures et à exhorter les autorités nationales compétentes à mettre au point des «technologies d'énergie renouvelable», adaptées à notre environnement climatique, viables économiquement et rentables financièrement.
Au vu du développement rapide des stations solaires en Europe (rendement moyen = 850Wh/Wc), la Tunisie devrait logiquement reconfigurer son plan solaire de par l'importance de son potentiel (rendement double de l'européen). Avec une moyenne d'ensoleillement de 1850 heures/an dans les régions du sud du pays, un panneau photovoltaïque unitaire (1m²) offre une capacité moyenne de 165 Wc (watt crête) et permet de produire 300 KWh/an.
Va-t-on encore attendre le feu vert des IBW & PO pour mettre à profit notre meilleure richesse naturelle et à engager notre transition énergétique?
J'espère que messieurs Mehdi Jomaa et Kamel Bennaceur cessent de jouer le jeu des IBW et des «Amis de la Tunisie» et se décident à briser la boucle de l'asservissement imposée à la Tunisie par les PO?
Photovoltaïque, en concurrence déloyale
Face à l'envolée de la subvention de l'électricité (en amont et en aval), pour plus de 3 milliards de dinars en 2013, le gouvernement tunisien semble être perplexe quant à l'encouragement de l'investissement dans l'autoproduction électrique par les énergies renouvelables (Loi N° 2009-7).
Cette tergiversation n'est plus légitime quand l'électricité fossile dépend d'un gaz payé en devises et que son coût de revient dépasse 250 millimes par KWh. Ceci est d'autant plus surprenant que les subventions allouées par l'Agence nationale de maîtrise de l'énergie (ANME) en faveur d'une installation PV produisant 5 MWh par an (capacité = 3 KWc) totalisent environ 2.500 TND, contre la compensation du prix de l'électricité fossile consommée à due concurrence pour environ 500 TND par an, soit 5.000 TND sur 10 ans.
Alors, comment l'Etat se permet-il de se priver d'une économie de subvention d'au moins 50%, si l'on ne raisonnait que sur 10 ans?
1) L'ANME use de toutes les subtilités bureaucratiques pour asphyxier les opérateurs dans les énergies renouvelables:
- Les installateurs PV n'ont pas été payés au titre des subventions (30% sur le coût d'investissement) pour plus de 6 à 9 mois.
- La subvention de 10% du Medrec n'a été payée en octobre 2013 qu'à 50%, alors que le règlement est censé être fait en 2011.
- L'ANME a indiqué que ce fonds est épuisé, et a promis de débloquer les restants dus dès son alimentation. Mais, en vain.
- L'ANME a décrété des procédures administratives trop fastidieuses, pour restreindre l'éligibilité aux subventions. A titre d'exemple, les installateurs doivent soumettre des photos de chaque installation et la photo du numéro de série de chaque module.
- L'ANME prétexte parfois le non-paiement pour des raisons techniques, même si le projet a été approuvé par la Steg.
- L'ANME ressemble de plus en plus à une boîte noire: aucune information, aucune délai, aucun engagement, aucune communication.
- Il est déplaisant de constater un refus de versement des subventions, conjugué à une invisibilité sur les échéances du report.
- Les installateurs attendent leur argent de 3 ans d'activité (reliquat 50%), devenant défaillant vis-à-vis de leurs banques.
- Suite au non-paiement des subventions, la situation des installateurs PV est devenue catastrophique les menaçant de faillite.
2) La Steg fait montre d'une résistance passive au déploiement du PV, par les actions suivantes:
- Indisponibilité des compteurs bidirectionnels, ce qui empêche la mise en service du système et le paiement de l'installateur PV. A présent, les retards sont devenus chroniques jusqu'à dépasser 4 mois.
- Institution d'une nouvelle procédure plus longue pour l'approbation de tous les systèmes résidentiels de plus de 5 kWc. A l'origine, l'approbation arrive au service public local; maintenant, elle doit préalablement transiter par le bureau de service régional.
- Mise en attente de l'approbation des projets MT (moyenne tension), empêchant les industriels de s'équiper en PV.
- Incohérence dans les permis et les inspections entre les différentes villes et localités.
- Retardement injustifié par la Steg du déblocage du crédit Attijari Bank en faveur de l'installateur PV, de plus de 10 mois.
Le gouvernement renie ses engagements
Visiblement, le gouvernement n'arrive pas à honorer son engagement en termes de subventions aux installateurs PV.
En reniant ses engagements envers le secteur des énergies renouvelables, il est le responsable de la faillite de plusieurs sociétés dans ce secteur, ainsi que du chômage de plusieurs de nos jeunes ingénieurs et techniciens.
La Steg semble prendre le PV comme une menace sérieuse, et tente de bloquer le déploiement de toute installation.
L'autorité compétente souffre d'un manque de leadership susceptible de résoudre les problèmes, qui s'accumulent de jour en jour.
Paradoxalement, la demande clientèle s'accroit, tant en résidentiel qu'en industriel, et ce, en raison des corrections haussières du prix de l'électricité fossile.
Le secteur photovoltaïque en Tunisie souffre de son propre succès, et la croissance enregistrée courant 2013 a rendu la bureaucratie cauchemardesque pour tous les acteurs du PV. Avec l'absence de vision entretenue au sommet de la gouvernance, la Steg s'active à ralentir l'implémentation du PV, le percevant comme une menace à son business.
Recommandations:
Comment le gouvernement envisage-t-il d'attirer l'IDE s'il renie ses engagements envers les promoteurs nationaux?
Le gouvernement doit honorer sans délai ses engagements envers les installateurs PV par le paiement immédiat de ses dus. On comprend bien que le gouvernement soit confronté à une insuffisance budgétaire, mais il a l'obligation de communiquer aux opérateurs PV sa nouvelle position et sa stratégie future. Il ne doit pas les ignorer et détruire la confiance résiduelle que les Tunisiens éprouvent envers lui. Les sociétés PV ne demandent pas l'aumône du gouvernement, mais elles exigent la tenue des promesses et la dé-complexification des procédures.
S'il ne parvient pas à honorer ses engagements, le gouvernement devra revoir sa stratégie et la communiquer sans plus tarder.
S'il est dans l'incapacité de subventionner le PV conformément à la Loi 2009-7, il devra réduire la subvention sur l'électricité fossile pour financer la subvention du PV, tout en maintenant un parallélisme équitable entre les deux sources énergétiques.
Le cas échéant, s'il entend supprimer toutes les subventions sur le fossile et le PV, il devra le faire sans tergiverser afin de mettre un terme au traitement déloyal dont souffre le secteur photovoltaïque.
Dans un secteur technologique, innovant, et à forte évolution, l'inertie du gouvernement est fatale. La situation du secteur photovoltaïque peut être le banc d'essai type pour juger de l'aptitude de tout gouvernement à résoudre notre épineux problème de chômage des cadres. Si le gouvernement s'enlise dans l'indécision et l'immobilisme, jusqu'à acculer un secteur aussi prometteur à périr, grand nombre de jeunes tunisiens perdront espoir de travailler honorablement dans leur pays.
*Ingénieur économiste.
NB: Le tarif du palier supérieur de la Steg est désormais environ 400 Mi le kWh, contre 285 Mi l'année dernière.
{flike}