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Toute alliance entre Nida Tounes et Ennahdha sera perçue par la majorité des Tunisiens comme une trahison de la volonté populaire.

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

Le peuple tunisien s'est librement et pacifiquement exprimé à travers le scrutin. Que signifie, finalement, le vote du dimanche 26 octobre 2014, quelle(s) leçon(s) faudra-t-il en tirer et quel(s) message(s) les électeurs ont-ils adressé(s) à la classe politique?

Il est, tout d'abord, à noter que le taux de participation de 60% mérite la mention «pouvait mieux faire», car si nous avons évité l'abstention record que tout le monde craignait, plus d'un million de nos compatriotes manque à l'appel par rapport aux précédentes élections de la constituante de 2011.

Il semble, d'autre part, de l'avis de nombreux observateurs, que les jeunes ont, plutôt, boudé les urnes et que c'est parmi cette catégorie d'électeurs que l'abstention a été la plus importante. Cela mérite amplement réflexion et ne peut qu'interpeler tout responsable politique.

Nette désaffection du personnel politique

Autre constatation amère et de taille: si, sur la côte, le taux de participation a, généralement, dépassé les 70%, grimpant à plus de 78% des votants à Tunis2, il retombe à plus ou moins 60% à l'intérieur du pays et, plus particulièrement dans les gouvernorats les plus défavorisés. Avec à peine 60% à Kasserine et à Sidi Bouzid, le berceau de la révolution ou 61% à Kairouan et Tataouine, les déçus du changement opéré le 14 janvier 2011 et qui n'ont encore rien récolté des grands sacrifices consentis à Thala, Regueb et ailleurs, expriment une nette désaffection du personnel politique qui s'est lamentablement donné en spectacle durant ces trois dernières années sous la coupole du palais du Bardo.

Si l'abstention pourrait ainsi se traduire par un refus des politiciens qui ont démérité aux yeux des citoyens, le bulletin de vote a, manifestement servi, encore davantage, à sanctionner les dirigeants des partis de la Troïka qui ont été au pouvoir en 2012 et 2013 avec le bilan lamentable que tous connaissent. De ce point de vue, le score ridicule du Congrès pour la république (CpR) du président provisoire de la république comme celui d'Ettakatol du président de la Constituante, soit 4 sièges pour le premier et 1 pour le second, et, en plus, obtenu après un repêchage discutable, sonnent comme un clair et retentissant désaveu de l'alliance de ces partis démocrates et laïcs avec Ennahdha, un parti prônant, lui, l'islam politique et «l'islamisation» de la société tunisienne.

Les dommages collatéraux du vote utile

L'appel insistant et, dans une certaine mesure, irresponsable, au «vote utile» a balayé d'autres partis de la famille démocratique, à l'instar d'Al-Massar qui paie très cher les divers changements de son «enseigne» – anciennement PCT, puis Ettajdid, puis Al-Qotb, puis Al-Massar, mais se présentant aux élections sous l'étiquette de l'Union pour la Tunisie (UpT)! Ce sont, en effet, les tenants du vote utile qui sont les premiers responsables de la bien regrettable absence de la future Assemblée du Peuple de certains des ténors d'Al-Massar qui ont fait, pourtant, si souvent et avec un grand brio, leur preuve à la défunte Constituante.

Certes, la rédaction de la Constitution fut une œuvre éminemment collective, mais l'apport de Fadhel Moussa, Salma Baccar, Salma Mabrouk, Nadia Chaabane ou, encore, Samir Ettaïeb a, de l'avis général, donné sa coloration moderniste et progressiste à la Charte nationale du 27 janvier 2014. C'est là une vérité qu'il fallait rappeler et que l'histoire retiendra sans aucun doute.

C'est encore au «vote utile» qu'il faudrait imputer, au moins en partie, la cinglante déroute du parti Al-Jomhouri. En partie seulement, car cette formation a été sanctionnée, essentiellement, pour le coup de grâce qu'elle a donné au clan démocratique en quittant très tôt la première UpT qui regroupait l'ensemble de la grande coalition de partis progressistes opposés à la dangereuse confusion entre religion et politique.

Défiance envers le double langage des islamistes

Cette confusion entre religion et politique, marque de fabrique du parti islamiste Ennahdha, c'est, précisément, ce que les Tunisiens, dans leur grande majorité, viennent de rejeter en apportant leurs voix à Nida Tounes. C'est le projet d'une société ouverte et tolérante prôné par le parti de Béji Caïd Essebsi que les électeurs ont, d'abord et essentiellement, choisi grâce à leur vote. Vote refuge ou, si l'on veut, vote sanctionnant le discours de la discorde et de la haine tenu par les islamistes durant ces deux dernières années.

En retirant leur confiance au parti conservateur religieux majoritaire dans l'ancienne assemblée élue en 2011, les électeurs ont, également, manifesté leur défiance envers les tenants du double langage qui n'ont pas, en outre, tenu les promesses mirobolantes largement prodiguées lors de la campagne pour la Constituante.

Pour toutes ces raisons, toute tentative d'associer prochainement les islamistes au pouvoir, toute alliance entre Nida et Ennahdha ne seront perçues par la majorité des Tunisiens qui viennent de voter que comme une dénaturation, voire même une trahison de la volonté populaire clairement exprimée à travers le scrutin du 26 octobre. Le jeu démocratique implique nécessairement des gagnants et des perdants, les uns au pouvoir, les autres dans l'opposition attendant leur tour.

Il reste à Nida à s'en tenir à ses promesses et à ne s'associer qu'avec les seuls partis qui partagent, sans ambiguïté aucune, ses valeurs de démocratie, de progrès, de liberté, de tolérance, d'ouverture et de modernité. En dehors de cette option imposée par les urnes, il n'y aura qu'un colossal gâchis politique qui rejaillira, à la première occasion, comme un violent boomerang à la figure de tous «les Machiavels qui règlent nos destins» et des petits magouilleurs de la classe politique. Et c'est toute la Tunisie qui perdra, qu'à Dieu ne plaise, à ces viles tractations en perspective qui s'apparentent à un déni du principe de base de la démocratie et des élections.

A bon entendeur, salut!

*Universitaire.

 

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