elections 7 14Que faut-il choisir entre un mode de scrutin uninominal ou de liste, et un mode majoritaire ou proportionnel? Le meilleur mode de scrutin est celui qui combine simplicité et efficacité. Et permet de refléter la diversité d’opinions dans le pays.

 

Par Mohamed Bouanane*

En cas où le dialogue anti-national, déjà mort-né, se remettrait en marche boiteuse pour être de nouveau reporté aux calendes grecques (car il faut s'attendre à une suspension de 3 à 4 semaines, sinon davantage, pour chaque semaine de bla-bla), le sujet du mode de scrutin devrait être débattu à un moment ou un autre.

C'est un sujet très déterminant pour la suite du processus politique et de la transition, qu'il faut traiter avec beaucoup de sérieux et prendre le temps de la réflexion avant d'en décider et peut être verrouiller le destin du pays tout entier.

Le scrutin de liste à la proportionnelle a été adopté lors des dernières élections pour sa simplicité de mise en oeuvre et aussi, je crois, pour une raison (arrière-pensée) inavouée: obtenir une assemblée hétéroclite et incapable de dégager une majorité afin de proroger le mandat du gouvernement de Caid Essebsi, et ce grâce à l’éparpillement des voix sur plus de 1.500 listes électorales.

L'objectif est à moitié atteint, près de 1,5 million de voix n'ont pas été représentées à l'Assemblée nationale constituante (ANC) malgré le bulletin glissé dans l'urne.

Les travers du scrutin de liste à la proportionnelle

Le scrutin de liste à la proportionnelle mènera le pays à la catastrophe ou à l’instabilité ou les deux à la fois, car ce mode a beaucoup de travers.

1. C’est une source d’éparpillement des voix qui augmente le risque qu'une majorité d’électeurs ne soit pas représentée à l’assemblée. Ceci n'est pas propre aux Tunisiens, cela se passe partout pareil même dans les démocraties (élection européenne en France et ailleurs) mais l'effet de l’éparpillement des voix est limité dans ces contrées par la maturité de la démocratie.

2. Il y a un risque d’hégémonie, qu'une grande minorité élue fasse la pluie et le beau temps. Oui le risque qu'une minorité fasse la pluie et le beau temps est le même pour tous les modes de scrutin, mais ce risque est très atténué dans le cas d'une élection majoritaire à deux tours. Le second tour permet de corriger les résultats du premier, de voter utile et de se concentrer sur l'essentiel. D’où moins de risque d'avoir une minorité en voix qui gouverne avec une majorité confortable de sièges issue d'un scrutin à la proportionnelle intégrale (voir l'exemple AKP en Turquie).

3. Il ne permet pas de responsabiliser l’élu qui se cache derrière une liste et donc un parti. Ceci créera une assemblée de partis et non pas d’élus. Alors que le scrutin uninominal, sans être la solution magique à tous les maux de la démocratie, permet tout de même de responsabiliser l’élu beaucoup plus que le scrutin de liste puisqu'il ne peut se cacher derrière un groupe et voterait plus souvent selon son âme et sa conscience. Membres d'une liste élue, c'est le nom du parti qui a été choisi et non pas les personnes qui le constituent.

Alors, que faut-il choisir entre un mode uninominal ou de liste, et entre un mode majoritaire ou proportionnel? Le meilleur mode de scrutin est celui qui combine la simplicité et l’efficacité. Il doit permettre à la fois de refléter la diversité d’opinions dans le pays, donc la représentativité, et de garantir l’émergence d’une majorité pour gouverner de manière la plus stable possible. Dans le contexte tunisien, ceci n’est possible que grâce à la combinaison de plusieurs modes de scrutin dans la même élection.

Pour un mode de scrutin mixte

La proposition ci-après de mode de scrutin législatif offre une solution efficace au risque d'hégémonie d'un parti et permet d'éviter la paralysie du système par un scrutin à la proportionnelle intégrale.

L’idée est d’avoir le même jour une élection nationale sous forme de liste au scrutin proportionnel à deux tours pour 20% à 30% des sièges du parlement, et une élection locale, uninominale par circonscription au scrutin majoritaire à deux tours (seuls les deux premiers candidats du premier tour peuvent concourir au second tour) pour 70% à 80% des sièges.

Seules les trois premières listes nationales – en nombre de voix – du premier tour participeront au second tour avec la possibilité de reconstituer les listes parmi les candidats du premier tour mais en maintenant les mêmes têtes de listes du premier tour.

Pour simplifier l'organisation, seul le scrutin de listes nationales est disponible pour les Tunisiens à l’étranger et doit avoir lieu le même jour qu’en Tunisie.

Afin d’éviter l'éparpillement des voix et la difficulté d’obtenir une majorité ou une coalition stable au parlement, les listes nationales participant au scrutin proportionnel à deux tours doivent présenter au moins 80% des candidats pour les élections locales (par circonscription au scrutin majoritaire), et chaque candidat local doit appartenir à un groupe ou parti politique présentant au moins des candidats pour 80% des sièges du parlement.

La parité doit être respectée aux deux scrutins de liste et uninominal (par gouvernorat) et chaque candidat doit posséder au minimum le baccalauréat. Le scrutin de liste à la proportionnelle fait le bonheur d'une minorité bien organisée face à une majorité bien désorganisée.

Jetez un coup d’œil sur la Turquie (le parti islamiste AKP n'a jamais obtenu une majorité de voix mais aux alentours de 60% de sièges), vous comprendrez pourquoi certains, parmi la troïka, tiennent à ce mode de scrutin. Or le mode de scrutin de liste à la proportionnelle intégrale n'est pas adopté dans les démocraties en Europe (sauf élection européenne ou en marge).

Il n'y a pas de solution magique, mais le choix du mode de scrutin – comme celui du régime politique – doit être mûrement réfléchi et doit tenir compte du contexte tunisien et des leçons de l’expérience de la dernière élection. J'estime que la proposition ci-dessus d'un mode de scrutin mixte permet de réduire au maximum les insuffisances des deux modes, surtout dans un pays où la maturité démocratique est en construction.

Aussi, faut-il rendre toutes les élections obligatoires (à partir de 20 ans comme âge minimum) afin de faire prendre conscience de l'importance d'exercer son droit et son devoir envers son pays, et ainsi éviter que des minorités deviennent majorités grâce à l’absentéisme.

* Consultant, conseil en management stratégique.

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