Parmi les deux co-fondateurs du parti centriste Al Watan, Ahmed Friaa a fini par jeter l’éponge, cédant face à la grogne des militants. Mohamed Jegham, quant à lui, tient toujours la corde, désormais seul maître à bord.
Le secrétaire général du parti Al Watan, Mohamed Jegham, a confirmé mardi, l’existence d’un courant protestataire contre Mohamed Friaa, qui a été acculé à démissionner, lundi, de ce parti centriste, créé le 4 mars dernier, et dont il est le co-fondateur.
Un bon attelage sur le papier
Le courant protestataire considérait M. Friaa comme «un obstacle pour la progression du parti», du fait des nombreuses critiques qui lui sont adressées pour avoir occupé le poste de ministre de l’Intérieur quelques jours avant la révolution du 14 janvier.
M. Jegham a nié, dans une déclaration à l’agence Tap, l’existence d’un quelconque conflit avec M. Friaa, précisant qu’ils ont été tous les deux victimes d’exclusion, sous le régime du président déchu, en dépit de leur appartenance au Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), ex-parti au pouvoir dissous, et de l’occupation de postes de responsabilité gouvernementale et partisane.
De son côté, M. Friaa a déclaré que l’engagement par la Tunisie d’une nouvelle étape postrévolutionnaire commande de faire passer le flambeau aux jeunes, soulignant que sa démission du parti Al Watan ne l’empêchera pas de servir le pays, notamment à travers l’animation de conférences, la publication de livres et la présentation de conceptions sur différents projets.
L’attelage Jegham-Friaa devait pourtant tenir. Sur le papier du moins. Les deux hommes, tous deux anciens ministres de Ben Ali, furent éjectés du système et ont fait une longue traversée du désert au cours des dix dernières années du règne de l’ancien dictateur.
Malgré la contestation de leur reconduite dans le premier gouvernement post-Ben Ali et leur départ forcé de ce gouvernement, on avait pensé qu’ils pouvaient se repositionner sur la scène politique nationale, sur la base de leur expérience politique (ils ont occupé plusieurs postes ministériels), de leur enracinement régional, l’un dans le sud (Zarzis) et l’autre dans la région du Sahel (Hammam-Sousse) et, surtout, de leur quasi-rupture (il est vrai contrainte) avec l’ex-président.
Le syndrome du dernier quart d’heure
Le poids du passé a cependant été lourd à porter. L’article 15 du décret-loi relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante a fait le reste. Cet article, on le sait, prive de candidature toute personne ayant assumé des responsabilités au sein du gouvernement de Ben Ali, tout en étant membre de son parti, le Rcd. Or, c’est le cas des deux hommes, dont l’ambition de faire partie de la prochaine Assemblée constituante est ainsi sabordée.
Pire encore: M. Friaa a été entendu, le 16 mai, par le juge d’instruction près le tribunal de première instance de Tunis. L’ancien directeur de l’Ecole nationale des ingénieurs tunisiens (Enit) et député de Zarzis a eu le malheur d’être nommé le 12 janvier, en pleine révolution tunisienne et deux jours avant la fuite de Ben Ali, ministre de l’Intérieur en remplacement de Rafil Belhaj Kacem. Le lendemain de sa nomination, la répression des manifestations a causé la mort d’une soixantaine de personnes. Quelle a été sa responsabilité dans ces meurtres? A-t-il eu le temps, en moins de 24 heures, de prendre en main les commandes du pouvoir au sein d’un département aussi difficile et qui était directement piloté par le Palais de Carthage, qui plus est, en une période aussi agitée? A-t-il eu vraiment le temps de donner des ordres? Connaissant l’homme, on pourrait sérieusement en douter. Mais, quoiqu’il en soit, en homme d’honneur, M. Friaa a eu l’élégance de rendre le tablier et de se retirer dans la dignité d’un parti qu’il a fondé.
Triste prélude, tout de même, pour un homme qui a beaucoup de mérite, mais qui a eu la mauvaise idée de répondre à l’appel de Ben Ali quand le naufrage du dictateur était déjà largement entamé. Il était sans doute mu par l’appel du devoir. Personne n’en douterait. Mais la décision était très contestable et, en ces journées folles qui ont précédé la fuite du despote, peu opportun. Il en paye aujourd’hui le prix fort.
Imed Bahri
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