Le 14 juin 2004, la Tunisie a perdu un grand militant nationaliste, un démocrate, honnête et intègre, et un homme de science de bon sens à qui la Tunisie doit sans doute beaucoup.
Par Mohamed Chawki Abid*
En commémoration du 10e anniversaire du décès du feu Mohamed Tahar Amira, Chiheb Bouden, directeur de l'Ecole nationale des ingénieurs de Tunis (Enit), organise le samedi 14 juin à 11h00, une cérémonie informelle pour inaugurer l'édifice rénové ''Fouledh 2'' et le baptiser «Bâtiment Tahar Amira». Ce fut le ''bâtiment de chimie'', ayant été construit au sein de l'Enit du temps où Tahar Amira dirigeait la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG), entre 1970 et 1975.
Un militant nationaliste
Le non-conformiste Mohamed Tahar Amira est né à Tunis en 1920, père de 4 filles. Issu d'une famille modeste et originaire de Beni-Khiar (Cap-Bon), il est l'un des premiers lauréats tunisiens des grandes écoles d'ingénieurs françaises, et le second diplômé tunisien de l'Ecole des mines de Paris (après feu Mohamed Ali Annabi, premier Tunisien X-Mines).
Ce grand patriote s'engagea très jeune dans la lutte contre le colonialisme. De retour à Tunis, il devient militant syndicaliste, et se met au premier rang des combattants pour devenir le principal organisateur de la résistance armée (1950-1952) qui fut la plus dure et la plus meurtrière. En sa qualité de responsable de la résistance armée, il fabrique les explosifs dans le sous-sol de sa maison familiale de Bab-Saâdoun, qu'il confie aux «fellaghas», en utilisant de vieilles montres comme déclencheurs des détonateurs, technique qu'il avait acquise et maitrisée lors de ses études à l'Ecole des Mines. Condamné à mort par contumace (1952), il s'enfuit à Tripoli, au Caire, puis à Jakarta (Indonésie), où il représente le mouvement de libération de la Tunisie auprès de la Conférence des pays non alignés de 1953 à 1955, à Bandung.
Un démocrate avant la lettre
Tahar Amira a été d'une grande droiture, aussi bien dans sa vie publique que privée. Il était profondément démocrate et n'hésita en aucun moment à dénoncer les manquements à la pratique démocratique de certains très hauts responsables de l'Etat. En juillet 1957, Bourguiba le convoqua pour lui offrir un ministère qu'il déclina, arguant du fait qu'il lui était inconcevable de siéger au gouvernement, alors que certains camarades de lutte croupissaient dans les geôles de ce même gouvernement. Tout ceci lui valut des adversités tenaces et des persécutions terribles. Trois semaines après la naissance en mars 1958 de sa fille ainée Fatma, il fut accusé à tort de complot yousséfiste, jeté en prison, jugé dans l'injustice, condamné pour à 20 ans de travaux forcés pour délit d'opinion, et envoyé au bagne de Porto-Farina (Ghar El Melh), avant d'être gracié en juin 1962.
Un pionnier et un fondateur
Tahar Amira a toujours fait la comparaison entre sa condamnation par contumace par la justice française, et sa condamnation à 20 ans de travaux forcés par ses compagnons de lutte. «Voici la différence entre une nation bien que coloniale, mais civilisée et basée sur le respect des individus, et une nation soi-disant jeune et révolutionnaire basée sur la torture et l'asservissement», disait-il à Fatma.
L'École nationale d'ingénieurs de Tunis (Enit) a été fondée vers la fin des années 60 officiellement par feu Mokhtar Laâtiri. Le projet était mené par une équipe d'ingénieurs tunisiens issus des grandes écoles françaises: Polytechnique (Mokhtar Laâtiri, Tijani Chelly, Mekki Zidi), Mines (Tahar Amira, Mustapha Béji, Osman Bahri, Lassâad Ben Osman), Centrale (Abdelaziz Zenaïdi), Télécom (Brahim Khouadja, Habib Ben Cheikh).
C'est dans ce cadre, que Fatma a repris les écrits de son papa, sur les actions entreprises et les persécutions dont il fut victime, pour les commenter et les apporter en témoignage de son honnêteté, de son courage et de son infinie tolérance.
C'est ainsi qu'en 2011, Fatma a publié un livre de 250 pages intitulé ''Mon père Tahar Amira, propos d'un non-conformiste''.
Prions Dieu le tout puissant d'accueillir Si Tahar Amira en son infinie miséricorde.
* Ingénieur économiste (Mines 1981).
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