Dans ce classement des pays victimes de fuites des capitaux, nos milliardaires tunisiens tiennent la pôle position (45% de leur fortune). Et cela continue. Une fuite qui équivaudrait au... budget annuel de l'Etat.
Par Henri Diacono*
Ta pauvreté était connue. Ou plutôt celle – quelquefois insigne et insupportable – de la grande majorité de tes citoyens. Ceux là même parmi lesquels quelques uns ont réussi à te débarrasser d'une clique de dirigeants mafieux.
Tunisie donc, ma Tunisie, on savait que depuis deux ans tu ne roulais pas sur l'or et qu'il te fallait serrer de plus en plus les cordons de ta maigre bourse ou continuer à tendre la main. On savait que depuis deux ans le coût de la vie, pour ton peuple, ne cessait pas d'amaigrir son porte monnaie déjà famélique.
Les coffre forts des riches, la maigre bourse des pauvres
Mais, ayant retrouvé ton honneur et ta liberté, on pensait, à juste titre d'ailleurs, que depuis le 14 janvier 2011, date mémorable s'il en faut, les coffre forts des riches et des voleurs laissés sur place, dans la fuite par les uns, ou cachés quelque part dans le pays par les autres ayant décidé de ne pas bouger, allaient servir à retrouver ne serait-ce qu'un peu de cette santé financière dont tu étais privée depuis si longtemps.
Mais que nenni ma pauvre Tunisie, ma terre et celle de mes ancêtres, tu es demeurée naïve et quelque peu utopique sur les valeurs humaines. Tout comme moi-même d'ailleurs. Et voilà que nous apprenons par le canal d'un canard du sud de la France (''Nice-Matin'') relayé par Kapitalis que 1.800 de tes lingots d'or – lecteur tu ne te trompes pas 1.800 – avaient quitté le pays sans encombre et illégalement, tout au long de plusieurs mois. A destination, après escale à Nice, Marseille, Orly ou Charles de Gaulle à Paris, de la péninsule arabique. Tiens, tiens, la région... paradisiaque pour les ignorants, les affamés des déserts pétroliers et le refuge supposé de ton dictateur déchu et de son épouse «bien aimée».
Selon "Nice Matin", près de 1.800 lingots d'or sont sortis illégalement de Tunisie jusqu'en avril 2012.
Je n'ai jamais eu à connaitre la pratique de la calculette mais quand même, je crois savoir, mon frère, sans m'être trompé, qu'il s'agit en quelque sorte de 74.000.000 millions de tes euros qui se sont évaporés. Ou si tu préfères 148.000.000 de tes dinars ou encore de 148.000.000.000 de tes «millimes» unité de monnaie locale que tu emploies, comme moi, le plus souvent pour boire un café ou faire tes achats ou bien encore en parler ou en... rêver.
148 milliards de millimes de dinars donc!
Et tout cela, selon le quotidien niçois, à l'issue d'une longue enquête, au nez et à la barbe de l'Etat Français, mais pas celui de ses douaniers. En effet ces derniers, tant à Nice qu'à Marseille, avaient été intrigués dès janvier 2011 par la fréquence qu'ils avaient eu à constater que l'or transitant devant eux, par tranches de 10, 20 voire 40 kilos, dans les bagages de passagers, deux à trois fois la semaine à destination du Moyen Orient. La destination finale de ces bagages précieux «considérés par l'Union Européenne comme une marchandise comme une autre, redevable simplement d'une déclaration aux douanes concernées»,n'étant pas la France, les contrôleurs français n'avaient pas à intervenir.
Mais ces derniers en ont informé leur Direction Générale à plusieurs reprises et celle-ci est restée à chaque fois muette. «Circulez, il n'y a rien à voir!». Du moins en ce qui concerne le territoire français mais on peut raisonnablement penser que cette même Direction a dû certainement aviser sa consœur de... Tunisie? De ton pays (débarrassé de la corruption disait-on) et le mien mon frère.
La fuite illicite de capitaux s'intensifie
Le plus extravagant et regrettable de cette histoire est que le quotidien français indique que le dernier des 150 transferts «intrigants», 12 kilos de métal précieux, a été repéré, à Nice, il y à moins de huit jours dans la valise d'un passager muni d'un billet Djerba/Istanbul. Il ajoute que dans les hautes instances financières de Paris, «ce dossier n'existant pas, le ministère du Budget faisait des recherches.»
Alors question : n'y a-t-il pas une convention entre la France et la Tunisie ainsi que des pays africains pour la saisie chez la première nommée, «des biens supposés mal acquis des dictateurs africains et arabe»? Pour sûr que l'on vous rétorquera mais «comment savoir que cette manne (qui correspondait justement au détournement fait en Tunisie par la Dame Ben Ali, née Trabelsi) lui était destiné.»
Alors que ce transit frauduleux avait été repéré dans la deuxième quinzaine de janvier 2011 par les douaniers français, peu après qu'ait été connu publiquement le vol de la «Régente de Carthage». Et qu'il aurait duré jusqu'en avril 2012. Ben voyons!
La dégradation des conditions sociales constitue la principale préoccupation des Tunisiens après la révolution.
Et ''Nice-Matin'' de conclure: «Le comble dans ce dossier, c'est que, pendant ce temps, en Tunisie, on vit à une ou deux reprises (le 21 mars 2011 notamment) M. Jalloul Ayed, ministre des Finances tunisien, féliciter à grand renfort de publicité ses fonctionnaires de l'aéroport de Tunis-Carthage... pour avoir effectué une saisie qu'il croyait record de lingots d'or: 13,4 kilos! Tel était le butin dissimulé dans ses bagages par un Tunisien qui s'apprêtait à pendre un vol pour Istanbul... Celui-ci, au moins, ne passa jamais par Nice, Marseille ou Paris!».
Ce n'est pas tout mon pauvre frère tunisien. Selon le site web tunisien Kapitalis citant Global Finance Integrity, «il est estimé, en janvier 2011, que la fuite illicite de capitaux tunisiens était de l'ordre de 1,16 milliard de dollars US par an pour la période 2000-2009, autrement dit environ 20 petits milliards soustraits à la communauté nationale.»
Toujours selon Kapitalis, un autre cabinet amerloque (ils sont forts pour examiner les étrangers mais pas les leurs), estime, dans une étude sur les «Fortunes mondiales en 2012», que les Tunisiens riches sont, en Afrique du Nord, ceux qui expatrient le plus, illégalement, leur fortune à l'étranger. Dans ce classement des pays victimes de fuites des capitaux, nos milliardaires tunisiens tiennent la pôle position (45% de leur fortune), devant leurs comparses marocains (seulement 30%). Et que cela continue. Une fuite qui équivaudrait au... budget annuel de l'Etat.
Mais alors, mon frère tunisien, je me demande qui est pauvre actuellement chez nous? Et dire que la révolte ou la révolution, comme toutes les révolutions et les révoltes, a fait table rase des escrocs et des voleurs et a mis (hélas) à la tête de notre nation qui se veut enfin intègre, bon nombre d'hommes proches d'Allah qui ont promis dans leur barbe de combattre et trucider la corruption dans nos murs.
Et bien frérot, une fois encore nous sommes mal barrés!
Une seule satisfaction. Ailleurs il en est certainement de même ! Mais cela, hélas ne nous donne pas à bouffer.
* Citoyen français d'origine tunisienne résident en Tunisie.