Accueil » Ennahdha et la démocratie islamique : Une si difficile mutation

Ennahdha et la démocratie islamique : Une si difficile mutation

Ghannouchi-Etats-Unis

Les Etats-Unis et l’Union européenne misent sur une modernisation d’Ennahdha sur la base de la séparation du politique et du religieux. On est en droit de l’espérer… ou d’en douter.

Par Farhat Othman

Pourquoi y aurait-il, dans l’Occident supposé laïc, des partis estampillés démocratie chrétienne et pas de démocratie islamique ? La logique politique voudrait que la similitude ne soit pas impossible.

C’est la conviction de l’allié américain des islamistes tunisiens qui cherche à forcer la mue d’Ennahdha en un parti démocratique, une démocratie islamique en somme.

Cela ne se fait pas sans difficultés, les réticences étant grandes à réaliser la délicate mutation, prévue normalement au prochain congrès du parti annoncé pour très bientôt.

Douloureuse transformation

La question sera posée de revoir le règlement intérieur du parti afin de le délester de ce qui l’encombre aujourd’hui, le boulet dépassé de la prédication. Certes, on parle de la dévolution de ce pan de l’action militante aux associations qui seraient liées plus ou moins au parti.

Ce ne sera pas suffisant, car on ne sortira pas de la confusion, un parti politique n’ayant pas à se charger de la conscience des gens, en instrumentalisant qui plus est la religion à cette fin. La foi doit rester libre et indépendante de la sphère publique, cantonnée dans la sphère privée.

C’est ce que nombre de caciques du parti refusent encore, estimant que cela sonnera le glas d’une certaine conception de l’islam dont ils vivent : un moyen de contrôle de la société par la manipulation des esprits.

Si le parti sauve encore les apparences en s’affichant uni derrière son gourou, cheikh Rached Ghannouchi, il n’est pas moins traversé par des courants quasiment terroristes en termes de mental.

C’est le cas, par exemple, des milieux encourageant le jihad qui n’est, au final, qu’une invitation à l’insurrection armée contre l’ordre légal qu’on rejette au nom d’une légalité voulue transcendante. C’est bien sûr la notion sacralisée du halal interprétée à l’aune d’un paradigme saturé forgé par une jurisprudence (fiqh) dépassée.

Il s’agit bien d’une douloureuse transformation, en somme, un véritable séisme à enregistrer au prochain congrès ; le seul doute à ce sujet  ne concerne que l’étendue de la magnitude. Et l’on se demande légitimement si cela pouvait être une révolution mentale, rompant définitivement les liens du parti avec sa lecture caricaturale d’un islam dévergondé, muant d’une foi des Lumière en un culte obscurantiste.

Pour l’instant, le sûr est que la ligne suivie par Ghannouchi, consensuelle pour les uns, machiavélique pour les autres, a atteint ses imites. La pression est énorme désormais pour que le loup sorte du bois : ou il s’affiche un vrai démocrate, alliant l’acte à la parole, notamment en matière de libertés privées sur des questions sensibles, comme l’égalité successorale, l’homophobie, l’alcool ou le cannabis, ou il se découvre ainsi qu’il est soupçonné d’être réellement : un intégriste occulte.

Relecture inédite de l’islam

Si Ghannouchi est sincère, sa ligne consensuelle actuelle doit donc forcément se traduire en mesures radicales qui forceront fatalement les plus extrémistes du parti à le quitter. Cela concerne bien évidemment surtout des figures connues parmi les seniors; mais les faucons ne se recrutent pas moins aussi parmi de jeunes militants aguerris qui sont autant de cadors de terrain, pouvant se révéler encore plus intransigeants dans leur vision dogmatique de la religion que leurs aînés.

On le comprend bien, nos islamistes ont encore quelque difficulté à accepter la séparation des domaines privé et public, leur galaxie de pensée relevant de leur confusion. Or, ce dont ils ne se doutent pas, c’est qu’en croyant ainsi de distinguer de leurs opposants, versant dans un dogmatisme aussi intégriste que le leur par leur laïcisme, ils ne font que violer l’islam correctement interprété.

En effet, l’islam, s’il est de nature double, foi et politique dans le même temps, il prend toutefois bien soin de distinguer les deux domaines, le culte étant réservé à la vie privée et la culture au domaine public. Bien mieux, il est encore plus laïc que la vision des laïcs, en ce sens qu’il n’existe en islam aucun intermédiaire entre Dieu et sa créature pour la juger dans sa vie privée, seul Dieu étant habilité à le faire. Ainsi, la politique ne saurait s’immiscer dans la religion et vice versa.

C’est à une telle prise de conscience que devront se résoudre les modernistes au sein du parti religieux, eux qui ne réalisent pas assez encore le sens de ce qu’ils acceptent a priori comme étant une nécessité imparable pour durer sur la scène politique : la modernisation de leur mouvement sur la base de la séparation du politique et du religieux.

C’est que la confusion des sphères du culte et de la culture, bien que contraire à la saine compréhension de l’islam, n’est pas moins à la base de l’islam politique. De fait, les intégristes se distinguent des libéraux du parti juste dans le degré de cette confusion, totale chez les uns, modérée chez les autres, car même les plus libéraux ne se résolvent pas à accepter la totale séparation des deux sphères.

Que donnera alors le prochain congrès d’Ennahdha ? Une implosion à la manière de son grand rival ou une transfiguration salutaire avec le retour à l’islam des Lumières moyennant une relecture inédite mettant fin au travestissement subi par la lecture actuelle issue de la tradition judéo-chrétienne?

On le saura au dixième congrès si du moins le parti a le courage de faire face à sa destinée, ne le renvoyant pas sine die au nom de l’impératif de sauvegarde de son unité de façade qui fait sa force, celle d’un colosse aux pieds d’argile.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!