Les dernières mesures fiscales au détriment de la classe moyenne dénotent des signes d'un héritage soviétique, celui d'une société à deux niveaux: une oligarchie au zénith trônée au-dessus d'une immense terrasse de démunis.
Par Abdallah Jamoussi*
Trois ans passés dans l'attente d'une lueur, d'un gazouillis, d'une voix furtive annonciatrice d'une quelconque aube à l'horizon de ce pays dolent, fatigué de mener simultanément un rude combat sur deux fronts; celui de la survie et celui de l'identité; toutes deux attaquées de front.
Trois ans d'état d'urgence, plus fastidieux que le demi-siècle tempêté d'applaudissements sur fond de misère, de déni, d'exclusion et de corruption. Trois ans d'état d'urgence le longs desquels la culture était suspectée, culpabilisée et bannie; néanmoins pas aussi durs qu'une opposition convertie en tyrannie, ou de corrompus décorés de signes de distinction pour leur nouvelle allégeance dégradante à un parti qu'ils fustigeaient.
Nous connaissons, actuellement un semblant d'accalmie ou, plus exactement, une permission astreignante de patiner sur place dans une zone trop exiguë pour pouvoir voler, trop plate pour pouvoir sauter, trop superficielle pour réussir à nager.
Le départ vers un lendemain porteur d'espoir pour une jeunesse hagarde et figée fut à trois reprises raté. Et c'est depuis l'indépendance – tronquée, qu'on disait –, mais qu'à cela ne tienne, puisqu'on pouvait considérer la moitié pleine du verre! Une seule et unique histoire prise en charge par trois troupes théâtrales et interprétée simultanément dans le vacarme, le tohubohu, la déception, la crainte et la menace de voir la liberté confisquée, l'honneur souillé et la santé détériorée.
Une folie destructrice
L'élément nouveau dans la combinaison est qu'on s'est mis à s'en prendre à la vie de ceux qui soit rendu au compte-gouttes. Il y va de même pour ton mode de vie, ton patrimoine personnel – autrement dit : ton héritage et tes acquis. Un programme de vie perçu comme une enveloppe vide, c'est déjà une ébauche pour parler de vacuité, de désert, d'astre égaré; tel un soleil en fin de vie crachant les ténèbres qui l'enseveliront à jamais.
Ravage accompli, on ne devrait pas s'étonner d'entendre parler une folie destructrice d'exploits, de promotion et de conquête. Allez comprendre de quoi il s'est agi dans les tréfonds d'une pensée qui fait de son pays une pépinière de mercenaires, un passage de dealers et une turne aux criminels. Le laisser-faire, n'est-il pas en lui-même un fait.
Plus qu'une association d'idées, c'est un constat qui donne à s'interroger sur la façon d'être des obsédés de la domination, qui éprouvent du plaisir à excéder, alors qu'ils avaient, eux-mêmes, été victimes d'excès de zèle et de mains formées dans un «vivier infernal» et sans âme. Là où la notion de liberté est annulée, où on serait sans assurances et sans droit à des explications, on n'apprend pas à aimer.
Qu'en est-il advenu de l'état d'esprit des persécutés-persécuteurs, une fois arrivés à gouverner?
Le recul au nom du progrès
Sans l'inversion de la réalité, la duplicité langagière, la fuite en avant, l'illusion optique, le recul au nom du progrès et même l'incapacité de distinguer la limite entre la mort et la vie, comment composer dans la douleur avec un milieu leur paraissant étranger? Au mieux, la réalité valait pour eux ce que vaut le virtuel comparé à un état second. Un champ visuel noyé dans une lueur crépusculaire et vu à travers un tamis. Alors comme rien ne filtre du temps cloisonné et destiné à disparaitre dans l'exigüité de cet observatoire, on pouvait toujours admettre avoir vu les spectres qui hantent son propre esprit lui émettre des signaux.
C'est dans ce contexte sombre et désenchanté que les souvenirs frustrants seront invités à témoigner de l'échec d'un processus formel et dévidé. Le cheval a cabré, mais il n'a pas réussi à s'éjecter par-dessus la barre, non qu'elle fût top haute, mais il fallait avouer qu'on aurait du considérer la compétence, le milieu, l'état d'esprit, la consistance et la portée.
Antérieurement à cet échec, le paysage politique était prometteur. A quelques semaines du 23 octobre 2011, le climat eut été affecté par le refus du référendum populaire sur une feuille de route déterminant la fin de la dérogation. Et depuis les rêves furent, aussitôt, dissipés.
Le 9 avril 2012 fut une date triste pour les Tunisiens. Il ne s'agissait pas de disfonctionnement, mais d'un tournant vers la violence. C'est suite aux attentats perpétrés en plein jour, et enregistrés contre X, qu'on avait réalisé que la démarche brusque et pressée avait pour but d'atteindre d'un bond deux objectifs, à savoir l'accaparement de la totalité des pouvoirs et l'instauration d'une idéologie théocratique appuyée par des corporations confraternelles et des partis satellitaires fédérés sous la houlette de la Confrérie Internationale.
Il me paraitrait même absurde, qu'à l'issue de l'effondrement politique qu'a connu notre pays, les intervenants n'avaient pas pu conjecturer que sur la liste des priorités devraient figurer des solutions et non davantage de problèmes pour ce peuple, spolié et supplicié dans l'indifférence – sinon dans l'approbation. Tout sacrifier pour la gloire de l'idéologie
Pris au dépourvu, notre peuple sous le choc ne pouvait que se cramponner à n'importe quelle brindille d'espoir. Que dire, alors, lorsqu'on l'inondait de toute part, de prouesses à couper le souffle déguisées en promesses?
Une jeunesse à bout des nerfs
Le menu révolutionnaire était riche en liberté, en développement, en lutte contre la corruption, la spéculation et le favoritisme. Mais tôt, les gens découvrirent le code: il fallait remplacer chaque nom par son antonyme et relire. Il s'agissait d'un envers. Pour ceux qui en doutent; mis à part les proches du panthéon et ses inféodés, qui d'autres auraient bénéficié des fastes attributions généreusement prodiguées?
Et pourtant, même en dépit des solutions exhalant le favoritisme, les jeunes auraient pu se contenter du peu, s'il n'y avait pas eu une quasi-monopolisation de l'espace politique et l'empiétement sur les acquis de la République.
Outre le durcissement du ton à l'égard d'une jeunesse à bout des nerfs, il y eut eu un sentiment de tri culturel, de recensement selon la génération liée à tel ou tel régime et même selon la fonction publique. Il était clair qu'on voulait s'assurer la pérennité du pouvoir; ce qui signifierait la fin de l'Histoire, malgré leur incapacité prouvée.
Le plus frappant est qu'au lieu de se soucier pour le présent et l'avenir du peuple laissé pour compte, on se focalise sur les garanties d'un éventuel retour au pouvoir, au moyen d'élections sur-mesure.
Toutefois, dans l'attente de ce retour espéré, au pire des cas s'y mettre, c'est-à-dire: procéder de façon à empêcher la dilapidation du patrimoine du pays et veiller à ce que ses richesses ne soient pas pillées – sauf qu'à tous les égards, une telle requête paraîtra inopportune et déplacée, étant donné le raisonnement de ceux qui sont venus servir l'idéologie, au lieu de s'en servir pour le bien du pays –.
Pour de multiples raisons, les dernières mesures fiscales au détriment de la classe moyenne dénotent des signes d'un héritage soviétique, celui d'une société à deux niveaux: une oligarchie au zénith trônée au-dessus d'une immense terrasse de démunis. Alors que l'islam est mitoyen, on est en face d'un modèle social concave, dévidé excentrique à notre vision de la société musulmane. L'islam est une religion de juste milieu.
* Universitaire.
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