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''La Cantilena'' (1470) et ''Mai en fleurs'' (1672) : les plus anciens textes maltais enfin traduits en arabe tunisien (inédit). Exercice qui montre que la langue maltaise et sa généalogie sont essentiellement tunisiennes. 

Par Kamel Chaouachi*

Dans un publié par Kapitalis le 20 juin dernier ''Malte, si proche et si loin-taine de la Tunisie'', l'auteur interpelait les Tunisiens sur le fait que, malgré eux, ils n'avaient jamais eu l'occasion «de s'informer plus en détail sur la langue parlée depuis plus de 1000 ans dans l'île de Malte, située à seulement 300 km de leurs côtes et si intimement proche de leur langue dialectale»[1]. Aujourd'hui, il voudrait partager, à titre d'illustration de son propos, un essai inédit de traductions en arabe tunisien de deux poèmes historiques en langue maltaise.

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Le premier, datant du 15e siècle, est connu sous le nom de Cantilena (cantilène) et reste le plus ancien texte connu de la langue maltaise. Le second est un peu plus tardif (17e siècle) et son titre peut être rendu par «Mai en fleurs». La traduction proposée se veut littérale même si, pour diverses raisons liées à la complexité des matériaux, la tâche n'est pas toujours possible.

En effet, des tournures, laissées volontairement «collées» à la langue originale maltaise, pourront même paraître linguistiquement erronées: comme, par exemple, le mot «cœur» (calb) au féminin; «puits profonds» rendu littéralement par «puits approfondi» (bir imgamic); ou encore l'emploi du mot «waqa'a» (verbe tomber qui apparaît dans plusieurs vers au sujet de la maison du poète) au lieu de son équivalent plus proprement tunisien «taha» ou «inhara». Il faudrait aussi souligner que la Cantilena, en particulier, contient très probablement des fautes d'orthographe (non fixée à l'époque...) ou encore qu'un mot comme «halex» signifie aussi «parce que», ce qui pourra surprendre certains lecteurs non avisés.

A partir de ces exemples frappants et centraux relatifs à l'histoire et la civilisation de Malte, les Tunisiens (et arabophones en général), maintenant informés, sont libres d'apprécier par eux-mêmes la beauté des poèmes en question. Au-delà, ils pourront juger personnellement si, oui ou non, le maltais dérive de l'arabe (tunisien en particulier) étant donné que le débat académique – vieux de mille ans et en dépit des cinquante dernières années supposées relever d'une «prise de conscience»... – n'est pas véritablement clos. En effet, la parenté linguistique directe entre maltais et tunisien semble relever d'une vérité insoutenable, impensée ou impensable...

En ouvrant ces textes historiques à toutes et à tous, l'auteur espère également que les lecteurs n'hésiteront pas à proposer des traductions alternatives voire des interprétations personnelles.

A propos de la Cantilena

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Ce poème (cantilène), écrit autour de l'année 1470 par Pietro Caxaro et découvert par Godfrey Wettinger et Michael Fsadni il y a plus de quarante ans, est intéressant à plusieurs égards. Tout d'abord, c'est le texte le plus ancien en langue maltaise (Brincat 2008).

D'un point de vue purement linguistique, Cremona (1994) notait avec justesse que ce poème montrait que dès le 15e siècle, le matais possédait les mêmes structures linguistiques (phonologiques et grammaticales) que celles de dialectes arabes dans la Méditerranée d'aujourd'hui. Comme le Pater Noster (avec le terme «Missierna», père)[1], il ne comporte qu'un seul mot d'origine non arabe et encore une fois sicilienne («vintura») dans le vers n°17 («Min ibidill il miken ibidil il vintura»). Cette expression serait d'ailleurs un calque syntaxique et sémantique parfait du proverbe sicilien «Cui muta loco muta vintura» (Changer de vie, c'est changer d'existence) (Cassola 1994).

La tonalité ésotérique de la Cantilena n'est pas sans rappeler le soufisme. Ses sonorités sont typiquement tunisiennes. Il fut d'ailleurs longtemps mal compris en raison de mots typiques de ce dialecte arabe, révélant encore une fois les conséquences de l'absence de collaboration scientifique entre les deux rives de la Méditerranée quant à la question de la formation de la langue maltaise. Par exemple, des mots comme «mirammati» (mon chantier, i.e. celui, sous-entendu, de ma maison, encore en usage de nos jours en Tunisie...); «hayran» (inquiet, au sens amoureux surtout); «yeutihe» («il convient», «il est approprié» ; vers n°16); «sisen» (les bases, fondations de la maison); ont été longtemps mal interprétés et parfois mal traduits par les chercheurs spécialistes du maltais.

La lecture critique de Kabazi (1989) est instructive à cet égard. Si, tels qu'ils apparaissent dans la transcription, les mots du maltais embryonnaire restent «indéchiffrables» par un lecteur moyen tunisien, ils seront immédiatement compris dès que le contexte aura été explicité.

En effet, très souvent, ils trouvent leur source dans le lexique typiquement tunisien; ainsi de «sisen» (pluriel de «eses», «fondation») qui a fait couler inutilement tant d'encre...

A propos de «Mai en fleurs»

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Il s'agit d'un poème de type sonnet dont le titre est «Mejju gie' bl'uard, u zahar». Il fut écrit par Gian Francesco Bonamico vers l'an 1672 en hommage à Nicolau Cotoner, Grand Maître de l'Ordre de Malte. Etant donné sa nature pastorale avec des descriptions de la nature et du temps, il n'est pas surprenant que le vocabulaire y soit encore typiquement arabe.

D'un point de vue purement linguistique, Cowan (1975) a remarqué que ce poème consacre la flexion finale du «a», allongé ou non, en «a». Il s'agit en effet d'une différence avec la production littéraire précédente, comme, par exemple, dans la Cantilena où l'on trouve parfois un «e» final.

Le vers n° 12 («Kecu tepki el giuh phl lsira») reste incertain quant à sa signification. Les lecteurs sont invités à proposer leurs analyses personnelles.

 

Notes et références bibliographiques :

[1] Kamal Chaouachi. ''Malte, si proche et si lointaine de la Tunisie''. Kapitalis, 20 juin 2013.

L'auteur a préparé une étude de fond sur le sujet de la langue maltaise et sa généalogie essentiellement tunisienne. Elle est intitulée: «Malte vue de Tunis mille ans plus tard. Contribu-tion anthropo-linguistique au long débat sur la nature de la langue maltaise». Entre autres hypo-thèses, il y défend notamment celle de l'existence dans la Malte des 9ème/11ème siècles, de locuteurs de divers dialectes arabes laquelle expliquerait, au-delà du fonds essentiellement tunisien, la présence de quelques traits et tournures linguistiques proche et moyen-orientales. Un processus d'accommodation dialectale aurait eu lieu de manière assez précoce. La publication de cet important document a tardé en raison d'obstacles relatifs à la sensibilité du sujet dont les Tunisiens comprendront désormais les motifs... Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

L'auteur n'a pas hésité à interpeller les Maltais eux-mêmes dans leur seconde langue officielle qu'est l'anglais: Lettre à la rédaction: ''The Maltese-Tunisian Linguistic Link''. The Malta Independent, 30 June 2013.

Article: ''Malta as seen from Tunis, a thousand years later...''; The Malta Independent on Sunday, 16 June 2013, p. 21. 

Brincat, Joseph, 2008, "Malta", In: Encyclopedia of Arabic Language and Linguistics, Ed. Kees Ver-steegh. Leiden: Brill, pp. 141-145.
Brincat, Giuseppe, 1986, "Critica testuale della Cantilena di Pietro Caxaro", Journal of Maltese Studies, 16, p. 1-21.
Cassola, A, 1994, "Two Notes: Brighella and Thezan; The "Cantilena", Maltese and Sicilian Proverbs", Journal of Maltese Studies. 25-26, p. 58-66.
Cowan, W., 1975, ''Caxaro's Cantilena : A Checkpoint for Change in Maltese''. Journal of Maltese Studies, 10, p. 4-10.
Cremona, J, 1994, "The Survival of Arabic in Malta: the Sicilian Centuries", In: Source: ''The changing voices of Europe'' etc. : Papers in Honour of Professor Glanville Price. – Cardiff : University of Wales Press, p.281-294.
Kabazi, Fuad, 1989-1990, "Ulteriori considerazioni linguistiche sulla Cantilena di Pietro Caxaro", Journal of Maltese Studies. 19-20, p. 42-45.
Wettinger, Godfried, 1978, « Looking back on 'The Cantilena of Peter Caxaro", Journal of Maltese Studies, 12, p. 88-105.
Wettinger, Godfried & Fsadni, Michael, 1968, "Peter Caxaro's Cantilena; a poem in medieval Maltese", Malta.

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Source des illustrations: Saviomalti.