A propos de la cabale des ténors du parti islamiste contre les médias, qui culminent par des attaques, sur fond de racisme anti-noir, contre la présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt).
Par Abderrazak Lejri*
La courageuse Néjiba Hamrouni à la peau d’ébène. Cette quadra, élue en juin dernier par ses pairs présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), fait l’objet d’ignominieuses attaques allant jusqu’à l’appel au meurtre sur les réseaux sociaux notamment par les islamistes pour son intransigeante position quant à l’indépendance des médias.
Najiba Hamrouni. Ph. Mongi Aouinet
Le racisme primaire d’une avocate voilée
Ces vils procédés matérialisés par un racisme primaire craché par une avocate voilée qui veut se faire une virginité auprès du parti islamiste Ennahdha trouve notamment son terreau dans le sentiment latent anti-noir de la société tunisienne.
Le gouvernement dirigé par le Premier ministre nahdhaoui Hamadi Jebali n’a pas cessé ses tentatives de mainmise sur les médias auto-libérés après la révolution en utilisant tous les subterfuges y compris l’intimidation et la violence contre les journalistes et dont la liste serait longue à établir.
Depuis la tentative avortée de nominations des responsables des médias nationaux en passant par le sit-in de 54 jours organisé pour le harcèlement des employés de la télévision nationale, il vient de commettre une nouvelle bourde en organisant unilatéralement une consultation nationale avortée sur la réforme des médias en l’absence des véritables professionnels à la manière du système Ben Ali.
En effet cette consultation a fait un flop suite au boycott par le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric) et le Syndicat de la presse et de la culture relevant de l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt), et le plus cocasse c’est que ce gouvernement autiste a voulu encore une fois passer en force en ignorant le rapport de près de 400 pages, diffusé deux jours plus tard, et où figure une analyse exhaustive et objective du secteur censée servir de document de référence à toute consultation nationale en la matière.
La voilée de fraîche date flirte avec les nouveaux dirigeants
L’avocate zélée Me Raja Mansouri – qui, grâce à son état de voilée de fraîche date, veut reprendre du service auprès des nouveaux dirigeants de la Tunisie – vient d’asséner des attaques d’un racisme primaire contre la jeune et vaillante présidente du Snjt, dans le sillage du démagogue en chef le ministre-conseiller Lotfi Zitoun. Ce dernier justifie la ridicule et saugrenue cession-privatisation des médias publics dont la télévision nationale pour non allégeance de la ligne éditoriale qui ne refléterait pas les composantes de l’opinion publique et l’équilibre des forces politiques légitimement élues!
Vu le soubassement éducationnel des dirigeants du parti islamique (en majorité des avocats), on comprend qu’ils prennent des libertés avec la simple arithmétique et l’affirmation selon laquelle le contenu éditorial de la télévision tunisienne ne reflète pas l’opinion de 60% des électeurs représentés par les députés de la troïka actuellement au gouvernement est une démonstration – si besoin est – qu’Ennahdha veut instrumentaliser les médias dans une campagne électorale continue et permanente jusqu’aux prochaines élections.
Le Rwanda, un pays bien tenu.
Le racisme anti noir est tabou en Tunisie1
Notre pays, qui a donné son ancien nom «Ifriquia» au continent africain et a aboli l’esclavage avant beaucoup de pays européens, en 1846, et a connu huit grandes périodes de métissage depuis 3.000 ans, n’en demeure pas moins pollué par un racisme latent anti noir comme il existe un antisémitisme non avoué que longtemps le régime carte postale de Ben Ali a voulu occulter.
Un de mes employés est noir issu d’une région du sud (ces communautés se trouvent essentiellement dans les oasis de Gabès, El Hamma, Jerba), et bien qu’il ne fasse pas l’objet de ségrégation de la part des autres employés, prenant cycliquement ses pauses-repas avec un des directeurs et un ingénieur, se voit interpeller de temps à autre par le quolibet de «Ya Labiadh» (le blanc, en arabe) plus politiquement correct que «Kahlouch» ou «Oussif» (noir), «Lasmar» (basané) voire «horr» (libre) par opposition à «abid» (esclave).
Les noirs en général, surtout depuis la relocalisation de la Banque africaine de développement (Bad) à Tunis amenant dans son sillage des populations de cadres sub-sahariens et les autochtones tunisiens d’entre eux vivent quotidiennement un racisme ordinaire non institutionnel émaillé de clichés tenaces dus essentiellement à l’ignorance et l’inculture.
Une jeune camerounaise en visite dans notre pays a écourté son séjour après avoir été caillassée gratuitement par des bandes de jeunes qui la harcelaient par le qualificatif «Kerdou, Kerdou » (guenon en arabe) alors que, vu sa sublime beauté, Naomi Campbell et Tyra Banks, pourraient aller se rhabiller! Quand on pense qu’au plan international, le premier mannequin de peau noire a été imposé par le couturier tunisien Ezzeddine Alaïa!
La minorité noire de Tunisie issue des lointains esclaves affranchis est rarement métissée étant repliée socialement sur elle-même, la mixité n’étant constatée à des exceptions près que lorsqu’il s’agit de stars du football ou d’artistes.
La réminiscence de pratiques aristocratiques anciennes de recrutement de la domesticité (valets, gardiens) fait que certains grands palaces de Djerba ont jusqu’à ce jour la manie de sélectionner uniquement des noirs pour les postes visibles de plantons et de personnel d’accueil en tant que décor insolite, exotique et folklorique sans penser un seul moment que c’est un acte insidieux de racisme.
Opérant en Afrique subsaharienne, je peux affirmer que là où je vais, on témoigne aux Tunisiens des marques spéciales d’amitié et de considération et que dans certains villages non habitués à voir des blancs, les quolibets «Musango» (blanc) fusent dans l’autre sens des bouches innocentes des enfants sans méchanceté.
Je peux aussi témoigner que les seuls travers que je connaisse aux populations noires sont ceux introduits depuis les occupations européennes au XVe siècle occasionnant les ravages de l’exploitation et l’esclavage suivis du partage au cutter de la conférence de Berlin avec l’avènement dans les années 60 après les indépendances, de potentats autochtones et de systèmes clientélistes à l’instar de la Françafrique.
Me Raja Haj Mansour.
Les leçons de l’Afrique noire à l’Afrique «blanche»
Les innombrables subsahariens de la Bad (microcosme qu’on jalouse à cause des quatre fois quatre climatisées et des caddies surchargés) et les étudiants noirs en Tunisie font constamment état de comportements racistes qu’il s’agisse des taxis2 qui ne s’arrêtent pas obligatoirement lorsqu’ils sont hélés ou font des remarques désagréables sans parler des comportements de certains agents de la police et des tracas gratuits qu’ils subissent à l’occasion des formalités de renouvellement de visas.
L’opprobre et l’ostracisme, dénonçant en France les habitudes culinaires des musulmans qui «égorgent les moutons dans les baignoires» et les «odeurs» évoquées par M. Chirac, trouvent leur pendant dans les dénonciations par les Tunisiens des odeurs inhabituelles jugées fétides du Ndolé, du porc-épic et que sais-je encore associés aux visiteurs d’Afrique noire.
Les Tunisiens ayant subi, il n’y a pas si longtemps, les clichés en Europe de «bédouins enturbannés chevauchant des dromadaires» ne doivent pas tomber dans la facilité d’assimiler les Subsahariens à des sauvages et devraient plutôt méditer en ces moments cruciaux où la Tunisie se cherche encore à trouver sa voie en matière de bonne gouvernance et pratiques démocratiques l’apport de l’Afrique noire dont citera ici quelques uns.
Il est un petit pays pauvre qui a vécu dans sa chair un traumatisme inégalé: le Rwanda.
Ce magnifique pays, malgré de profondes blessures (le génocide de 1994 s’est traduit par un million de morts et la destruction de toutes les composantes de l’Etat), vient de donner au monde en quinze ans une leçon de gouvernance et de transparence boostée par une croissance à deux chiffres en ayant réussi au passage sa justice transitionnelle grâce aux Gacaca (3).
Quand, en Tunisie, on s’empêtre dans des considérations savantes et de multiples consultations et commissions, l’Etat Rwandais a pris de simples mesures qui ont donné leur effet immédiat, dont celles-ci:
- en matière de réduction du train de vie de l’Etat, le parc de véhicules de fonction a tout simplement été liquidé du jour au lendemain à charge pour les hauts responsables qui désiraient continuer à jouir de leur usage de racheter leurs véhicules à titre personnel grâce à un prêt bonifié;
-pour ce qui est des nominations de hauts responsables, l’appel à candidature est fait via un portail internet en toute transparence;
- le terme savant de développement durable s’est traduit par une simple mesure interdisant l’emballage en plastique et l’utilisation du papier biodégradable, ce qui permet aux trottoirs fleuris de Kigali d’être plus propres que ceux de la banlieue chic de la Marsa!
- la disposition du port du casque par les motocyclistes – pourtant obligatoire depuis des années dans notre pays –, qui n’est appliquée qu’épisodiquement au gré du moment et de la volonté des agents de la circulation, est strictement appliquée au pays des mille collines où les motos taxis sont munis de deux casques dont un imposé au passager!
- un alcotest est effectué tous les samedis soir à la sortie des night clubs et les contrevenants se voient réquisitionner leurs véhicules et vont immédiatement en prison, ce qui a introduit l’habitude scandinave où un membre du groupe d’amis se dévoue pour ne pas boire d’alcool durant la soirée.
L’autre exemple est celui du Sénégal qui vient d’administrer une magistrale leçon de démocratie à l’occasion des dernières élections et dont le nouveau gouvernement se limite lui à 25 portefeuilles ministériels!
Bien des Tunisiens – compte tenu des clichés associés à l’Afrique – appréhendant les fléaux qui les y attendent – tombent amoureux dès les premiers voyages de ce continent sublime et généreux et communient avec ses populations autochtones aux multiples richesses culturelles.
En conclusion, je peux rassurer Mme Hamrouni, dont les qualités intrinsèques sont à l’opposé de la bassesse de l’avocate «blanche», maître Raja Haj Mansour, que, physiquement aussi, son joli minois est plus avenant que celui d’un blanc laiteux enturbanné de celle qui semble lui reprocher sa négritude!
Notes:
(1) Lire le témoignage de Affet Mosbah, tunisienne noire de peau, directrice de la communication de la société Cmc Paris.
(2) «Certains taximen descendent de voiture pour essuyer le siège que vous venez de quitter» (Mariam Ndaye, ‘‘D’Abidjan à Tunis’’).
(3) Gacaca: système de justice instauré en 2001 et inspiré de la tradition et le consensus culturel communautaire dans les villages.
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