Les «amis» de la Tunisie ne l'ont finalement «aidée» qu'à régler la majeure partie de sa... dette odieuse contractée sous le régime de Ben Ali.
Par Chawki Abid*
L'on estime, en effet, que près de 85% des «aides» consenties à la Tunisie par ses bailleurs de fonds depuis janvier 2011 ont été affectées au remboursement de la dette contractée par l'ancien régime dictatorial, pourtant considérée partiellement odieuse (plus de 50%), selon les termes mêmes de deux résolutions adoptées par le Parlement européen.
Alors que l'urgence est sociale (le quart de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté), ces prêts ne vont «aider» en réalité que les créanciers (pour leur épargner un abandon potentiel) et vont aggraver les conditions de vie des populations du fait du poids du remboursement de cette dette mais aussi en raison des conditionnalités dictées par le FMI.
En effet, le double gouvernement Troïka, l'ancienne coalition gouvernementale, a conclu avec le FMI, en avril 2013, un Programme de réforme structurel (PRS) de trois ans qui prévoit :
1) la recapitalisation des banques tunisiennes en vue de les privatiser;
2) la révision du Code du travail pour réduire davantage les droits des travailleurs et «améliorer le climat d'affaires pour les IDE»;
3) la baisse des salaires et le gel de l'emploi dans la fonction publique;
4) l'arrêt progressif de toute subvention aux produits alimentaires et aux sources d'énergie de consommation populaire;
5) la réforme du système de couverture sociale et l'allongement de l'âge de départ à la retraite;
6) la privatisation d'entreprises étatiques et l'externalisation de services publics (santé, transport, enseignement);
7) l'assouplissement du code des investissements (avec renforcement du système d'exonérations fiscales dont bénéficient les transnationales opérant en Tunisie);
8) la limitation des entraves administrative du code des hydrocarbures et son extension à l'extraction de huile et gaz de schiste par hydro-fracturation;
9) la libéralisation de la production d'électricité verte à l'export;
10) la consolidation du libre échangisme commercial par son extension aux produits agricoles et aux services.
Ainsi, le FMI continue à imposer des mesures antisociales qui ont toujours conduit à la fois à l'augmentation de la pauvreté, des inégalités et de la dette publique; alors que le FMI a reconnu lui-même l'échec de cette politique d'austérité menée conjointement avec l'Union européenne (UE) et la Banque centrale européenne (BCE) en Grèce. Malheureusement, ces constats n'ont aucun effet sur la Commission européenne puisqu'elle n'accepte d'accorder des prêts que si la Tunisie se soumet préalablement au diktat du FMI. Mais, les mesures dictées par le FMI ne bénéficient pas de l'appui de la population tunisienne (voir le soulèvement social de janvier 2014 provoqué par l'application de ces mesures, et qui a fait reculer le gouvernement).
Toutefois, son objectif n'étant pas de soutenir la transition démocratique, le FMI s'évertue à maintenir notre pays sous sa tutelle quel que soit le résultat des élections législatives prévues fin 2014.
Aujourd'hui, le 16 avril 2014, le Parlement européen a le pouvoir de s'y opposer en votant pour l'élimination de toutes les conditionnalités du FMI attachées au prêt de l'UE à la Tunisie. C'est le minimum que les parlementaires puissent faire s'ils veulent réellement aider le peuple tunisien et s'ils sont vraiment soucieux de la démocratie et respectueux de la souveraineté de la Tunisie.
Le projet de prêt de l'UE à la Tunisie est dénoncé par plusieurs mouvements sociaux et partis politiques tunisiens qui le qualifient de «toxique» du fait des conditionnalités du FMI et de son affectation au remboursement des dettes odieuses d'avant la révolution. Ils appellent les parlementaires européens à supprimer ces mesures d'austérité ainsi qu'à annuler la dette odieuse de la Tunisie héritée de l'ère Ben Ali.
C'est seulement à ces conditions que l'UE pourra prétendre aider le peuple tunisien.
* Ingénieur économiste.
Illustration: Visite du commissaire européen Stefan Füle à Tunis les 13 et 14 mars 2014.
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