On se doit de soutenir le gouvernement Mehdi Jomaa, non par de la complaisance ou par du silence, mais par une veille permanente et une contribution constructive à la relance de la machine économique.
Par Mohamed Chawki Abid*
Certes, ce gouvernement technocrate constitue réellement la dernière chance d'une traversée salutaire du reliquat de la phase transitoire, pour tenir les élections et engager, par la suite, un plan de développement quinquennal permettant de redresser les fondamentaux économiques, raccommoder le tissu social, et consolider la sécurité nationale.
A court terme, il ne faut pas se voiler la face, des mesures impopulaires (voire douloureuses) s'imposent urgemment pour éteindre le feu qui nous dévore. Aussi, faut-il que le chef du gouvernement décide de retoucher son gouvernement (au vu des prestations livrées pour le moment par les uns et les autres) et surtout de faire le toilettage de son back-office de conseillers à la faveur d'un renouvellement sélectif et d'une réduction de l'effectif dans un souci d'efficacité et de réactivité.
Je demeure convaincu que si nous ne traitions pas nos «hémorragies financières» par des coupes dans les dépenses budgétaires et des restrictions d'importations, nous ne pourrions jamais nous rétablir. Encore faut-il poser les problèmes convenablement en vue de leur identifier les remèdes appropriés avec un meilleur ratio efficacité/coût.
Maintenant, et afin de réunir les meilleures conditions de cohésion sociale et de solidarité citoyenne, il appartient à M. Jomâa d'esquisser un Plan de Sauvetage à communiquer dans les jours qui viennent, plan devant renfermer les mesures escomptées et classées par ordre d'impopularité croissante. Je citerais à titre indicatif:
1) l'annulation de la levée de compensation sur la boite de conserve de tomate;
2) l'annulation de la décision de renflouement des 3 banques publiques (pouvant demeurer provisoirement sous couvert de la Banque centrale de Tunisie);
3) la levée de la compensation sur les produits non consommés par les méritants (super sans plomb, diesel 50, produits alimentaires vendus aux grandes surfaces ou consommés par la restauration et l'hôtellerie, électricité d'habitations pour Q>5000KWh/an, gaz naturel pour Q>1500 m3/an, électricité de bureaux et bâtiments administratifs, etc.);
4) l'augmentation de la cotisation sociale aux caisses: 2% pour une bande salariale (à partir de 12.000D/an), et 4% pour une bande au-dessus, et 6% pour la bande supérieure (à faire supporter par l'employé);
5) la taxation des forfaitaires au titre de IRPP complémentaire, par ponction de 1% à 3% sur la facture de la Steg (selon l'activité);
6) l'augmentation temporaire de la TVA sur les produits de luxe (ancienne liste à 29%), à convenir selon la simulation;
7) la taxation provisoire des flux de trésorerie à 1%, avec les banques, les assurances, les chaines de supermarchés, les opérateurs de téléphonie, les concessionnaires auto;
8) l'émission d'un emprunt national d'un milliard de dinars, assorti d'incitations consistantes notamment en matière de prescription fiscale pour les montants souscrits;
9) la libéralisation des ventes de biens immobiliers aux Maghrébins, dans les zones touristiques et les quartiers huppés des grandes villes (ne produisant pas d'incidence sur les prix des logements sociaux ou à standing moyen), assortie à une taxation confortable (droit d'enregistrement à la charge de l'étranger);
10) la limitation partielle des importations de produits de consommation considérés temporairement non indispensables: véhicules de tourisme, produits alimentaires raffinés, produits cosmétiques, articles d'habillement et de draperie, etc.
Par ailleurs, un plan d'assainissement des finances publiques doit nécessairement être engagé avec nos bailleurs de fonds, et ce, concomitamment avec une atténuation provisoire des dispositions de l'Accord de zone de libre-échange avec l'Union européenne (UE) ainsi qu'à une révision tarifaire provisoire dans le cadre des accords de l'OMC.
Ce palier douanier provisoire est de nature à soulager la balance commerciale d'une part, et de renflouer les recettes douanières d'autre part.
Après consultation des initiés, il s'avère que sa négociation avec nos partenaires est envisageable eu égard aux circonstances particulièrement difficiles de la phase post-révolution pour la Tunisie.
Enfin, je me permets de m'adresser à plusieurs amis s'interrogeant sur l'opportunité de supporter le nouveau pouvoir exécutif. Je leur dirais : «Bien sûr qu'on se doit de soutenir ce gouvernement, non par de la complaisance ou par du silence, mais par une veille permanente et une contribution constructive». Aussi, le soutien du gouvernement n'est efficient que par la proposition de quick-wins viables et profitables, ainsi que par la suggestion de mesures efficaces sur les finances publiques sans trop d'effets indésirables sur les couches sociales défavorisées. Des rappels à l'ordre peuvent être émis en cas de glissade tant du comportemental que du verbal. Enfin, des warnings récurrents doivent être affichés au moindre dérapage par rapport à la trajectoire tracée pour arriver à bon port.
Toute cette alchimie doit être catalysée par une parfaite communication sans démagogie aucune. A nous de jouer.
* Ingénieur économiste.
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