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Les Tunisiens, la dépression et la quête de bonheur

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La dépression qui est, semble-t-il, le lot de beaucoup de Tunisiens, en cette période post révolutionnaire, exprime une aspiration au mieux-vivre.

Par Fethi Frini *

Beaucoup d’entre nous croient déjà que rien ne va plus, que l’on continue ainsi à broyer du noir, pendant le plus clair de notre temps et, qu’enfin, la dépression, pour ne pas la nommer, parce qu’encore quelque peu tabou, serait en voie de devenir un véritable mal qui nous ronge au quotidien… Et, par les temps durs qui courent et, au train où vont les choses, rien en effet n’est moins sûr… C’est le mal de vivre, c’est la déprime qui s’installe et c’est la sinistrose qui perdure…

La dépression est devenue en effet depuis quelque temps déjà un problème majeur de santé publique. Nombre de personnes parmi nous autres en sont victimes, sans aller jusqu’à l’avouer haut et fort.

L’ère de la dépression

Certes, cette maladie est souvent difficile à diagnostiquer, reconnaissent nos toubibs, s’agissant d’un état mental pathologique se traduisant par un ensemble de symptômes plus ou moins handicapants pour le malade du genre insomnie, anxiété, angoisse, asthénie, etc. Néanmoins, sa généralisation préoccupe les milieux médicaux, considérant que de tels états dépressifs ne font que refléter un malaise social profond dont tout un chacun, d’ailleurs, aurait toutes les peines à en voir le bout…

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 121 millions de personnes dans le monde en seraient victimes. Rien qu’en France, quelque 15% des consultations dans l’ensemble des services des hôpitaux concerneraient des cas de dépression. Aux Etats-Unis, 19 millions d’Américains (6% de la population totale) seraient déjà sujets à des dépressions chroniques, 28 millions consommeraient des antidépresseurs et 15% auraient des tendances suicidaires sérieuses…

Sous nos cieux et en l’absence de statistiques aussi fiables, nous nous contenterons d’une révélation, faite il y a quelques temps, à un quotidien de la place, par le directeur d’un établissement psychiatrique connu, qui disait que pas moins de la moitié des Tunisiens seraient des déprimés… Oui, vous avez bien lu, pas moins de la moitié. Cette réalité est, pour le moins, inquiétante sinon accablante, au cas où la proportion se révélerait exacte…

Effectivement et contre toute idée reçue, le phénomène ne concernerait pas uniquement les sociétés occidentales. Loin s’en faut. Comme pourrait l’attester d’ailleurs la révélation déjà citée de notre psy national, les pays du tiers-monde sont également touchés. L’OMS considère, à ce propos, que les dépressions deviendront en 2020 le problème de santé n° 1 dans les pays en voie de développement. Le monde est ainsi entré dans ce que l’on a justement qualifié «l’ère de la dépression».

Un manque cruel de repères

A bien y regarder, les états dépressifs sont probablement inhérents à l’homme depuis des millénaires. Mais aujourd’hui, le danger réside dans leur caractère endémique. Ils deviennent, au même titre que la consommation de drogues, une pathologie de masse. Elle ne pourrait en aucun cas subir une quelconque mutation, à l’instar de la grippe A1H1, par exemple, et devenir une pandémie, fort heureusement.

Avec une personne déprimée sur deux, tout autour de nous, aucune chance d’y échapper, non? Ça se jouerait à pile ou face… Et si ce n’est pas moi, ce serait toi… D’autant plus qu’on estime que la dépression, jadis réservée a priori aux classes aisées, concerne, aujourd’hui, tout le monde : tous logés à la même enseigne, plus personne ne peut s’en prémunir ou alors se targuer d’y avoir échappé.

Comment expliquer ce phénomène? Pour beaucoup, notre société souffrirait entre autre d’un manque cruel de repères ou, tout au moins, d’en avoir perdu beaucoup… L’affaiblissement des croyances, les mutations profondes, sociales et culturelles, la démission ou l’absence d’autorités dignes de ce nom au sein de nos structures familiales et éducatives nous fragilisent et nous désorientent jusqu’à nous rendre éminemment vulnérables.

Les toutes nouvelles habitudes, sociales et culturelles, dont nous nous sommes imprégnées, au lendemain de cette sacrée révolution du 14 janvier 2011, tout à la fois moins contraignantes et plus permissives, sont aussi accusées de générer un mal de vivre diffus mais certain. En effet, la jouissance immédiate est devenue une norme, une philosophie de vie propre à notre société, disons largement admise dans bien des milieux insoupçonnés.

Un état dépressif généralisé

Vous vous êtes certainement rendu compte un peu de l’étendue et de la gravité de l’état dépressif généralisé, chez les uns comme chez les autres, tout autour de vous, de jour comme de nuit… A moins que vous vous croyez au-dessus de la mêlée, que vous portez constamment de grosses lunettes noires et que vous seriez alors au volant d’une grosse limousine noire, sans plaque d’immatriculation, au pare-brise verre fumé!… L’on tolère, en effet, de moins en moins toutes formes de frustrations ; l’on rejette tous interdits, pourtant nécessaires, paraît-il, à notre équilibre psychique… Il est vrai que notre psychisme, sérieusement malmené ces derniers temps, serait en pleine mutation et qu’une telle désorganisation ou qu’un tel chambardement du au déclin de l’influence de ces valeurs collectives sur l’individu, à en croire les observateurs avertis, n’est pas sans danger en l’absence marquée d’idéaux collectifs, de valeurs communes, de relations solides et d’autorités influentes…

Un besoin de vivre sereinement

Malgré cet état de fait, la dépression n’est pas une fatalité ou bien alors une malédiction… Si elle révèle certains travers de la modernité, sinon ceux propre à toute période post révolutionnaire, elle exprime aussi une aspiration au mieux-vivre, voire un besoin de vivre sereinement. Se questionner et se remettre en cause afin d’adopter des pensées positives qui permettent d’agir différemment et d’améliorer la possibilité de combler les besoins, de résoudre les problèmes et de s’adapter aux situations incontrôlables. Autrement, notre inlassable quête du bonheur, ce doux bonheur, ce sacré bonheur de continuer de vivre ici-bas, parmi les siens, serait certainement à ce prix. Voyez-vous? Au prix fort…

* Juriste.

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