L’absence d’une volonté politique, le désintérêt des opérateurs économiques et le manque d’organisation et de moyens des institutions de promotion handicapent la croissance des exportations vers le continent noir.

Par Abderrazak Lejri*


 

La faiblesse de nos exportations vers l’Afrique subsaharienne trouve une partie de ses raisons profondes, outre dans l’attitude timorée (à des exceptions près) de ses opérateurs économiques pour diverses raisons dont l’ignorance des potentialités, certains préjugés, etc., dans les liens historiques qui orientent le flux traditionnel du sud au nord de l’Europe (avec laquelle nous réalisons 80% de nos transactions) par soumission aux puissances tutélaires de l’Occident et bientôt du Moyen-Orient.

D’autres entraves tiennent à la conjonction de handicaps et de facteurs défavorables soulignant l’absence – en dépit des discours officiels – d’une véritable volonté politique se traduisant au niveau de la diplomatie, du transport et du secteur bancaire et d’une cacophonie du triptyque: Etat, chambres syndicales et agences d’appui à l’exportation.

A contrario, le Premier ministre turc Erdogan ou le roi Mohamed VI agissent en véritables VRP quand on sait que ce dernier a fait appel à environ 150 compétences de la diaspora installées à l’étranger en les dotant d’immenses prérogatives d’action et de moyens y compris des cartes de crédit personnelles plafonnées à 100.000$.

En Tunisie, les diplomates en poste, les fonctionnaires de la direction générale Afrique au ministère des Affaires étrangères et les responsables du Centre de promotion des exportations (Cepex) et du Fonds de promotion des exportations (Famex), qui se démènent comme ils peuvent pour encourager les missions de prospection, sont à considérer comme de véritables militants, eu égard à l’indigence de leurs moyens.


Indicateurs comparatifs de l’export en Afrique subsaharienne en 2010

Sans nous hasarder à comparer la Tunisie avec la puissance mondiale qu’est la Chine ni avec une puissance émergente comme la Turquie, nous allons nous en tenir à comparer les indicateurs caractérisant l’exportation avec ceux du Maroc, qui est certes trois fois plus peuplé que la Tunisie et dont la vocation africaine est davantage affirmée à travers son influence séculaire au sud du Sahara.

La faiblesse de la représentation diplomatique

La majorité de nos diplomates, à des exceptions près – qui dès la première mission deviennent passionnés de cette région – ne sont pas enclins à regarder vers l’Afrique subsaharienne, par négligence, mépris ou ignorance notamment de ses immenses potentialités économiques.

La comparaison du nombre de représentations diplomatiques n’est pas significative en elle-même car c’est le nombre de diplomates en exercice qui l’est davantage. Bien souvent, en effet, l’effectif de nos ambassades est réduit au chef de mission et à un conseiller, quand certaines ambassades en Occident ont des effectifs pléthoriques (l’ambassade à Yaoundé couvre à part le Cameroun quatre autres pays : le Tchad, le Gabon, la Guinée Equatoriale et San Tomé et Principe).

Le handicap majeur réside dans l’absence d’une volonté politique pour réorienter l’effort international vers un marché très porteur où nos entreprises ont toutes les chances d’agir en direct non en tant que sous-traitants d’opérateurs européens: notre diplomatie est en effet habituée aux circuits balisés imposés par la proximité géographique avec l’Europe et bientôt vers des pays moyens-orientaux qui n’ont pas le même schéma de consumérisme, de développement ou de collaboration.

De profondes réformes sont à entreprendre en matière d’organisation, de suivi et d’efficience des commissions mixtes, de la négociation, signature et ratification des conventions de non double imposition, et des procédures de visa et facilités d’entrée non seulement pour faciliter le déplacement des compétences tunisiennes mais aussi des visiteurs africains des pays où il n’ y a pas de représentation diplomatique de notre pays.

Si le Cepex a fait une relative mise à niveau qualitative de son portail d’information sur Internet, on ne peut en dire autant du site du ministère des Affaires étrangères qui, comme toute administration – en attendant la mise en œuvre d’un hypothétique système e-Gov – présente un déficit informationnel (un parcours du site Web montre des insuffisances sur les représentations de notre pays et au niveau des accords bilatéraux où beaucoup de liens ne sont pas fonctionnels: commissions mixtes , échanges, etc.)

La faiblesse du pavillon national

Le différentiel, qui explique l’écart du volume des affaires en Afrique subsaharienne avec celui réalisé par le Maroc, tient aussi à la couverture du réseau de connexions aériennes où la Royal Air Maroc (Ram) relie au hub de Casablanca 24 destinations selon 100 fréquences hebdomadaires (certains pays connaissent 5 fréquences hebdomadaires), alors que Tunisair ne relie que Nouakchott, Bamako, Dakar et Abidjan selon des fréquences bi hebdomadaires.

Cet état de fait pénalise le déplacement des opérateurs économiques tunisiens expliquant que, pour des contingences d’agenda, compte tenu de fréquences plus favorables sur la Ram par rapport à Tunisair, on soit acculé à voyager de Tunis vers Dakar via Casablanca sous le pavillon marocain en dépit de l’existence d’un vol direct sur le pavillon tunisien.

Ce handicap est dû au manque de vision et d’ambition de notre pavillon national, cartellisé avec Air France qui, habitué à une situation de rente que représentent les lignes avec l’Europe et la France en particulier, diffère depuis dix ans l’ouverture d’une ligne vers l’Afrique centrale (Douala) et d’une autre vers le hub de Nairobi, porte-ouverte vers l’Afrique de l’est et du sud.

Pour ce qui est du transport maritime, l’absence de lignes maritimes et la faiblesse des flux de marchandises font qu’un conteneur partant de Tunis vers l’Afrique centrale transite par l’Europe du nord et met plus de deux mois pour atteindre l’Afrique centrale, quand on sait que depuis des millénaires, à côté de leurs conquêtes terrestres, les Carthaginois ont sillonné les mers au-delà de la Méditerranée (en l’an 450 avant J.-C. le Mont Cameroun, deuxième sommet d’Afrique appelé aussi Char des Dieux fut découvert par Hannon).

L’incurie du système bancaire

Notre système bancaire souffre de plusieurs maux, attend une mise à niveau longtemps différée et représente déjà un frein au développement sur le plan national apportant peu de support au tissu des entreprises locales et n’a aucune stratégie de croissance externe à l’international sans parler des dommages causés par la corruption qui ont plombé et dénaturé son évolution pour le rendre asservi à un clan mafieux davantage intéressé par l’activité spéculative.

L’autre facteur favorable aux opérateurs marocains par rapport à leurs homologues tunisiens est la présence sur site d’institutions bancaires notamment Attijari bank et la Banque marocaine du commerce extérieur (Bmce) leur permettant une continuité de leurs flux d’opérations en matière de cautions, et de financement de leurs projets.

Le plus singulier en la matière c’est qu’une délégation d’hommes d’affaires tunisiens vers le Burkina Faso et le Mali a été accompagnée par une compétence d’Attijari Bank de Tunis pour leur proposer les services des filiales marocaines dans ces pays.

De jour en jour, Attijari Bank (avec 10 filiales africaines) et la Bmce avec 3  filiales directes et 10 à travers la prise de participation dans la Bank of Africa (Boa) procèdent à une pénétration majoritaire pour agrandir leurs réseaux quand nous, Tunisiens, n’avons pas trouvé mieux qu’une participation symbolique à la Banque congolaise de l’habitat (Bch) où un certain Imed Trabelsi est toujours actionnaire avec la complicité de la Banque de l’Habitat en Tunisie.

Quant au système des assurances, que dire d’autre sinon qu’il n’y a qu’une compagnie qui assure à l’export pour ce qui est de la responsabilité civile professionnelle exigible sur plusieurs marchés

La cacophonie des structures

Le Cepex est sous tutelle du ministère du Commerce qui interfère dans la majorité des décisions et n’arrive pas à s’émanciper de son approche administrative et qui, habitué à la coopération avec le nord dans le cadre de marchés de sous-traitance, n’a pas encore changé d’approche pour appréhender le marché spécifique africain dont le modèle économique est différent et son efficacité est loin de celle du Famex qui, grâce à son autonomie, est géré comme une entreprise privée.

En Afrique subsaharienne, son réseau de représentation est non seulement inexistant mais aussi non étoffé en compétences puisqu’il ne dispose que d’une agence à Abidjan ignorant dans la foulée toute l’Afrique anglophone.

La faiblesse des chambres syndicales et le télescopage avec les différentes chambres de commerce ne permettent pas d’envisager une stratégie d’export cohérente et efficiente.

Les facteurs aggravants

Le repli de la Tunisie en matière d’octroi de bourses aux étudiants africains (qui de retour au pays deviennent des fervents ambassadeurs de la Tunisie) est à comparer à la politique inverse du Maroc, dont 70% des 8.000 étudiants étrangers sont Africains et dont 85% sont bénéficiaires de bourses du
Royaume Chérifien.

L’autre handicap est l’absence de lignes de crédit pour le financement conditionné des projets à l’instar de ce qui est pratiqué par les pays développés, sans parler des investissements directs étrangers tunisiens quasiment absents ajoutant un facteur différentiel négatif pour nos exportateurs.

On peut y ajouter comme facteur pénalisant le faible recours des exportateurs tunisiens aux accords commerciaux et tarifaires qu’ils soient bilatéraux ou régionaux: Cemac, Comesa, Uemoa.

La Tunisie ne tire pas assez profit de sa position stratégique de relais de compétence en Afrique subsaharienne avec l’Europe d’une part (fournisseur de capitaux et de technologie) et les riches pays arabes (dotés de grandes capacités financières) d’autre part, pour asseoir une véritable coopération triangulaire.

Notre pays ne valorise pas assez son image de marque positive, le coût compétitif de ses produits et services et son expertise en ingénierie reconnue dans une région à fort potentiel, qui tout en abritant 13% de la population mondiale bénéfice de moins de 2% de l’investissement international et du commerce mondial.

On peut y ajouter le dumping des pays occidentaux qui, à travers les agences de coopération et de développement, telles que la très agressive Agence canadienne de développement international (Acdi) et l’Agence française de développement (Afd), voire directement, via leurs ambassades, octroient crédits et dons conditionnés par le choix de leurs entreprises.

Ainsi, les quelques opérateurs tunisiens en Afrique luttent à armes inégales, agissent en électrons libres en dehors de toute stratégie cohérente et ont besoin de plus de soutiens institutionnels efficients.

* Responsable d’une entreprise d’ingénierie totalement exportatrice.

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