L’auteur analyse les caractéristiques et les causes de la crise actuelle, et en tire des leçons, notamment pour la relance économique en Tunisie.
Par Fatah Mami
Le manque de leadership politique, partout, caractérise la crise globale actuelle. Les dirigeants n’ont pas le courage de dire à leurs peuples la vérité: les vrais problèmes, les possibilités réelles, les sacrifices nécessaires, et les solutions appropriées. De plus, les solutions de facilité, qui consistent à camoufler et reporter les problèmes, et les noyer avec de nouvelles dépenses, sont devenues la plupart du temps impossibles.
Le surendettement a déclenché la crise
En effet, la crise actuelle est une crise de la dette, focalisée sur les pays du sud de l’Europe: Portugal, Espagne, Grèce.
Après l’introduction de la monnaie unique, les pays du sud de l’Europe ont vu leur taux d'intérêt baisser au niveau de ceux de l’Allemagne. Au lieu d’utiliser cette manne pour renforcer leurs finances publiques, réduire leurs déficits et leur endettement, moderniser leurs économies et les rendre plus compétitives, ces pays ont dopé la consommation et l’acquisition immobilière; ils ont introduit ou étendu des programmes sociaux très généreux; et ils ont entrepris certains investissements publiques coûteux, mais peu utiles, à des fins de prestige et de gains électoraux.
Ce comportement a surchargé de dettes les états, les banques, les entreprises et les individus.
Bien qu’elle soit parmi les pays confrontés à des difficultés financières, l’Irlande n’a pas suivi le même chemin; elle s’est retrouvée endettée suite au sauvetage de son secteur bancaire, et non pas à cause d’une mauvaise gestion de l’économie ou des affaires publiques. C’est pour cette raison que je l’ai exclue des pays où se trouve focalisée la crise de la dette souveraine.
La Banque centrale veille sur laliquidité du marché bancaire.
Comment s’est produit le surendettement? Les raisons du comportement des pays du sud de l’Europe décrit ci-dessus sont essentiellement:
• la politique de la facilité : c’est plus facile et plus populaire d’augmenter les dépenses publiques et de multiplier les programmes et les avantages;
• les programmes et les discours populistes qui convoitent le pouvoir à tout prix;
• l’idée que le moteur du développement et de la prospérité c’est l’État; donc, plus d’État, entraîne plus de développement et de croissance;
• l’extension du rôle et de la taille de l’État, et l’augmentation de ses dépenses et déficits, comme conséquence des trois points précédents;
• l’idée que la consommation stimule la croissance, l’emploi et, par conséquent, élève le niveau de vie, et que l’épargne et l’investissement productif sont secondaires – et à la rigueur suivront tout seul;
• une culture qui favorise le court-terme et les loisirs, et qui encourage l’exhibition de la prospérité et des richesses.
Déficits chroniques et consommation dopée
Des dépenses étatiques gonflées, des déficits budgétaires chroniques, et une consommation dopée par le crédit faussent les repères, découragent l’effort et la production, et ne peuvent pas continuer indéfiniment. Arrive un moment où les bailleurs de fond se rendent compte que le débiteur est dépendant et insolvable, et qu’il faut le presser pour rembourser ou du moins réduire la dette.
D’où la politique de désendettement, la réduction des dépenses publiques, l’austérité, le ralentissement économique, l’augmentation du chômage, les défauts de paiement, l’affaiblissement et l’insolvabilité des banques...
Beaucoup de consommation, peu de réforme
Ainsi, suite à l’introduction de l’euro, dans les pays du sud de l’Europe, trop d’argent a été dépensé dans la consommation, et peu d’attention a été accordée aux réformes et à la construction d’une économie saine et compétitive.
Effectivement, la principale difficulté actuellement de la zone euro est l’écart de compétitivité et de santé des finances publiques entre les pays du nord et ceux du sud. L’écart de compétitivité rend la monnaie commune trop forte pour les pays du sud (et entrave, donc, leurs exportations) et plutôt faible pour ceux du nord; en plus, il précarise les finances des pays du sud qui doivent s’endetter (surtout auprès de ceux du nord) pour financer leurs déficits commerciaux notamment envers eux.
Les Tunisiens attendent le retour dela prospérité.
Quelle parallèle avec ce qui se passe chez nous?
Revenons, donc, en Afrique, précisément en Tunisie. A l’événement déterminant de l’introduction de l’euro substituons la révolution. Les parallèles sont frappants et les remèdes semblables.
Au lieu d’utiliser la démocratie pour réformer nos institutions, restructurer notre gouvernement, libérer notre économie, nos lois et notre marché de l’emploi, redresser nos fonds et programmes sociaux, étendre le secteur privé, nous:
• augmentons les dépenses de l’État pour «relancer l'économie», notamment la consommation;
• ajoutons de nouvelles administrations et augmentons l’emploi public;
• étendons des programmes sociaux financés par des dettes supplémentaires;
• créons des programmes de formation professionnelle palliatifs;
• augmentons les salaires et les avantages, et titularisons au maximum (pour assurer la sécurité de l’emploi au dépens de la discipline et du rendement);
• imposons des prix plafond, renforçons le contrôle des prix, importons des produits alimentaires, et bloquons les exportations, afin de garantir l’approvisionnement correct du marché intérieur, pour «protéger le pouvoir d’achat du consommateur» quitte à décourager la production, pénaliser l’agriculteur, et détériorer davantage notre balance commerciale;
• observons désemparés et résignés l’explosion des dépenses de subvention et de compensation des produits alimentaires de base, des combustibles, de l’énergie, des transports, de l’eau courante, du traitement des eaux usées, etc. (toutes des subventions de consommation);
• étendons les crédits à la consommation et à l’immobilier, notamment pour la spéculation sur les terrains.
Quelles réformes pour éviter le même sort?
A la lumière de ce que nous avons observé dans la première partie, nous devrions plutôt réduire notre endettement; assainir nos finances publiques; réduire la bureaucratie et les coûts de fonctionnement de l’administration; améliorer les services administratifs; mettre l’administration au service du citoyen et de l’économie (au lieu du contraire); encourager la production et l’exportation; supprimer les structures qui fixent les prix, exercent soi-disant «le contrôle économique» et «la régulation des marchés», mais qui en réalité empêchent l’économie de tourner et le marché de fonctionner.
Nous devrions aussi supprimer les subventions et les avantages fiscaux aux investissements qui favorisent le gaspillage des ressources, grèvent les finances publiques, et encouragent les investissements marginaux et douteux (ainsi que la bureaucratie et la corruption). Ce qui compte le plus pour les investisseurs c’est un contexte sain, favorable et libre, qui favorise l’activité économique et la rentabilité.
Sans oublier de nous débarrasser des autres avantages fiscaux qui sont injustes, puisque ce sont exclusivement les hauts revenus qui en bénéficient, et qui encouragent les combines, compliquent la législation fiscale, et nuisent aux finances publiques.
En fait, ces avantages fiscaux sont un cadeau de l’État aux hauts revenus, comblé par des augmentations d’impôts aux nécessiteux (par exemple, sur les cartes téléphoniques) et l’accroissement de la dette publique. Il serait plus juste de faire profiter tout le monde de ce cadeau, en réduisant les impôts de toutes les catégories, notamment la classe moyenne et les nécessiteux.
Finalement, et surtout, nous devrions supprimer les subventions de tout genre et la compensation et les remplacer par une réduction d’impôts sur les bénéfices et les revenus, par une baisse de la Tva, et par une aide sociale aux nécessiteux, avec la résultante d’allouer les deux-tiers des subventions actuelles à cette catégorie, au lieu du cinquième.
La Bourse de Tunis.
Ainsi, nous découragerons la surconsommation et le gaspillage; réduirons la bureaucratie; améliorerons le pouvoir d’achat, la rentabilité et la compétitivité; et soulagerons les nécessiteux.
Plus de marché, plus de secteur privé, moins de bureaucratie
Encore une fois, nous revenons à la même conclusion: pour relancer l’économie, créer des emplois, réduire les inégalités, augmenter le pouvoir d’achat, nous avons besoin de plus de marché, plus de secteur privé, moins de bureaucratie, et plus de compétitivité, à tous les niveaux: institutions, législation, service publique, administration, fiscalité, marché. La hausse de la consommation et du niveau de vie sera la récompense de ces efforts et réformes.
Par contre, si la consommation et la spéculation priment et dictent la politique et les priorités du gouvernement, des syndicats et de la majorité des citoyens, elles seront de courte durée, et entraveront la croissance, la prospérité, et la résolution des défis économiques et sociaux.
A emprunter, nous serions sage de suivre l’exemple des pays nordiques et d’éviter la facilité et le populisme qui ont conduit les pays du sud de l’Europe à la crise financière et économique.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Le discours politique tunisien: brillants diagnostics, propositions nulles…
Tunisie. L’Ugtt doit faire preuve de plus de réalisme et de cohérence
Quelles solutions pour sortir de l’impasse de la crise ?
Tunisie. Création d’emplois ou droit constitutionnel à l’emploi?