En cette période de crise, les députés tunisiens sont plus cigales que fourmis, et sur le dos du peuple tunisien. Gare à l’hiver révolutionnaire qui pourrait refrapper la Tunisie et qui ne fera, cette fois-ci, de cadeaux à personne.

Par Jamel Dridi


 

C’est sans doute l’un des dictons les plus partagés par la planète: «Il ne faut pas oublier d’où l’on vient». Mais apparemment, les députés de la nouvelle Assemblée nationale constituante (Anc) ont carrément oublié d’où ils venaient. Et c’est étonnant de leur part, notamment pour ceux qui, avant ces élections, croupissaient en prison ou vivotaient «presque dans la misère» avec l’aide de leur famille, de leur voisin ou des Tunisiens eux-mêmes modestes.

Ces députés feraient mieux de servir le peuple

En s’auto-augmentant de presque 100%, ces chers élus, qui ont déjà une rémunération représentant presque 10 fois le Smig ans leur pays, et qui savent pourtant la misère de nombreux de leurs compatriotes, ont trahi leurs électeurs.

La vice-présidente de l'Assemblée Maherzia Labidi coûte à l'Etat 190.000 dinars par an.

Et fait tout aussi étonnant qu’encourageant, car il montre la lucidité de la société civile tunisienne et du peuple tunisien, il y a une unanimité pour condamner cette augmentation qui devait se faire en toute discrétion. Qu’on soit pro Ennahdha, pro Pdp, pro CpR, pro El Aridha, etc., bref qu’on soit pro partis de l’opposition ou de la «troïka» au pouvoir, on pense tous la même chose, à savoir que ces députés feraient mieux de servir le peuple en avançant dans la rédaction de la constitution au lieu de se servir en augmentant de manière formidable leur salaire.

Et c’est vrai que ces députés n’ont rien fait pour arranger les choses. En effet, dans un silence presque religieux et une discrétion d’agents de services secrets, ils ont pour la plupart accepté cette augmentation. D’habitude, quelle que soit la question traitée à l’Anc, on avait droit au «cinéma» et au «théâtre» médiatique, soit que les élus de l’opposition quittaient brutalement la salle du parlement soit qu’un député de la «troïka» critiquait violemment en direct l’opposition en la traitant de zéro virgule (en raison de son faible score lors du scrutin du 23 octobre). Mais là, sur cette question, c’est l’union sacrée. Ni vu, ni connu. Mieux que le plus discret des sous-marins, peu de bulles, peu de remous à propos de cette augmentation. Pour une fois, tous ces députés tunisiens et tunisiennes (religieux ou pas) disent amen à l’augmentation.

Mustapha Ben Jaâfar, président d'une assemblée qui perd toute crédibilité.

Ah qu’on aimerait tellement voir cette entente sur tous les autres dossiers qui trainent et qui font souffrir le petit peuple, qui vit avec moins de 500 dinars par mois!

Des clowns médiatiques qui ne font pas rire

Certains députés allant même faire les clowns médiatiques en donnant des justifications surprenantes sur les raisons de l’augmentation. Avec 2.300 dinars, les députés n’y arriveraient pas. Certains, à cause de cela, frauderaient le métro. Si l’objectif est un peu de nous faire rire. Eh bien, c’est réussi. Mais juste pour info, à l’attention de ces députés: en Europe, en France par exemple, leur salaire correspondrait environ à 1.200 euros, ce qui permet à une personne de vivre correctement même si c’est un peu difficile alors que dire du même salaire en Tunisie où la vie est 3 ou 4 fois moins chère.

Une Assemblée pour rédiger une nouvelle constitution, dites-vous?

Les députés tunisiens ont raté une occasion de ne pas se décrédibiliser. Surtout, ils montrent à quel point ils sont déconnectés de la réalité et des attentes du peuple. Comment, en effet, peut-on maintenant demander à des employés publics qui touchent 400 dinars par mois d’arrêter leur grève et sit-in au motif qu’on ne peut pas les augmenter, car la situation économique ne permet pas à l’État de le faire quand au même moment des députés s’auto-augmentent fortement? Pourquoi les jeunes de Sidi Bouzid, du Kef ou d’une banlieue déshéritée de Tunis devraient arrêter leurs protestations, car ils vivent la misère et qu’ils réclament à l’État plus de moyens quand au même moment les députés arrivent à augmenter leurs salaires déjà élevés? Le budget de l’État est-il à géométrie variable?

Trêve de plaisanterie, en apprenant la nouvelle, la première pensée que l’on a c’est que le même théâtre qui existait sous Ben Ali recommence. Mais en pire, car cette fois-ci, les acteurs sont issus d’élections libres. Et c’est là où la déception est immense et l’on sait où peut mener la déception. Si les députés l’avaient oublié, ils n’ont qu’à regarder dans le rétroviseur. Et cette fois-ci, si le peuple devait redescendre dans la rue, si une nouvelle vague révolutionnaire frappait de nouveau le pays, il y a de grandes chances que tout soit terriblement emporté sur son passage.

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