Visiblement, le13 août devient la fête des hommes politiques qui ne manquent pas cette occasion pour se manifester, se (re)positionner et faire des discours...
Par Monia Kallel*
On en distingue deux types : les discours des progressistes qui félicitent la femme et énumèrent ses acquis, ce qui ne les empêche pas de douter de ses compétences en matière de décision politique ou de s'opposer à l'idée de l'égalité dans les têtes de listes électorales...; et les discours des conservateurs qui, compte tenu de la réalité et des traitements que subissent les femmes dans les pays gouvernés par les «Frères» et les traditionalistes, de l'Iran, à l'Arabie Saoudite, à l'Irak, en passant par la Turquie, éprouvent le besoin de justifier leurs «festivités» et de s'inventer des récits légitimants.
Bourguiba : l'absent présent
L'allocution de Moncef Marzouki, en ce 13 août 2014, est significative. Le président provisoire de la république passe sur la chaîne Watania1 moins pour rendre hommage au président fondateur que pour nous conter l'Histoire qui, dit-il, a été faite par deux acteurs: Bourguiba, cité en une phrase, et Tahar Haddad qu'il présente par sa formation religieuse, «zitounien», quitte à devoir rappeler, à travers le récit de son enterrement (suivi par «3 individus et un chien», précise-t-il), que le zitounien a été renié par les siens...
Une fois n'est pas coutume: Ghannouchi pose avec des femmes d'Ennahdha, le jour de leur fête. Le leader islamiste n'oublie pas que la moitié des électeurs sont des électrices.
Le locataire du Palais de Carthage sait bien que, sans la détermination du politicien, les idées du théologien seraient restées lettres mortes, et que le Code du statut personnel (CSP) est né dans un instant historique marquée par la rencontre entre le jeune président Bourguiba, nourri de la pensée des Lumières, et le cheikh Tahar Haddad, en rupture avec sa propre institution. Mais, M. Marzouki n'explique pas, il préfère rester dans le lapidaire et l'allusif: cet apparent hommage à la femme s'inscrit, en réalité, dans le programme islamiste basé sur le lien entre le fait religieux et le fait politique.
Le discours de Rached Ghannouchi est un modèle du genre. Les circonstances nationales et internationales imposent l'islamisme dit modéré. Fini alors le temps où le cheikh montre son ressentiment à l'égard du président fondateur allant jusqu'à refuser de dire «Allah yarhamou» (Que Dieu le prenne en sa miséricorde), comble du mépris pour un musulman. Il s'agit d'endosser la posture du politicien respectueux de la mémoire et de l'héritage d'un peuple. Mais, comme c'est souvent le cas, son verbe révèle le fond de sa pensée.
Les femmes d'Ennahdha venues écouter le président de leur mouvement... aux prises avec une crise de féminisme aiguë.
Il y a d'abord, dans son discours du 13 août prononcé devant ses militants, cette phobie de l'ancien régime qui le pousse à suggérer «une loi qui criminaliserait toute revendication ou tout appel du retour de Ben Ali». Et le cheikh n'est pas sans savoir qu'une telle loi est en contradiction avec la constitution qui garantit la liberté de dire et de choisir. Il n'est pas sans savoir aussi que Ben Ali a été plus clément que son prédécesseur avec les islamistes (on parle même d'un accord tacite entre eux durant les dernières années de son règne) et que «l'artisan du 7 novembre» ne fut, sur le plan politico-social, qu'un mauvais exécutant du projet de Bourguiba avec ses deux closes majeures: la femme et l'unification de l'enseignement public (qui a mis fin à l'enseignement religieux).
La colère du cheikh contre les nostalgiques de Ben Ali est donc dirigée en réalité contre l'œuvre du président fondateur...
Ghannouchi : le marieur
Plus que l'oeuvre, c'est tout l'esprit bourguibien qui a été malmené en ce 13 août 2014 où Ghannouchi fait cette curieuse recommandation aux hommes d'épouser «les divorcées et les plus de 30 ans» et de fonder une famille. Il est clair que pour le cheikh, la femme représente un objet précieux pour la construction de l'édifice social dont il rêve et non un être libre, autonome, ayant sa propre vision du monde, du langage et de la politique.
Nida Tounes, parti bourguibiste et moderniste, envoie un homme, Taïeb Baccouche, son secrétaire général, pour présider le meeting de la Jounée nationale de la femme.
Le discours de Ghannouchi soulève deux questions au moins.
La première est en rapport avec l'idée de l'augmentation du nombre des femmes célibataires, manière indirecte d'accuser l'institutionnalisation du monothéisme. Si ce déséquilibre (à cause de la modernité selon la logique islamiste) qui inquiète tant les Nahdaouis et qu'aucune étude sérieuse n'a pourtant expliqué, ni même confirmé, venait à s'inverser, le cheikh conseillerait-il aux femmes d'épouser les divorcés et les plus de trente ans? Et éventuellement de prendre un second époux?
La deuxième est relative à l'appel lancé aux députés du peuple: que penserait le cheikh d'une loi qui criminaliserait tous ceux qui dénient ou marginalisent l'oeuvre du fondateur de la république et de l'école des femmes tunisiennes?
* Universitaire.
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