La Tunisie, habituellement présente au Festival du monde arabe de Montréal (Fma, 29 octobre-14 novembre), brille cette année par son absence. Une bouderie qui suscite quelques interrogations…  Sarra Guerchani, Montréal.


Comme chaque année, plus de 100.000 personnes sont attendus à l’événement: Québécois «de souche», immigrants et touristes. Pas moins de 21 spectacles de danse et de chant, environ 18 projections de films de fiction et de documentaires, et une vingtaine de conférences et d’expositions sur le monde arabe. Dans tout ce programme, pas l’ombre de la Tunisie et des Tunisiens!

‘‘Hobb Story’’ et Lotfi Achour étaient pourtant pressentis
Habituellement présente dans ce festival, la Tunisie brille, en effet, par son absence cette année. Lotfi Bouchnak, Walid Gharbi, Amine Hamza, Wajdi Cherif (et la liste est longue) sont déjà passés par le Fma de Montréal. Cette année, ils ont tous manqué à l’appel! Et pourtant, pour quelques dizaine de milliers de dollars, la troupe théâtrale de Lotfi Achour, aurait dû être présente cette année avec sa pièce à succès ‘‘Hobb Story’’.
«Nous étions en train de programmer ‘‘Hobb Story’’ pour cette 11e édition, mais ça a été annulé à la dernière minute», indique le directeur et fondateur du festival, Joseph Nakhlé. Il poursuit: «Pour assurer une présence pareille, il faut qu’il y ait une part de soutien financier du pays d’origine. Dans le cas contraire, nous ne pourrions pas nous en sortir. Ramener ‘‘Hobb Story’’ aurait pu nous coûter environ 70.000 dollars canadiens. Il faut prévoir une grande salle, une promotion, le séjour de la troupe, le transport, etc. Ce n’était pas possible pour nous de tout financer. C’est vraiment essentiel qu’il y ait un soutien financier ou logistique de la part des pays».
En effet, des groupes venus d’autres pays ont bénéficié de ce financement national. Par exemple, le groupe algérien Djmawi Africa, qui a assuré la soirée d’ouverture du festival, s’est vu payer les billets de transport par le ministère de la Culture algérien. Les dernières années, les chanteurs et musiciens tunisiens, comme Walid Gharbi, avaient obtenu un soutien financier du ministère de la Culture tunisien.



Joseph Nakhlé revient à l’absence de la troupe de théâtre tunisienne : «Nous avons vraiment tout fait pour les avoir avec nous mais on les relancera surement», assure-t-il. «Le spectacle (…)  n’a pas été annulé, mais reporté pour 2011, pour une seule et unique raison: les restrictions budgétaires du festival», affirme une source proche de la troupe. Qui ajoute: «D’ailleurs, bon nombre de spectacles ont sauté et pas seulement le nôtre».
Du côté du consulat du Tunisie à Montréal, aucune réponse sur les raisons de ce non financement d’artistes tunisiens. A la représentation de l’Office national du tourisme tunisien (Ontt) au Canada, «on n’était même pas au courant que le Festival du Monde arabe avait commencé», s’étonne Néji Guider, le directeur de l’Ontt. Etonnant pour un pays, qui souhaite promouvoir son tourisme auprès des Canadiens!

Le Maroc et l’Algérie ont répondu présents
Pourtant, les voisins de la Tunisie ont marqué leur présence cette année au Fma avec des groupes de chant et/ou de danse tels que Goya d’Arabie (Maroc), Flamenco Dziri (Algérie) et Djmawi Africa (Algérie).
Pour les projections aussi, une série  de documentaire sur le Maroc ‘‘Marahba bikoum’’ et ‘‘Aller simple’’, et un film algérien ‘‘La bataille d’Alger’’ ont été projetés … Une dégustation gratuite à même été proposée par les autorités marocaine après les projections.
D’autre pays du monde arabe sont bien représentés: la Syrie, le Liban, l’Egypte, etc. Et une forte présence de spectacles perses et Turc… «Non! Ce n’est pas une erreur de programmation dans un festival consacré au monde arabe», tient à se justifier Joseph Nakhlé. Il explique: «Nous ne faisons pas de la promotion de la culture arabe. Le mot arabe n’a pas de connotation raciale, ethnique ou autre. Je parlerais plutôt d’une culture arabo-musulmane et de culture universelle et mondiale parce qu’elle a influencé d’autres cultures et fut également influencée par d’autres. A Montréal, cette culture est méconnue. Elle était vécue comme une forme d’exotisme à travers le culinaire, le textile et la danse baladi, etc. Le Festival du monde arabe de Montréal invite les Occidentaux et les Orientaux à s’inspirer de la culture des uns et des autres, afin de créer un nouveau genre.»
Le fondateur du Fma insiste également sur un autre fait: «Nous ne faisons pas un redressement d’image, heureusement que le Fma a été créé avant le 11 septembre. Ça nous a évité bien des questions !»

Un nom qui porte à confusion
Néanmoins plusieurs personnes du public arabe pensent que le nom du festival porte à confusion et pousse aux amalgames. Sinaa, un Iranien venu à la représentation du groupe Québeco-iranien, ‘‘Eternel Kamancheh’’, avec ses parents, n’en pense pas moins : «Je ne comprends pas qu’on programme des concerts d’artistes iraniens dans un Festival du monde arabe. Déjà qu’ici les gens font souvent l’amalgame et nous prennent, nous autres Iraniens, pour des arabes. Allez expliquer à un Occidental que nous ne sommes pas arabes mais persans maintenant! Demandez juste à un Québécois dans la salle si l’Iran est un pays arabe, vous seriez étonné de sa réponse…», s’indigne-t-il. En effet, vérification faite, deux Occidentaux dans la salle on répondu faux à la question!   
Les Tunisiens sont beaucoup moins nombreux que d’habitude. «Je m’attendais à trouver des artistes tunisiens cet année, comme les années précédentes. J’ai vraiment beaucoup moins d’enthousiasme d’y aller. Mais j’y vais quand même pour voir des spectacles d’artistes connus, comme les frères Khalifé, car j’apprécie la musique de leur père Marcel. Et puis, franchement, j’y vais parce que c’est une occasion de sortir avec des amis», indique Mouna, une étudiante tunisienne installée à Montréal. Puis elle poursuit: «Il y a des Perses, des Arméniens et des Turcs, mais pas de Tunisiens… C’est bizarre! Et ça s’appelle le Festival du monde ARABE», s’exclame-t-elle.

Une certaine arabité québécoise
Chaque année, le festival attire plus de 100.000 personnes. Selon les organisateurs, 70% seraient des Québécois de souche, le reste appartenant à différentes communautés étrangères, principalement arabe, maghrébine et perse.  «Nous sommes heureux de venir chaque année découvrir les nouveaux spectacles et projections que nous propose le Fma. Ça nous permet de connaitre autrement les différentes cultures étrangères représentées», s’enthousiasment Pierre et son épouse Murielle, deux Québécois, au sortir du concert de Goya D’Arabie (Maroc).
En effet, le directeur du festival, est convaincu d’avoir changé quelques choses dans le paysage montréalais. «On a réussi à poser une certaine arabité québécoise, une certaine façon de vivre la culture arabe autrement qu’à travers les stéréotypes et le prisme du politique qu’on peut voir dans l’actualité», souligne t-il.
Même si l’objectif et la prétention du Fma est de montrer de nouvelles productions, «de revivifier le folklore qui est souvent figé et victime de regards péjoratifs. Cependant vouloir créer du nouveau n’est pas facile le résultat n’est pas toujours garantie», ajoute Nakhlé.
Les Tunisiens boudent peut-être le Fma cette année. Cependant, ce festival demeure une occasion de sortir, de découvrir de nouvelles créations artistiques et de s’ouvrir aux cultures de l’autre monde même si le but du festival est de ne promouvoir aucune culture auprès du public !

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