La désignation de Mehdi Jomaa, par le dialogue national, pour diriger un gouvernement de compétences indépendantes, a été aussi inattendue qu’inexplicable. Qui a été derrière cette désignation?
Par Samir Tlili*
Décidément, le monde politique a du mal à se débarrasser de ses vieux réflexes mêlant combines, arcanes et autres alliances contre-nature au point d’en faire le grand art du métier de politicien. Il a clairement du mal à passer, malgré les révolutions, à une transparence républicaine respectueuse de l’intelligence des citoyens. C’est ainsi qu’autant nous n’avons jamais su toute la vérité entourant les événements qui ont précédé la chute du régime novembriste, nous ne saurons apparemment jamais les véritables raisons qui ont conduit à la nomination de Mehdi Jomaa dans son nouveau poste de chef de gouvernement. M. Jomaa était, jusqu’à la veille de sa nomination, un homme discret, inconnu du grand public, plutôt du genre que la grande majorité de nos concitoyens ignorait même le nom et le poste occupé. En face, il y a avait des tractations qui duraient depuis d’un mois et les noms du futur chef de gouvernement se disputaient entre Ahmed Mestiri, Mustapha Filali, Mansour Moalla, Jalloul Ayed et d’autres noms de moindre envergure. Plus d’un mois d’âpres négociations et de tours de vote successifs sans jamais atteindre le moindre consensus. Tout au long de cette période, on se réveillait chaque matin avec la nouvelle d’une avance prise par l’une des personnalités précitées qui devançait ses concurrents dans la course à la Kasbah. On assistait malgré nous à une mini-course où on était curieux de savoir qui allait endosser le maillot jaune de la journée. Dans toute cette valse de tractations, jamais le nom de Jomaa n’a été mentionné ni de près ni de loin. Et puis, un beau jour, on nous annonce le plus naturellement du monde la nomination de Mehdi Jomaa en tant que chef du gouvernement, nomination qui, contre toutes attentes, semblait donner satisfaction à toutes les parties impliquées dans le désormais célèbre dialogue national et qui, de surcroit, n’était sujette à aucune objection ni réserve de quelque partie que ce soit. La manière expéditive dont M. Jomaa a été nommé ne pouvait passer sans soulever plusieurs interrogations: comment des parties qui n’arrivaient pas à s’entendre sur le moindre candidat, des mois durant, se sont-elles entendues du jour au lendemain sur la personnalité de M. Jomaa, dont la candidature, rappelons-le, n’a jamais été évoquée? Comment est-on passé d’un refus total de voir aucun membre de l’équipe sortante de la Troïka faire partie du ce nouveau gouvernement de compétences – dont on soulignait la sacrosainte neutralité – à une acceptation aussi docile du fait que ce nouveau gouvernement soit dirigé par un membre de cette même équipe sortante que l’on accusait de tous les torts? Autant de questions qui méritent d’être un jour élucidées ne serait-ce que par respect au droit d’information consacrée par notre jeune démocratie. Autre fait bizarre qui a accompagné la mystérieuse désignation de M. Jomaa, c’est cette information relayée par les réseaux sociaux et notamment sur Facebook, deux semaines avant l’annonce de sa nomination, accompagnée de sa photo en compagnie de l’ambassadeur d’Allemagne savourant une grillade sur le chemin du retour d’une réunion à Bizerte. L’information mettait l’accent sur la simplicité et la modestie du ministre de l’Industrie dont les charges inhérentes à sa fonction ne semblaient pas lui êtres montées à la tête pour l’empêcher d’agir comme monsieur-tout-le-monde en s’arrêtant au bord de la route sans apparats ni mesures de sécurité particulière tant usités par ses pairs au pouvoir. Il est impossible de croire dans ce contexte à une coïncidence de la concomitance de cette information d’apparence anodine relayée sur un homme qui a préféré rester tout au long de son poste de ministre de l’Industrie loin des feux de la rampe avec sa subite nomination quelque deux semaines plus tard. A moins de souffrir d’une grave cécité, il est impossible de ne pas voir dans cette information un prélude à je ne sais quelle combine politique qui se tramait en toile de fond et qui avait pour seul objectif de préparer l’opinion publique à se familiariser avec le nom de cet homme désigné pour être le futur chef du gouvernement. Alors pourquoi en pas poser clairement la question: qui a été derrière la nomination de M. Jomaa qui semble tant faire le consensus? * Expert comptable. Articles du même auteur dans Kapitalis: Finances publiques en Tunisie : A quand les bases d'une rigueur budgétaire? Tunisie. La «troïka» est-elle dans une impasse politique? Tunisie. Et si l’Assemblée constituante était un mauvais choix? |