Prétendre à la vocation africaine de la Tunisie requiert l'assimilation sans discrimination d'une partie visible et significative de sa propre population noire (10 à 15% des 11 millions de Tunisiens).
Par Abderrazak Lejri*
Dans une campagne électorale non avouée, le président provisoire Moncef Marzouki est en train d'achever son périple africain dans 4 pays: Mali, Niger, Tchad et Gabon.
De temps à autre, les régimes, y compris les 3 gouvernements provisoires depuis la chute de Ben Ali, surfent sur la vocation africaine de la Tunisie et la nécessaire réorientation de la politique de coopération avec les pays du continent auquel elle appartient, parallèlement à l'espace naturel et séculaire que représente la Méditerranée (la Tunisie réaliserait 80% de ses échanges avec l'Union européenne).
Malheureusement, toutes les instances (gouvernement, organisations professionnelles : Utica, Conect, chambres de commerce , Cepex, etc.) serinent depuis des années la même litanie de vaines promesses quant à la mise en place des pré requis à une significative progression de la coopération de la Tunisie avec l'Afrique subsaharienne.
Ainsi, toutes les missions sectorielles et les journées auxquelles sont conviés les opérateurs économiques sont jalonnées des mêmes discours vaseux, de l'énoncé de projets jamais réalisés (sauf ceux initiés par de courageux opérateurs à leur corps défendant) et des échanges des traditionnels porte-documents en cuir rouge de l'artisanat tunisien censés contenir des traités de coopération sans effet qui sont relégués rapidement aux archives.
Manifestation contre le racisme anti-noir à Tunis.
La vocation historique et géographique
Il est des pays qui ont une véritable vocation africaine historique de par la géographie (le Maroc avec sa prolongation du Sahara occidental), et l'Egypte qui veille à contrôler les sources du Nil depuis le Rwanda en passant par l'Ethiopie (ainsi l'ambassade d'Egypte à Kigali est l'une des plus imposantes représentations diplomatiques dans ce pays).
Nonobstant les travers qu'on peut associer à l'ancien régime dictatorial et bouffon de feu Kadhafi, la Libye a eu une vocation africaine volontaire et délibérée qui a permis, entre autres, de bâtir sans contrepartie une infrastructure administrative, bancaire et logistique dans beaucoup de pays pauvres subsahariens (Mali, Niger, Burkina-Faso, etc.) et jusqu' au Rwanda avec la construction de la grande mosquée, de l'hôtel Umubano à Kigali, des plantations de thé et j'en passe.
On peut certes tout reprocher à Kadhafi mais sûrement pas d'avoir été l'illuminé à qui on doit l'Union africaine (UA), son action en Afrique ayant été inachevée car sabotée par les mauvais relais (gestionnaires libyens) puis sabordée par les suppôts de l'Occident qui ont précipité sa chute (voir vidéo sur «Les vraies raisons de l'assassinat du guide libyen Kadhafi»).
Avec le tassement de la croissance en Occident et le déficit chronique budgétaire de l'Europe et des Etats-Unis, couplé avec une baisse inquiétante de la natalité, on a soudain «découvert» l'opportunité que représente un continent qui, tout en étant associé aux pires calamités (coups d'Etats, guerres civiles, sida, mauvaise gouvernance, etc.), représente, qu'on le veuille ou pas, un gisement de progrès économique (au taux de croissance insolent) peuplé par une jeunesse d'une grande vitalité.
Depuis, sont rentrés dans le jeu la Chine et la Turquie à côté de l'Afrique du Sud, qui a toujours représenté un géant économique dans le continent noir.
Les fondamentaux manquants
Je ne vais pas revenir sur ce que j'ai écrit le 28 janvier 2012 «Les freins à l'exportation tunisienne vers l'Afrique», mais les fondamentaux restent les mêmes : la couverture déficiente du transport notamment aérien, la densité indigente de la représentation diplomatique (avec pour corollaire la politique des visas dans les deux sens) et la présence quasi inexistante d'un réseau bancaire tunisien qui vient épauler les opérateurs économiques.
A chaque fois, les responsables tunisiens (que cela soit à Tunis lors des manifestations professionnelles ou lors des visites officielles dont l'actuelle visite du président Marzouki à 4 pays africains) ne font que signer des protocoles, projeter plus de coopération, et faire des promesses jamais tenues dans le cadre de tentatives timorées quand le Maroc réalise une pénétration effective et concrète.
Le racisme anti-noir qui perdure
Là-dessus, sans vouloir me référer à moi-même – voir le billet écrit le 2 mai 2012 sous le titre «Ce que les Tunisiens pourraient apprendre de l'Afrique subsaharienne» – je renvoie à un article paru dans le journal ''La Presse de Tunisie'' du 01/10/2013 concernant le «Malaise et l'insatisfaction des étudiants Africains en Tunisie» où il question de lettre ouverte relatant les exactions, brimades, agressions caractérisées par un racisme primaire de l'administration et la police dès lors que l'on est noir.
Il ne suffit pas que l'on rappelle à titre anecdotique que la Tunisie nommée «Ifriquia» a donné son nom à tout le continent (qui a valu le qualificatif d'«ignorant » envers le peuple tunisien de la part de l'unique président qui ne manque jamais une occasion d'insulter ses propres concitoyens surtout lorsqu'il est à l'étranger) ou que Hannon le Carthaginois a découvert le Mont Cameroun, appelé char des dieux, avant même que les Portugais, Espagnols et Hollandais ne découvrent la rive atlantique de l'Afrique ou que l'on ait été le premier pays à abolir l'esclavage.
Encore faut-il que les Tunisiens sortent de leur déni et leur ostracisme et admettent une fois pour toutes (même si cela n'est pas politiquement correct) leur racisme primaire envers les noirs et plus particulièrement envers leur propre population noire.
Il faut avoir assisté aux marches organisées par l'Association tunisienne de soutien des minorités (ATSM) et avoir constaté l'étonnement non innocent de certains passants qui s'estiment choqués que ce faux problème soit soulevé !
Une architecte tunisienne relate les continuelles tracasseries policières et des brimades de son entourage depuis qu'elle sort avec un ami Camerounais.
Prétendre à sa vocation africaine requiert l'assimilation (via les mariages mixtes, la promotion dans l'emploi, un travail social dès le jeune âge) sans discrimination d'une partie visible et significative de sa propre population (qui représente de 10 à 15% de la totalité des 11 millions de Tunisiens).
* Pdg du Groupement Informatique.
Illustration: Images de la tournée de Marzouki dans 4 pays soubsahariens (ici Mali et Tchad).
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