«Plus le mensonge est gros, plus il passe». L’article intitulé ‘‘Inric : les héritiers de Abdelwaheb Abdallah pour bâillonner les médias’’ paru dans Businessnews est la parfaite illustration de ce célèbre adage.


Cet article, signé par Nizar Bahloul, s’inscrit dans une campagne de dénigrement de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC), menée par tous les médias qui, hier encore, mangeaient dans les râteliers de Ben Ali et qui veulent, aujourd’hui, empêcher l’INRIC de mettre en place les cadres réglementaires et organisationnels nécessaires à la réforme d’un secteur pourri par les pratiques malsaines. Qualifier les membres de cette instance, dont les membres, y compris l’auteur de ces lignes, ont souffert de la mainmise d’Abdelwaheb Abdallah sur les médias… d’«héritiers de Abdelwaheb Abdallah» (!) dépasse toutes les limites de la mauvaise foi. C’est une faute de goût que les lecteurs avisés auront sans doute déjà relevée.

Nizar Bahloul a cru pouvoir demander mon départ de l’Instance, parce que j’ai écrit un édito dans ‘‘L’Expression’’ paru en août 2008 où je louais le bilan «globalement positif» du Président Ben Ali et où j’ai trouvé des excuses pour justifier les quelques interpellations musclées et des procès mal ficelés. Le ridicule, on le sait, ne tue pas.

En mettant le lien de l’article en question, l’auteur a permis aux lecteurs avisés – ceux qui ont fait des études supérieures et qui ont les moyens intellectuels de comprendre un éditorial politique – de découvrir sa supercherie : l’article «incriminé» tournait en dérision Ben Ali, raillait son système totalitaire et dénonçait la mainmise de son parti sur la vie politique dans le pays, au point de comparer le RCD au Parti communiste chinois.

Contrairement à Nizar Bahloul qui n’a pas saisi la portée subversive de l’article ou qui feint d’avoir compris exactement le contraire, les sbires de Ben Ali, eux, y ont réagi violemment, en exigeant mon départ de ‘‘L’Expression’’.

Raouf Cheikhrouhou, directeur de ce magazine hebdomadaire aujourd’hui disparu, peut témoigner de sa convocation par l’ex-ministre de la Communication, Rafaâa Dekhil, qui lui a intimé l’ordre de me licencier. Ce qui fut fait manu militari. Tout Tunis se souvient de cet épisode. Merci à Nizar Bahloul de m’avoir donné l’occasion de le rappeler, sinon je ne l’aurais pas fait, par humilité, car je déteste parler de moi, sauf pour me défendre.

Cela dit, j’invite les lecteurs à relire cet article dont voici le lien, et ils sauront le risque que j’avais pris en publiant, en ce temps-là, alors que mon accusateur du jour et ses alliés de toujours, faisaient leur miel en louant le génie des affaires des gendres, beaux-frères, filles et neveux du président déchu. On a certes fait disparaître des plateformes numériques, au lendemain du 14 Janvier, ces «articles» honteux, mais les traces restent, imprimées à jamais sur le papier, mais aussi, et surtout, dans la mémoire des Tunisiens.

Quant à ma relation avec Béchir Ben Yahmed, patron de ''Jeune Afrique'', où j’ai travaillé pendant douze ans en tant que rédacteur en chef délégué, et dont j’ai démissionné à deux reprises, en 1996 et 2006, elles sont si complexes que ni Nizar Bahloul ni qui que ce soit d’autre ne saurait en saisir les dimensions à la fois affective, professionnelle et morale. Dans cette relation, le respect dû à l’aîné mythifié se mêle souvent, chez moi, à la réprobation de certaines de ses pratiques en matière de communication politique.

Et je suis bien placé pour en parler, ayant souvent eu la malchance d’en payer les frais. N’est-ce pas Abdelwaheb Abdallah ? N’est-ce pas Oussama Romdhani ?

Nizar Bahloul croit m’«achever» en reproduisant le fac-similé d’une lettre que j’avais envoyée à des responsables d’entreprises pour leur demander d’inscrire ‘‘L’Expression’’ dans leur programme d’insertions publicitaires pour l’année 2008 et de souscrire des abonnements pour leurs directeurs et chefs de services, tout en soulignant «la haute tenue professionnelle» du magazine et la volonté de son équipe d’atteindre «une communication de qualité et un journalisme crédible et responsable».

Quel responsable de publication n’a pas écrit ce genre de courrier à des centaines voire des milliers d’entreprises. D’autant plus quand il s’agit d’un magazine nouvellement créé, comme ce fut le cas de ‘‘L’Expression’’ en 2008, et qui n’était pas encore inscrit sur les bases de données des annonceurs potentiels.

Nizar Bahloul, qui considère ce genre de courrier comme une atteinte à la déontologie journalistique, n’en a-t-il pas envoyé lui-même aux entreprises au moment du lancement de Businessnews, et même après ? Les chefs d’entreprises qui liront ceci en témoigneront et débusqueront l’imposture derrière cette posture de vierge effarouchée.

Reste le coup de grâce : le soi-disant plagiat dont je me serais rendu coupable dans un article paru dans le journal ‘‘Le Temps’’ du 16 janvier 2007.

Il s’agit d’un article d’une série qui en compte 29 sur le ‘‘Jihad des convertis’’. L’article incriminé, le 3e de la série, ‘‘Christophe Caze : de l’islamisme radical au grand banditisme’’ reprend les éléments biographiques du terroriste en question dans le site web du corps de police qui l’a arrêté. J’ai d’ailleurs déjà expliqué cela dans un article publié dans Kapitalis.

En voici des extraits qui rafraichiront la mémoire de mon accusateur : «Entre le 3 décembre 2007, date de mon entrée dans le groupe Assabah, et le 31 novembre 2008, date de mon départ forcé à l’instigation du ministre de la Communication de l’époque, Rafaâ Dekhil, j’ai eu droit à plusieurs campagnes de dénigrement dans la presse de caniveau, commanditée par les services d’Abdelwaheb Abdallah, et exécutées, comme tout le monde sait, par ceux qui émargeaient sur ses générosités Atce-esques, Afh-esques, etc.

L’une de ces campagnes a commencé avec une lettre anonyme m’accusant de plagiat (pas moins !) Et la machine du dénigrement de se mettre en branle, relayée par ceux et celles que tous les Tunisiens connaissent désormais.

On avait alors fait circuler une pétition dans les rédactions. Quand j’ai eu vent de l’affaire, j’ai demandé des explications au bureau de l’ex-Association des journalistes tunisiens (Ajt) où les agents de Ben Ali étaient majoritaires. Et c’est un collègue ancien de Dar Assabah, Ahmed Ben Abdallah, qui m’a apporté une copie de la lettre de dénonciation.

Le dénonciateur courageusement anonyme me reprochait d’avoir repris des éléments d’information sur la vie et le parcours d’un jihadiste français converti, un certain Christophe Caze, d’un rapport publié sur le site Internet du Raid, une unité d’élite de la police nationale française, qui avait participé à l’arrestation de ce dernier.»

Ces explications sont parues dans un article de Kapitalis intitulé ''Tunisie. Au secours, les «benalistes» reviennent (2)'', où je m’attaquais aux journalistes qui étaient, hier encore, à la solde de Ben Ali et qui, aujourd’hui, cherchent à prendre le wagon de la révolution en marche en criant plus fort que les autres et en essayant de créer un écran de fumée pour bien noyer leurs forfaitures dans la cohue, comptant sur l’amnésie des Tunisiens.

Par ailleurs, le PV de la réunion de la Commission de déontologie de l’Association des journalistes tunisiens – devant laquelle je n’ai jamais comparu, contrairement à ce qui est affirmé par Nizar Bahloul, pour la simple raison que je n’ai jamais mis les pieds au siège de cette association avant le 14 janvier… Ce PV est clair : le dossier est clos puisque les faits évoqués par la lettre anonyme sont infondés.

Merci encore à Nizar Bahloul d’avoir publié le fac-similé de ce PV et d’apporter ainsi la preuve indéniable de sa mauvaise foi et de sa tentative de tromperie.

Mon accusateur me reproche enfin de publier des bannières publicitaires de partis politiques sur Kapitalis – ce qu’il fait lui-même sur Businessnews – alors que je suis membre de l’Inric, l’instance qui a œuvré pour la publication du décret-loi interdisant la publicité politique. Là aussi, le reproche est presque risible.

Ma position sur ce sujet est connue. Je l’ai expliquée plus d’une fois dans des entretiens (Rtci, Radio nationale, etc.) : je suis opposé à la publicité politique. C’est moi, d’ailleurs, qui, le premier, a évoqué ce sujet lors des réunions de l’Inric. Et j’ai œuvré au sein de cette même instance pour faire aboutir le texte de décret-loi.

Ma position est la suivante : tant qu’aucun texte de loi n’interdit clairement la publicité politique, aucun média ne peut la refuser. Et pour cause : ces médias, qui offrent des espaces aux annonceurs et agences de pub, ne peuvent refuser de les vendre en l’absence d’une loi justifiant ce refus. Ce «refus de vente» légalement injustifié peut en effet leur valoir des poursuites judiciaires. Cette position a été expliquée clairement lors de l’audition de l’INRIC par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (HIROR). Et c’est ce qui a permis d’accélérer la promulgation du décret-loi interdisant la publicité partisane à partir du 12 septembre.

Tous ceux qui sont attachés à une information libre et crédible se réjouissent que ce combat ait abouti… Est-ce cela que Nizar Bahloul – et ses alliés d’hier et de toujours – reprochent aujourd’hui, à l’INRIC ? Dans ce cas, je m’en réjouis doublement.

Post-scriptum : les réformes du secteur de l’information passeront, n’en déplaise à ceux qui essaient de les empêcher. Elles passeront parce que le peuple qui a fait la révolution du 14 Janvier et qui a payé du sang de ses enfants la chute de l’ex-dictateur et de ses serviteurs zélés, ne laisseront pas les faussaires lui voler le fruit de son combat pour la liberté et la dignité.

Ridha Kéfi, directeur de Kapitalis