L’ex-conseiller de Marzouki dénonce, dans un entretien au ‘‘Nouvel Obs’’, l’hégémonie du parti islamiste Ennahdha, et l’opportunisme du CpR qui a «abandonné le combat et la révolution».
Ayoub Massoudi, qui a démissionné, le 28 juin dernier, de son poste de conseiller du président de la république, est poursuivi par la justice militaire pour «atteinte au prestige et à l’honneur de l’institution militaire». Son «crime»: il a déploré le fait que le ministre de la Défense Abdelkarim Zbidi et le chef d'état-major des armées, le général Rachid Ammar, n’aient pas informé le président de la république, qui est le chef des armées, de l’extradition de l’ancien Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi, opération à laquelle ils étaient pourtant associés. M. Massoudi a même demandé, dans un entretien à la chaîne Ettounissia TV, à ce que le ministre de la Défense soit limogé ou que le chef de l’armée soit relevé de ses fonctions ou placé en retraite anticipée.
L’opportunisme de Marzouki et du CpR
Dans son entretien au ‘‘Nouvel Obs’’, M. Massoudi n’est pas tendre avec le président Moncef Marzouki, qui «a perdu toute initiative politique et ne peut plus faire face à l'hégémonie du parti islamiste Ennahdha qui est en train de mettre la main sur les institutions de la république».
Le CpR, son parti, dont il a été exclu à la suite de cette affaire, est également vivement critiqué. «Le parti politique auquel j’ai appartenu a abandonné le combat, abandonné la révolution. Une forte envie de pouvoir s’est emparée d'eux», estime M. Massoudi. Il ajoute : «La priorité du président ou du bureau politique du CpR est de garder de bonnes relations avec Ennahdha parce qu’ils considèrent que le CpR n'a pas une base populaire suffisante pour faire face à Ennahdha ou Nida Tounes qui est en fait l’ancien Rcd reconstitué [ancien parti de Ben Ali]. Ils se considèrent comme un petit parti trop faible pour faire face à ces deux partis que je qualifie de cholera et de peste.»
M. Massoudi va plus loin en comparant l’opportunisme politique du CpR à celui de certains dirigeants de l’opposition qui s’étaient, jadis, ralliés à Ben Ali, avec les dégâts que l’on sait. «Un des ministres CPRiste m’a expliqué que le moyen le plus intelligent est de trouver sa place aujourd’hui avec Ennahdha pour ne pas les laisser gouverner seuls», raconte-il. Il ajoute: «Ce qui est triste c’est qu’à l'époque de Ben Ali il y avait des partis politiques qui tenaient ce même discours; ils affirmaient que face à un régime aussi puissant il fallait essayer de réformer de l’intérieur en se liant à lui. Mais on a vu à quelle catastrophe cette philosophie nous a menés. Aujourd'hui, ils font les mêmes erreurs: ils décorent un désert démocratique, le meublent et servent d’alibi laïc à un nouveau régime dictatorial, théocratique. J’ai peur qu’une révolution éclate, une révolution plus violente et sanguinaire. Ces trois partis politiques (Ennahdha, CpR et Ettakatol, Ndlr) se sont écartés de la révolution et de ses objectifs et sont en train de tout faire pour s'éterniser au pouvoir.»
Les racines de l’ancien système conservées
M. Massoudi brosse un tableau sans concession de la situation actuelle en Tunisie, huit mois après l’accession au pouvoir de la «troïka», la coalition tripartite dominée par Ennahdha. Selon lui, comme il l’a expliqué dans son article intitulé «Sidi Bouzid et la mafia», publié le 12 août sur sa page Facebook, «l’Etat profond n’a pas été renversé le 14 janvier» et «les racines du système étant conservées. Seule la tête du régime – le clan Ben Ali – étant sacrifiée».
Tout en constatant «une confusion entre le parti Ennahdha et l’Etat, comme il y avait une confusion avant la chute de Ben Ali entre le Rcd et l’Etat», l’ex-conseiller de Marzouki souligne l’hégémonie d’Ennahdha sur les autres partis de la coalition et il y voit «une trahison de la révolution».
Ennahdha verrouille tout
Dans sa critique du parti islamiste tunisien, Ayoub Massoudi se montre direct et sans concession : «Cela a commencé très tôt. En janvier, je crois, la présidence avait – déjà – appris par la presse la nomination de gouverneurs en majorité de Ennahdha, de directeurs généraux d'administrations ou d’institutions qui étaient tous choisis en fonction de leur appartenance politique et de leur allégeance à Ennahdha. Ce sont des choses qu’on vit tous les jours: ces dernières semaines ce sont les médias publics qui se sont vus nommés de nouveaux directeurs», raconte-il. Avant de tirer la sonnette d’alarme: «Ennahdha verrouille également toutes les commissions en vue des élections ou de la réforme de la magistrature à laquelle le parti islamiste a dit qu’il était opposé. Certains journalistes sont aussi menacés de mort, subissent des intimidations quotidiennes dans leur travail… Ennahdha essaye de soumettre le peuple tunisien pour servir son propre agenda politique et anéantir tout espoir de résurrection de la révolution.»
Source: ''Nouvel Obs''.
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