Voter pour Béji Caïd Essebsi, c'est voter pour une Tunisie stable, une et indivisible, souveraine, respectueuse des droits de l'homme, tolérante, ouverte et prospère.
Par Abderrahman Jerraya*
Le 1er tour du scrutin présidentiel du 23 novembre 2014 s'est déroulé, de l'avis de tous les observateurs, dans des conditions de sécurité totale, sans dépassements notables, susceptibles d'influencer les résultats du vote dans un sens ou ans l'autre.
Le mérite en revient aux forces de l'ordre, à l'armée, aux représentants de la société civile ainsi qu'à l'Instance des élections (Isie) qui ont mis les bouchées doubles pour faire en sorte que les opérations de vote se passent dans les meilleures conditions possibles.
Il s'agit là d'un démenti cinglant à tous ceux qui prétendaient que les Tunisiens n'étaient pas prêts pour la démocratie. Bien au contraire, ils ont montré qu'ils étaient capables d'exprimer librement leur choix, dans le calme et la sérénité.
Les Tunisiens ont tranché
Même si pour un grand nombre des électeurs, ce choix n'était pas si facile, si évident dès lors que la cohorte des concurrents pour le palais de Carthage comportait initialement pas moins de 27 candidats venus d'horizons divers. Certains d'entre eux sont plus ou moins connus du public; d'autres semblent venir d'une autre planète, mais tous avec l'intention de solliciter les suffrages de leurs concitoyens soit à titre individuel en tant qu'indépendants, soit au nom des partis auxquels ils appartiennent.
Outre cette pléthore de candidats, le discours de ces derniers, répétant toujours les mêmes slogans, à quelques nuances près, n'étaient pas de nature permettre l'opinion de distinguer facilement entre le vrai et le faux, entre ce qui est crédible et ce qui ne l'est pas. D'autant que les Tunisiens ont longtemps été floués par des promesses non tenues. C'est pourquoi on comprend leur méfiance à l'égard des politiques et leur scepticisme quant à l'utilité du vote.
Les médias, aussi bien publics que privés, audiovisuels notamment, qui ont observé une certaine neutralité, ont eu beau expliquer, à travers les interviews avec les concernés, les enjeux d'un scrutin présidentiel pourtant sans précédent. Rien n'y fit, tout un pan de la société et en particulier les jeunes (38% environ des inscrits) l'ont boudé.
Tout se passait comme si ces abstentionnistes avaient perdu toute illusion, tout espoir en la sincérité, la volonté et la capacité des prétendants à la magistrature suprême d'inverser le cours des choses et de concrétiser des lendemains meilleurs.
Pourtant les enjeux de ces élections sont de taille. Il s'agit rien de moins que de l'avenir du pays en tant qu'entité indépendante et souveraine ainsi que des conditions de vie qui se sont fortement dégradées pour la majorité écrasante des Tunisiens. Mais quelle que fût l'importance accordée à l'un ou à l'autre, la répartition des voix des électeurs s'était faite non sur des programmes mais sur une base partisane (certains diront régionaliste!). Ce qui signifie qu'en dehors des partis, il n'y a guère de chance pour les concurrents d'être dans le peloton de tête. Et c'est une dure leçon que les indépendants ont apprise à leurs dépens.
Il en est de même pour les symboles de l'ancien régime qui ont essuyé un verdict sans appel du peuple, les excluant pour longtemps du paysage politique national. Ainsi débarrassé de ses canards boiteux, de ses «scories», ce dernier en est sorti assaini, épuré. Il a gagné en lisibilité et en cohérence.
La preuve par cinq
N'ont finalement émergé du lot que 5 candidats ayant un certain poids électoral sur les 27 de départ. Cet élagage aurait pu être parfait n'eût été l'immersion dans la sphère politique de 2 partis à vocation populiste: l'un dirigé par Hachemi El-Hamdi vivant à l'étranger et l'autre par Slim Riahi, un richissime responsable d'un club de football aussi fétiche que populaire, qui ont gagné respectivement 5,7% et 5,5% des voix exprimées. Mais comme le parfait n'est pas de ce monde, on serait enclin d'être satisfait de noter que la dernière étape de la transition démocratique était sur le point de s'achever avec succès, sans anicroche, sans dispute et sans violences physiques, faisant émerger 3 candidats représentant 3 courants de pensée: Béji Caïd Essbsi (BCE), Moncef Marzouki et Hamma Hammami, avec, respectivement, 39,4%, 33,3% et 7,8% des voix. Au vu de ces résultats, seuls donc les 2 premiers se mesureront au second tour.
Si, pour le 1er, il n'y a pas de mystère : sa base électorale est constitué par les partisans de Nida Tounès, vainqueur des législatives du 26 octobre 2014. Il n'en va pas de même pour le second, dans la mesure où son propre parti a essuyé un échec cuisant lors des mêmes législatives. En réalité, M. Marzouki a été propulsé en avant par un «parti fantôme» qui s'est refusé à décliner son identité que tout le monde a deviné. Il s'agit en l'occurrence du parti islamiste Ennahdha, la 2e force politique du pays, dont les dirigeants sont passés maîtres dans le double langage et le mensonge.
Voilà un parti qui a déclaré qu'il n'était pas intéressé par la présidentielle, qu'il ne présenterait pas de candidat en son nom, préférant mettre le paquet sur les législatives. C'était son choix et on l'a respecté. Mais une fois que le score obtenu s'est révélé en-deçà de ses espérances, il a changé de stratégie pour aller porter secours, en catimini, à son ex-allié de la «troïka». Lequel était menacé de connaître le même sort et la même déroute que son parti, le Congrès pour la République (CpR).
Eviter le clivage entre Carthage et la Kasbah
Tout cela est, certes, de bonne guerre. Mais dans le cas présent, cela confirme le fait qu'Ennahdha, fidèle à son idéologie, demeure, quoiqu'en disent ses dirigeants, un parti totalitaire, n'acceptant le verdict des urnes que lorsqu'il est à son avantage, ne reculant devant rien pour garder le pouvoir. Car en apportant son soutien au locataire actuel du Palais de Carthage, il sait par expérience qu'il en serait, lui, le vrai maître. Si par malheur son stratagème réussissait, l'Etat entrerait dans une crise politique grave, avec à sa tête 2 pouvoirs antinomiques : l'un à la Kasbah et l'autre à Carthage. Un clivage abyssal les sépare: celui de la Kasbah serait à vocation fondamentalement nationale, et porteur d'espoir, l'autre, obéissant à des agendas extérieurs, prônerait un dogme anachronique inspiré par la confrérie des Frères musulmans à laquelle Ennahdha est officiellement affilié.
Quant à la crainte d'hégémonie découlant du cumul des 2 pouvoirs que le protégé du parti islamiste n'a eu de cesse d'agiter comme épouvantail, elle n'existe que dans son imaginaire. Qu'il prenne d'abord ses distances vis-à-vis des salafistes radicaux et des hors-la-loi des Ligues de protection de la révolution (LPR) pour être tant soit peu crédible aux yeux des Tunisiens et qu'il sache que la Tunisie avec sa société civile combative, sa justice indépendante et ses médias qui veillent au grain, est désormais immunisée contre un retour hypothétique de la dictature.
C'est pourquoi voter BCE, c'est voter pour la stabilité, pour une Tunisie une et indivisible, souveraine, respectueuse des droits de l'homme, tolérante, ouverte et prospère.
* Universitaire.
Articles du même auteur dans Kapitalis:
Le prochain gouvernement tunisien: Une équation à plusieurs inconnues
Tunisie : Radioscopie de l'échiquier politique à l'approche des élections
Ennahdha et extrémisme religieux: une alliance à haut risque
{flike}