Tout ce que vous avez voulu savoir sur Larbi Nasra sans avoir jamais osé le lui demander, l’énigmatique patron d’Hannibal TV le raconte dans un entretien à nos confrères d’‘‘Afrik.com’’. Une opération de communication rondement menée.


Contrairement à une rumeur persistante, Larbi Nasra n’est pas un vendeur d’armes. C’est une «rumeur, à laquelle il ne faut pas accorder plus de crédit que cela», répond le magnat de la télévision. «Qui peut se targuer d’avoir traficoté avec moi, de m’avoir vendu ou acheté des armes ou même de s’être saoulé avec moi?». Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches, mais, précise Nasra, «les gens qui réussissent ne sont pas forcément des voyous». La meilleure preuve, c’est lui-même.

Comment s’est-il enrichi?
Si ce n’était pas en vendant des armes, comment M. Nasra s’est-il donc enrichi?
Selon ses dires, le patron d’Hannibal TV serait un parfait self made man. «Jeune, j’ai tenu l’imprimerie de mon père que j’ai vendue après quelque temps. Avec ce pécule, je me suis installé à Tunis en créant ma société de promotion immobilière dont j’ai encore la patente. J’ai commencé par construire des appartements, cela a marché au bout de plusieurs années de travail, j’en tirais des revenus confortables, ce n’était pas des milliards non plus. A partir de cela, j’ai pu investir dans une société de négoce international, qui s’est pérennisée», raconte M. Nasra.
Celui qui est devenu un magnat de la télévision vendait des équipements d’électroménager et surtout de téléphonie fixe. Il a fait beaucoup d’affaires dans ce domaine en collaborant part exemple avec Alsthom, Alcatel, Thomson, et Siemens, mais aussi, dans une moindre mesure, Telefunken et Kelvinator pour les réfrigérateurs. Il était l’intermédiaire entre ces sociétés et quelques pays clients du golfe comme l’Irak avant la guerre et le Koweït, et se faisait son beurre en touchant des commissions.
De là à parler de fortune, il y a un pas que M. Nasra se garderait de faire. Sa fortune à lui, M. Nasra l’estime à 4 millions d’euros (7 millions de dinars), amassée «après 40 ans de carrière internationale suivie, à bosser nuit et jour sans relâche». Une bagatelle en somme, au regard des efforts consentis. «Je prenais l’avion au moins 10 fois par semaine, parfois 3 fois dans la même journée», dit-il.

Pourquoi Hannibal TV fait-elle est-elle déficitaire?
C’est avec ce pécule que le négociant international a commencé à s’intéresser à la production audiovisuelle par un petit projet en Egypte avec des gens très connus. Mais ça n’a pas marché. C’est ainsi que, fort de l’expérience gagné en Egypte, il a décidé de monter une affaire dans l’audiovisuel en Tunisie. «Je n’avais pas pensé à une chaîne, au départ je voulais juste une boite de production. En gros je comptais vendre des formats aux médias et à Sheikh Salah que je connaissais [patron, entre autres, de la chaîne musicale Rotana, ndlr]. Ce n’était pas pour moi, c’était pour mon fils Khaled. Moi, à l’époque je me plaisais dans le négoce international.»
L’homme d’affaires affirme avoir conservé son bureau de négoce international et faire encore quelques opérations. Il vaut mieux garder plusieurs fers au feu, sait-on jamais? D’ailleurs, Hannibal tv ne lui rapporte pas d’argent. En tout cas pas autant que le pensent certains. «Au contraire j’en arrive à y injecter de l’argent en plus», dit le magnat de la télévision qui affirme être «endetté jusqu’au cou avec la banque!»
On est libre de ne pas le croire. Mais, M. Nasra, qui dit employer 300 salariés dans cette affaire, précise cependant: «Ça ne veut pas dire non plus que je paye 100% des charges de ma poche, mais sur 2010 par exemple je suis en déficit de 900 millions [c’est-à-dire 900.000 dinars, ndlr].»
Ce déficit, M. Nasra l’explique par le système de prédation mis en place par l’ancien régime qui permet à Belhassen Trabelsi, via Cactus Prod, aujourd’hui héritée par Samy Fehri, de détourner le plus gros des recettes de publicité. Ce qui obligeait Hannibal TV à brader les espaces publicitaires à des prix vraiment bas. «Malgré ces efforts, cela ne couvre pas la totalité des charges fixes», explique M. Nasra. Qui ajoute: «Mes recettes couvrent à peu près 90% des dépenses liées au fonctionnement de la chaîne, il y a donc environ 10% à payer en plus.» Ce qui a obligé le patron de la chaîne de télévision privée à emprunter 1,5 million de dinars de la Biat pour palier ce déficit. «Ce n’est pas un secret, j’ai signé 15 traites», souligne-t-il.

M. Nasra victime des «magouilles de l’ancien régime»
M. Nasra, qui n’explique pas comment il a pu se faire attribuer une licence pour créer sa chaîne de télévision, se décrit comme «un homme pieux et honnête» et attribue ses difficultés aux «magouilles de l’ancien régime» contre lui, «à cause de ce qu’Hannibal tv osait montrer», c’est-à-dire, «les démunis, les oubliés du système», «les gens nécessiteux vivant en dessous du seuil de pauvreté».
«On est allé dans les régions et on ouvrait des brèches». Bref, la révolution tunisienne doit un peu beaucoup à Hannibal TV. Ce n’est pas nous qui extrapolons. C’est M. Nasra lui-même qui l’affirme. Et à l’en croire, il a été l’un des premiers déclencheurs de la révolution tunisienne. Et pour cause. «On était les seuls à montrer les violences et les révoltes dans les stades et autour, à éveiller les esprits des spectateurs et des intervenants qui vivaient dans des conditions exécrables et officiellement inexistantes en Tunisie, nous avions préparé cette prise de conscience, alors que la famille régente paradait en Rolls Royce et amassait par la force les milliards... C’était ça la première mèche de la révolution, les conditions sociales.»
Le patron de Hannibal TV s’opposait donc à Ben Ali, mais à sa manière, et sans vraiment que nous le sachions. Pour cela, il subissait les foudres des tracasseries habituelles du clan Ben Ali: racket financier et harcèlement judiciaires.
Ce n’est pas là exactement l’idée que les Tunisiens se font généralement de M. Nasra, dont l’alliance avec le clan des Trabelsi est connue de tous. Son fils n’est-il pas marié avec la nièce de Leila Trabelsi? C’est peut-être là un détail. A l’entendre M. Nasra n’était pas en odeur de sainteté au Palais de Carthage, mais alors «pas du tout, pas du tout».

Belhassen Trabelsi veut mettre le grappin sur Hannibal TV
«Leila Trabelsi me considérait comme un ennemi à abattre et je recevais des menaces très précises!», affirme M. Nasra. «On n’a jamais eu de rapports familiaux, c’était tout sauf ça. Quand j’ai su que la femme que mon fils allait épouser était parente de Leila Ben Ali, j’ai tout de suite refusé cette relation, et je lui ai dit: ‘‘Cette famille ne va nous apporter que du malheur, la proximité avec eux va nous exposer davantage à eux’’, mais il a tenu bon, il était amoureux…»
Que peut faire un père contre l’amour d’un fils? Qu’aurions-nous fait tous à sa place? Aurions-nous essayé d’empêcher le mariage notre fils, qui plus, avec la nièce de la «régente de Carthage»? Même un grand opposant à Ben Ali n’aurait pas osé le faire.
Preuve que les Nasra n’étaient pas ménagés par le clan présidentiel: Belhassen Trabelsi avait voulu un moment mettre le grappin sur Hannibal TV. L’épisode est croustillant et mérite d’être rappelé avec les mots même de l’intéressé. «J’avais embauché une présentatrice. Très vite, on est venu me dire de la licencier parce qu’elle aurait été la maîtresse de Ben Ali. J’ai ignoré l’avertissement et je l’ai maintenue à son poste, ça a fait un tollé. C’est ça des relations familiales pour vous? Si j’avais considéré Leila Ben Ali comme une alliée, j’aurais évité de la contrarier ainsi. Le retour de bâton n’a pas tardé. On m’a envoyé monsieur Boutar [Noureddine] de Mosaïque FM avec M. Rafaâ Dekhil, ministre de la Communication, pour monnayer mon entreprise qui allait m’être confisquée par rachat ou par la force. Ensuite, on m’est tombé dessus pour un contrôle fiscal, un contrôle Cnss. Les enquêteurs n’ayant finalement rien trouvé de frauduleux, on s’est rabattu sur mes crédits dans les banques. La Stb m’est tombée dessus en me mettant toutes mes traites d’un coup et m’a mis mes voitures en vente. Vous imaginez! Ç’en était fini de moi, ils m’avaient eu! En fait j’avais eu un prêt de 3 millions de dinars auprès de cette banque pour la chaîne. Bref, je me suis démené et j’ai réussi in extremis à sauver la mise, grâce à une banque privée, la seule qui a accepté de me prêter cette somme, à condition que je signe les traites cette fois à titre personnel.»
Finalement, la chaîne n’est pas tombée dans l’escarcelle de Belhassen Trabelsi. Ce dernier s’est contenté de racketter la télévision nationale via sa société de production Cactus Prod et de préparer le lancement d’une nouvelle chaîne Alyssa, qui devait être lancée en 2011 mais que la révolution ne lui a pas laissé le temps de réaliser.  

1 - Les propos de M. Nasra sont extraits de l’entretien qu’il a accordé à  ‘‘Afrik.com’’.

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