L’auteure réagit à la métaphore du chercheur français Vincent Geisser selon laquelle «la Tunisie est comme une mère qui a e beaucoup de bonheur à la naissance de son enfant et qui vit sa phase de dépression après l’accouchement».
Par Inès Mechri*
Qu'est ce qu'il nous raconte encore Vincent Geisser, dans cette psychologie à deux balles, qui minimise, sous la métaphore gynécologique d’une «dépression post-partum», l’établissement sinistre d’une dictature obscurantiste pire que celle de Ben Ali. Car non satisfait de rogner peu à peu les libertés publiques chèrement conquises par la révolution, le nouveau parti-Etat Ennahdha (la «troika» ou coalition gouvernementale n’étant qu’un simulacre de pluralité), s’attaque prioritairement aux libertés individuelles, au champ privé ou en-dehors du dogme nul n’a le droit de s’épanouir.
Malentendu ou dialogue de sourds
Ce sociologue que son institution, le Cnrs, a suspecté, il y a deux ans, d’accointance avec le milieu islamiste, problématique pour un scientifique, nous explique qu’il y a des malentendus entre le nouveau pouvoir et son peuple, en somme un dialogue de sourds.
Monsieur Geisser, fournissez donc aux chefs d’Ennahdha une prothèse auditive car ils refusent d’entendre la sourde rumeur du terroir qui a porté la première révolution arabe, particulièrement des jeunes, des artistes et des femmes, qui n'entreront pas dans un marchandage sordide.
Vous prétendez, Monsieur Geisser, qu’une culture démocratique a pris encrage en Tunisie. Vous y avez vécu pourtant et à l’Irmc, à Tunis, vous étiez à l’écoute de ce bouillonnement latent. Hélas, des années d’écrasement n’ont pas permis à tous les Tunisiens et Tunisiennes de se hisser à ce niveau d’intelligence critique que suppose la désaliénation du dogme religieux, au fondement principal de la démocratie. Celle-ci est laïque ou elle n’est pas. Il n’y a pas de démocratie islamique. C’est une imposture.
Le pessimisme des démocrates tunisiens
Ce que nous prépare Ennahdha, c’est une Tunisie théocratique et ce pessimisme des démocrates tunisiens provient de l’inquiétude face à une population encore incapable de «penser l’impensable» comme dit Mohammed Arkoun, c’est-à-dire de prendre une distance critique par rapport à l’omnipotence temporelle du religieux.
Si vous ajoutez à cela les manipulations et les escroqueries d’Ennahdha, sa capacité clientéliste à corrompre et sa capacité cléricale à manipuler la peur de Dieu, vous comprendrez que les démocrates tunisiens ne sont pas seulement en proie «aux idées bleues» d’une jeune maman (c’est-à-dire des idées noires) mais qu’ils redoutent très lucidement la plongée de notre petit pays dans un grand trou noir.
*Universitaire.
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