Une guerre interne aussi violente que secrète a opposé plusieurs «généraux» de l’état-major d’Ennahda durant cette folle semaine. Le camp centriste a-t-il pu imposer finalement ses vues?

Par Jamel Dridi


 

C’est une règle sacrée chez Ennahdha : on ne lave jamais son linge sale en public. Contrairement à d’autres partis où les divergences éclatent publiquement, ce parti laissera rarement une trace médiatique de ses conflits internes qui sont pourtant plus nombreux et plus intenses qu’on ne le pense.

Ce fut d’ailleurs le cas il y a quelques jours à l’occasion d’une réunion d’une rare tension entre plusieurs cadres d’Ennahdha dont le ministre de l’Intérieur Ali Laârayedh.

Ali Laârayedh frappe du poing sur la table

Selon nos informations, ce dernier aurait tapé fortement sur la table une fois pour toute pour que cesse le flou qu’entretenaient certains membres de son parti autour de la question de la violence salafiste. Ce point de vue n’est d’ailleurs pas un secret. Ali Laârayedh a toujours été constant sur ce point en dénonçant l’exagération extrémiste de certains islamistes. Connaissant sans doute parfaitement la stratégie guerriere consistant à préparer la guerre pour avoir la paix, il a d’ailleurs plusieurs fois averti les groupes salafistes et le peuple tunisien que la confrontation avec les extrémistes djihadistes était proche et inévitable. Mais sans pour autant agir jusque là. Ce qui lui fut d’ailleurs plusieurs fois reproché.

Mais la semaine apocalyptique que la Tunisie a connu lui a fait hausser le ton et l’a décidé à passer à l’action. Sans doute conscient que la situation allait devenir incontrôlable en raison notamment de l’apparition de faux salafistes casseurs (ex-voyous ou Rcdistes manipulés), il a franchement démontré aux «dures» de son camp qu’Ennahdha allait bientôt payer la lourde facture interne et internationale de cette situation de rue anarchique et a exigé d’eux une plus grande fermeté vis-à-vis des dérapages extrémistes.

Les résultats visibles ont été immédiats. Les manifestations salafistes prévues le vendredi 15 juin ont été annulées et même celle voulue par Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, n’a pas été autorisée par le ministère de l’Intérieur. Arrestation depuis plusieurs jours de centaines de djihadistes ou de voyous déguisés en salafistes. Du côté des violences verbales, plus de tergiversations. L’imam de la Zitouna qui a appelé au meutre des artistes soi-disant  «blasphémateurs» est immédiatement limogé.

Le courage et le pragmatisme du ministre de l’Intérieur

Ali Laârayedh marque un point tant dans son camp qu’aux yeux des Tunisiens inquiets pour leur sécurité et a sans doute sauvé là son parti d’une faillite annoncée voire même, au moment où l’Egypte est victime de ce que l’on doit appeler un coup d’Etat militaire, d’un coup de force.

Pour certains même, la reprise en main de la situation par le ministre de l’Intérieur a sauvé la Tunisie du chaos sécuritaire. C’est un peu exagéré mais, fait plutôt rare ces temps-ci où l’opposition tire à bout portant et à l’arme lourde sur le gouvernement, des personnes comme Lazhar Akremi (proche de Béji Caïd Essebsi) et Issam Chebbi, du Parti Républicain, ont fortement salué le courage et le pragmatisme du ministre de l’Intérieur.

Paradoxalement, comme nul n’est prophète en son pays, les critiques à l’encontre de Ali Laârayedh ne viennent pas de l’extérieur mais d’une partie de son propre camp. Ainsi, certains radicaux qui vivent dans un nuage idéologique d’un autre temps ne comprennent pas le pragmatisme politique du ministre de l’Intérieur qui tente de sauver, par ce tour de vis sécuritaire, à la fois la paix sociale, la sécurité des Tunisiens, le tourisme et l’économie.

Ainsi, le congrès d’Ennahdha de la mi-juillet risque d’être un remake de meurtres (politiques) entre amis.

Comme d’habitude, il y aura sans doute peu d’échos des débats animés qui vont avoir lieu entre les deux tendances qui se dessinent au sein de ce parti. Ce qui est sûr c’est que cette crise interne aura été salutaire à plus d’un titre. Pour la sécurité en Tunisie d’abord mais aussi sans doute pour l’apparition d’un véritable pragmatisme politique au sein de ce parti qui n’avait jamais été aux commandes auparavant. Une tendance qui reste cependant à confrmer dans les prochaines semaines.

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