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La non-adoption de l'article 167 du code électoral, qui devait barrer la route aux ex-Rcdistes aux prochaines élections, a, paradoxalement, provoqué une crise à... Nida Tounes.

Par Ridha Kéfi

Le parti présidé par Béji Caïd Essebsi, ancien membre du bureau politique du RCD (ex-parti au pouvoir dissous), dont les membres étaient visés par ce projet de loi, devait, normalement, tirer profit de la non-adoption de cet article jugé anticonstitutionnel et antidémocratique. Il n'en fut rien. Au contraire, les conséquences de cette non-adoption se sont avérées plutôt négatives. Et pour cause : celle-ci a provoqué une crise à Nida Tounes, où les fondateurs, autour de Caïd Essebsi, en majorité des dirigeants de gauche et des syndicalistes, se trouvent presque déjà en minorité face aux anciens Destouriens et ex-Rcdistes, dont l'appétit de pouvoir est désormais difficile à contenir.

Nida Tounes : le cheval de Troie des Rcdistes?

Revigorés par la perspective de pouvoir présenter leur candidature aux prochaines élections, ces derniers, qui hantent les structures du parti de Caïd Essebsi, y pensent chaque matin en se rasant. Certains d'entre eux se voient même déjà à la Kasbah et à Carthage. Pourquoi pas, au rythme où vont les choses? Pour eux, la perte du pouvoir, après la chute du régime de Ben Ali, n'aura donc été qu'un simple au-revoir, le temps de raser les murs pour se faire oublier et se replacer sur l'échiquier politique. D'abord en embuscade, puis sous les feux de la rampe. Pour eux, le parti de Caïd Essebsi, qui leur a ouvert généreusement et imprudemment ses portes, aura finalement servi de cheval de Troie.

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La façade commence à se fissurer...

Certains dirigeants de Nida Tounes minimisent l'ampleur de la crise sévissant au sein de leur parti et cherchent à faire accréditer la thèse de menues divergences induites par des incompréhensions passagères, et que tout va devoir bientôt rentrer dans l'ordre. D'autres parlent ouvertement de crise due à l'impatience exprimée ces derniers jours par les Rcdistes, qui manoeuvrent désormais au grand jour pour prendre le contrôle des structures du parti, renforcés dans leur démarche par les faiblesses montrées par la direction et son incapacité à trancher, laissant la situation pourrir au fil des jours.

La controverse alimentée par la position exacte de Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président de Nida Tounes, et par la nature (administrative et/ou politique) de ses fonctions au sein du parti, serait finalement l'arbre qui cacherait (très mal) la forêt des contradictions opposant actuellement les Rcdistes et les gauchistes sous l'ombre tutélaire de «Si El-Béji», plus que jamais indispensable.

Il y a un an déjà...

Il y a un peu plus d'un an, le 16 mars 2013, nous avions posé ce problème dans un article dans Kapitalis sous le titre ''Nida Tounes a-t-il vraiment remis de l'ordre dans ses rangs?''. C'était au lendemain d'une première crise qui a opposé les deux camps, et que le parti a cherché à étouffer en publiant des photos censées montrer la concorde régnant en son sein.

«Les images diffusées par le parti sur sa page Facebook, où l'on voit tout le monde embrasser tout le monde, dans une comédie politique évidente, sont une opération de communication cachant mal un malaise profond, et qui risque de se poursuivre, tant qu'on n'a pas réglé définitivement la question de l'identité, du programme et des références historiques et politiques de ce parti qui ressemble à une auberge espagnole», avions-nous alors écrit.

«La personnalité et le charisme du leader du parti, Béji Caïd Essebsi, ne sauraient, à eux seuls, cacher indéfiniment les contradictions idéologiques internes qui couvent au sein du parti ou les incompatibilités d'humeur entre certains de ses membres dirigeants», avions-nous ajouté. Et tout en reprochant aux dirigeants de Nida Tounes de botter en touche en «faisant endosser aux médias la responsabilité de leurs propres problèmes», nous avions souligné qu'ils ne font ainsi que «retarder de nouvelles secousses qui pourraient faire imploser leur parti.»

«A cet égard, rien ne vaut une mise au point rapide, définitive et convaincante sur l'identité du parti – qualifiée hier de ''peu claire'' par Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha – où se côtoient des gens venus d'horizons divers : Destouriens de longue date, Rcdistes contraints, libéraux pur jus, activistes de la gauche radicale, indépendants...»

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Khémaies Ksila et Faouzi Elloumi: un orage de printemps...

Le cadeau empoisonné d'Ennahdha

Je ne me suis pas cité moi-même pour le plaisir de dire que j'avais raison d'écrire ce que j'ai écrit, mais pour souligner qu'un problème politique de fond ne saurait être réglé par une... opération de Com'.

Quatorze mois après, cette critique a gardé toute son actualité. Entretemps, les problèmes se sont aggravés et le fossé s'est davantage creusé entre les deux principales ailes du parti. Ce qui rendra difficile toute tentative pour raccommoder l'habit déchiré, alors que les élections approchent et que la tenue d'un congrès pour mettre les points sur les 'i' serait trop hasardeuse. Et pleine de risques.

En votant contre l'article 167, les députés d'Ennahdha ne croyaient pas si bien faire, à moins qu'ils aient bien calculé leur coup. Auquel cas, ils seraient de fins tacticiens, sinon de redoutables Machiavel. Le résultat, en tout cas, est là : les islamistes ont réussi à exporter leur propre crise interne chez leurs plus redoutables adversaires. Quel gâchis!

 

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