Tunisie. Sihem Badi ou le degré zéro de la gouvernance   

La ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, est de plus en plus impopulaire et solitaire. Ses positions controversées et son maigre bilan lui valent les critiques acerbes de ses compatriotes.

Par Sami Hilali*

La bonne gouvernance exige, comme corollaire, la transparence. Ainsi, après la révolution, nous assistons périodiquement à des conférences de presse où les divers ministères se relaient pour présenter leurs rapports d’activité, informer le public et donner la meilleure image du département. Les sites web et pages facebook sont aussi des outils incontournables de communication. Toutefois ces outils modernes sont des armes à double tranchant, car ils peuvent parfois trahir les  défaillances de certaines structures.

L’article publié par Kapitalis le sur les jardins d’enfants coraniques, qui dévoile un partage de rôles entre le Congrès pour la République (CpR) et Ennahdha, visant à ne pas entraver la création de ces établissements pourtant hors la loi, a fait part de la publication du rapport d’activité du 3e trimestre du ministère de la Femme. Un lecteur avisé  sera interpelé par un grand nombre d’insuffisances et par l’absence de contrôle de qualité au niveau dudit rapport  corroborée par le contenu des sites web officiels du département concerné.

De visu, toutes les structures ont plus ou moins employés le même stratagème consistant à la substitution des activités sensées être réalisées durant le 3e trimestre par d’autres programmées au cours du 4e.

C’est ainsi que le Centre de recherche, d’études, de documentation et d’information sur la femme (Credif) s’est limité à annoncer des participations à venir dans des conférences prévues dans des pays tiers, et ce en guise d’activités réalisées. Triste bilan pour une institution employant des dizaines de cadres et fonctionnaires et qui coûte plus de un million de dinar au titre de salaires annuels!

Une autre omission, sans doute non fortuite et non des moindres, le ministère de la Femme annonce que, suite à la circulaire du chef du gouvernement du 16 mars 2012 sur la transparence et la bonne gouvernance, le ministère a mis en place des responsables à la tête des divers établissements rattachés au ministère  dont, en plus du Credif, l’Observatoire de l’enfance, le Centre national de l’informatique pour enfant et l’Institut supérieur pour les cadres de l’enfance. Mais le rapport n’évoque absolument aucune activité pour ces diverses structures à l’exception des activités «prévisionnelles» du Credif.

Pour les autres structures, la confusion entre rapport d’activité et programme d’activité est saillante au niveau de toutes les directions (famille, femme, enfance et personnes âgées) à tel point qu’elle semble être employée pour pallier au peu d’activité de ces directions.

Pire encore, comment peut-on parler de bonne gouvernance sans se référer au budget alloué et au programme décidé et sans donner des chiffres, des indicateurs et des ratios pertinents. De surcroit, aucune information sur  l’activité des délégués de la protection de l’enfance et des inspections des jardins d’enfants, alors même que les médias recensent de plus en plus d’atteintes graves à l’encontre des enfants au niveau de tous les gouvernorats. Le «fléau» (et le mot n’est pas exagéré) des jardins d’enfants coraniques, des crèches anarchiques, des enfants non scolarisés, des collégiens et lycéens addictes aux stupéfiants, des enfants de la rue, enfants vendeurs à la sauvette et mendiants, etc., semblent se généraliser du fait de la crise économique et la baisse du niveau de vie des familles tunisiennes sans que la sonnette d’alarme ne soit tirée par le ministère en charge de l’enfance, qui dispose pourtant, du moins sur le papier, d’observatoires, de délégués et d’inspecteurs chargés de la protection de l’enfance, mais qui semblent totalement inactifs.

Voilà donc un ministère dédié à la Femme, la Famille, l’Enfance et les personnes âgées, qui méconnait sa vocation première et ses missions et se contente de séminaires, colloques, voyages et autres actions sans envergures et sans lendemain empruntées à des pratiques de l’ancien régime qu’on croyait révolues.

Attirons l’attention de ce département sur le fait qu’un rapport d’activité ne peut pas contenir des chamailleries et règlements de comptes avec d’autres membres du gouvernement puisque ledit rapport précise au niveau des mesures prises, en réponse de la circulaire citée plus haut, que le dispositif a été mis place dans la limite de ce qui lui a été donné de comprendre vu l’ambiguïté de ce qui est demandé par la présidence du gouvernement (!). A cet effet, un simple coup de téléphone ou une réunion de travail aurait pu lever toute équivoque, n’est ce pas?

A l’examen dudit rapport, le lecteur a l’impression que le ministère de la Femme est un département de trop. Un coup d’œil sur les sites web du ministère et des établissements qui lui sont rattachés (disponibles sur le portail Femme) réconforte cette impression. A cet effet, aucun sondage d’opinion n’est disponible, ni aucun forum de discussion. Les chartes graphiques et les technologies employées sont dépassées depuis des années.

Plus grave, les sites de l’Observatoire et de l’Institut des cadres de l’enfance n’ont pas été mis à jour, respectivement, depuis février 2012 et avril 2010. Quant aux sites du Centre de l’informatique pour enfants, du ministère ou du Credif, la quasi-totalité de leurs rubriques sont figées. Côté interactivité, tous les sites n’offrent aucune possibilité d’échange avec les citoyens, qui ne semblent avoir montré de l’intérêt pour la revue du Credif ou pour la rencontre avec les députés de l’Assemblée nationale constituante (Anc). Pour preuve: pas de partage ou de mention «J’aime». La page officielle FB du ministère est quasi-déserte et ne semble intéresser personne. Quant à la page FB de Sihem Badi, la ministre en charge du département, c’est un véritable  forum anti-Badi pour lancer des piques contre la ministre qui semble de plus en plus impopulaire et solitaire.

Mme Badi paye cher et au comptant son absence de vision, sa méconnaissance des réalités tunisiennes, ses positions très controversées sur les écoles coraniques et le mariage «ôrfi» (coutumier), le recrutement de ses proches, ses voyages incessants aux frais du contribuable, sa passivité lors de l’affaire de la jeune femme violée par des policiers.

Bref, pour être bien noté, il faut aligner des actes et non des paroles, or c’est du côté des réalisations que le bât blesse. 

* Doctorant ‘‘Prospective, innovation, stratégie’’.