Pourquoi les patrons tunisiens ont-ils attendu les événements de Sidi Bouzid et l’appel pressant du gouvernement pour se mobiliser en faveur du développement régional et de la création d’emploi pour les diplômés? Zohra Abid
Les problèmes qui ont provoqué ces événements ne datent pourtant pas d’hier. On regrette que la solidarité citoyenne, dont se prévalent aujourd’hui nos capitaines d’industrie, n’ait pas fonctionné jusque là à plein régime. Cela nous aurait évité bien des complications.
Cela dit, on ne peut que se réjouir du début de mobilisation des hommes d’affaires tunisiens pour contribuer à l’effort national visant à réduire le gap séparant les régions côtières, où se concentre historiquement l’essentiel des activités économiques, et le reste du pays, laissé un peu à l’abandon, alors qu’il recèle d’énormes potentiels et opportunités.
Le gouvernement en appelle au devoir de solidarité
Mercredi dernier, le Premier ministre, M. Mohamed Ghannouchi, a réuni, au palais du Gouvernement à la Kasbah, sur instructions du Président Zine El Abidine Ben Ali, les membres du bureau exécutif et les présidents des unions régionales et des fédérations nationales de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica). Il a présenté la nouvelle stratégie de développement régional, décidée lors du conseil ministériel du 15 décembre dernier, et les a exhortés de mobiliser leurs compétences pour en assurer le succès.
L’impulsion du processus de développement régional et les créations d’emploi, particulièrement en faveur des diplômés du supérieur, constituent une priorité absolue pour la prochaine étape, leur a rappelé le Premier ministre.
Mettre la main à la poche
La nouvelle stratégie dans ce domaine, à laquelle a été allouée une enveloppe de 6,7 milliards de dinars, cible toutes les régions et, en particulier, celles intérieures, frontalières et sahariennes, ainsi que les quartiers populaires périphériques des villes et des zones rurales. Son principal objectif: créer le maximum d’emplois et procurer des sources de revenus aux populations.
Le Premier ministre a indiqué qu’une série de mesures complémentaires ont été prises, toujours en faveur de ces régions prioritaires. Ces mesures concernent la réalisation de complexes technologiques et industriels et la création de fonds et de sociétés d’investissement, notamment dans les régions ne disposant pas de ressources propres.
M. Ghannouchi a, d’autre part, insisté sur le rôle des hommes d’affaires, durant la période à venir. Des opportunités d’investissement dans les différents secteurs leurs sont offertes. Il ne leur reste qu’à mettre la main à la poche et à soutenir les efforts de l’Etat pour accélérer le rythme de croissance et aider à absorber la demande additionnelle d’emploi, notamment pour les diplômés du supérieur.
A la fin de la réunion, les membres du Conseil d’administration de l’Utica, notamment le président de l’organisation patronale, M. Hédi Djilani, ont réaffirmé leur pleine et entière disposition à contribuer au succès de la nouvelle stratégie de développement régional.
Battant le fer tant qu’il est chaud, le Conseil administratif de l’Utica a publié, le jeudi 6 décembre, un communiqué, où il appelle toutes les entreprises à accélérer la création d’emplois additionnels et à procéder immédiatement à des recrutements supplémentaires de diplômés du supérieur, pour atteindre un taux d’au moins 4% du total de leurs employés, en donnant la priorité aux chômeurs de longue durée et aux enfants issus de familles nécessiteuses.
Le Conseil a également appelé toutes les entreprises dans toutes les régions à renforcer davantage leur compétitivité, à travers la consolidation de l’encadrement, l’utilisation des nouvelles technologies et le développement des exportations, de manière à créer davantage d’emplois.
50.000 recrutements au cours des prochains mois
M. Djilani a-t-il trouvé que la publication d’un simple communiqué était une réaction minimaliste, qui risque d’être mal interprétée par l’opinion publique? A-t-il voulu exprimer avec plus de force l’engagement de ses pairs en faveur la stratégie nationale en faveur des régions? Sans doute, puisqu’il a tenu à donner une conférence de presse, le vendredi 7 décembre, au siège de son organisation, où il a réitéré les engagements de l’Utica à faire aboutir cette stratégie? «Nous essayerons, au cours des mois à venir, d’extraire 50.000 chômeurs du stock de demandeurs d’emploi parmi les diplômés du supérieur», a-t-il annoncé. Ce stock est estimé de 100.000 à 120.000, sachant que l’économie tunisienne ne parvient à absorber actuellement que 20.000 demandeurs par an.
Les chefs d’entreprises allaient se réunir entre eux, samedi, au siège de leur centrale patronale pour essayer de trouver des réponses rapides aux problèmes du chômage dans les régions. Des gouverneurs, des responsables du ministère du Finance et des universitaires devaient prendre part à cette réunion.
«Un suivi quotidien des recrutements effectués par les entreprises sera réalisé à travers une page sur le site de l’Utica afin de permettre aux journalistes et à l’opinion publique de suivre en temps réel les résultats des campagnes de recrutement lancées par les entreprises», a promis aussi M. Djilani. Qui a profité de l’occasion pour demander au gouvernement d’accorder davantage les réglementations et les dispositions fiscales aux exigences de la création d’emplois.
Traduire : réduire certaines charges fiscales ou les réorienter (par exemple vers la formation) de manière à encourager les entreprises à recruter davantage, et mieux, en recourant aux diplômés du supérieur.
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