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Les nouvelles autorités tunisiennes sauront-elles promouvoir l'image de marque du pays, historiquement articulée autour des valeurs de paix, de tolérance et d'ouverture?

Par Ali Guidara*

Les récentes élections ont remis la Tunisie à la une de plusieurs médias internationaux, qui vantent les succès du pays, qui a réussi à traverser une transition politique mouvementée dans un environnement régional jugé désastreux et hostile.

Il y a donc des raisons objectives qui font à nouveau parler de la Tunisie, qui se distingue par la naissance d'une démocratie véritable, dans un contexte de concorde nationale. Un facteur qui impressionne les observateurs étrangers, qui scrutent l'évolution de la région avec, à la fois, attention et inquiétude.

Autant dire que le succès du processus électoral tunisien offre une rare seconde chance à la Tunisie pour se tailler une place dans le monde d'aujourd'hui. Le pays saura-t-il être à la hauteur de cette victoire ?

D'hier à aujourd'hui

En effet, la première chance, offerte à la Tunisie suite à la chute de la dictature et à l'organisation des premières élections libres, a fini par décevoir beaucoup de monde à cause de la tournure des événements.

Après avoir émerveillé la planète par une révolte populaire exigeant la liberté et la démocratie, le pays a très vite sombré et fait la une des mauvaises nouvelles dans les médias. Le monde a été profondément choqué par l'émergence de la violence, et le déferlement de groupuscules fanatiques et de prédicateurs primitifs appelant à l'instauration d'une théocratie et semant la haine, la terreur et la violence, allant jusqu'à l'attaque de représentations diplomatiques et l'assassinat d'opposants politiques et d'autres citoyens, sous l'œil protecteur d'une «troïka» (coalition gouvernementale dominée par les islamistes d'Ennahdha, NDLR) au mieux muette, au pire complice.

Les espoirs des Tunisiens et des partenaires du pays se sont vite évanouis, laissant la place à l'inquiétude et au pessimisme, et faisant détourner les regards déçus du monde civilisé.

La fin des idéologies?

Fort heureusement, le déroulement des élections législatives et présidentielles de 2014, qualifiées d'exemplaires par plusieurs instances nationales et internationales, ont remis la Tunisie sur le devant de la scène.

Les observateurs et les médias vantent à nouveau ce pays qui a su dépasser, par le dialogue, les différends et les clivages politiques pour créer un véritable consensus au sein de la classe politique.

Le pays a aussi su contenir la menace terroriste qui bénéficiait jadis de la complicité de certains courants idéologiques et de certains responsables politiques.

Aujourd'hui, les déclarations des uns et des autres portent à croire que les références idéologiques, omniprésentes pendant la période de transition, tendent à se diluer dans la démocratie: le pragmatisme et le compromis semblent avoir triomphé auprès d'une bonne partie des politiciens, mais aussi auprès de la population, qui doit cependant rester vigilante.

Avec cette accalmie des dogmes en politique, le pays saura-t-il donner des signaux clairs d'une maturité politique ayant pour socle des idées, des projets, des programmes fédérateurs afin de mieux promouvoir et défendre les intérêts de la Tunisie, loin de toute orientation dogmatique désuète?

Beji-Caid-Essebsi-et-Habib-Essid

Le 5 janvier 2015, le président Caïd Essbsi charge Habib Essid de constituer le nouveau gouvernement.

Retour sur l'identité

Les rares qui évoquent encore la vieille antienne de l'identité démontrent ainsi qu'ils n'ont rien d'autre à dire ou à offrir à cette démocratie naissante. Il est évident que tout combat identitaire est perdu d'avance. Pourquoi? Parce que les identités sont non seulement mouvantes et par le fait-même indéfinissables, mais elles menacent l'unité nationale, basée essentiellement sur la citoyenneté. Le temps tribal est révolu.

Dans le monde contemporain, cette notion d'identité, telle que certains se plaisent encore à l'instrumentaliser, n'est le fait que d'un frileux repli sur soi, et de divisions destructrices. La population aspire plutôt à la stabilité, à la relance économique et sociale du pays, et à une bonne gouvernance.

La Tunisie s'inscrit dorénavant dans un monde libre, moderne et ouvert, qui s'enrichit tous les jours par les apports des uns et des autres. Saura-t-elle agir dans cette direction pour accomplir plus d'ouverture et de progrès, voire être à l'avant-garde de cette tendance pour être plus attrayante aux yeux du monde et insuffler un nouveau coup de jeune et de modernité à cette république?

Promouvoir le label Tunisie

Les politiciens sont désormais sur des sièges éjectables, et c'est le signe d'une véritable démocratie. Ils ont un devoir de réussite, sous peine du jugement des urnes. Ils ont l'obligation de tout faire pour saisir rapidement la chance qui s'offre aujourd'hui à la Tunisie afin de promouvoir le pays, sans réticence et sans complaisance, et tirer les bénéfices d'une promotion qui a déjà commencé sur la scène internationale, à travers plusieurs médias, institutions et personnalités.

Le nouveau pouvoir élu, fort de sa légitimité, doit non seulement consolider la démocratie et l'État de droit – condition sine qua non pour éviter tout discrédit du pays à l'international –, mais il faudra aussi qu'il fasse preuve de beaucoup d'imagination et d'efforts pour mener un branding national stratégique. C'est une occasion en or qui s'offre aujourd'hui au pays pour réussir et prospérer, et il dispose de tous les atouts à cet effet.

Prenons exemple sur plusieurs pays dans le monde, petits et jadis émergents, et qui sont aujourd'hui développés et prospères. Ils ont su faire preuve d'imagination pour promouvoir leurs atouts et les capitaliser afin d'attirer investisseurs, compétences et touristes, et bien faire usage de leurs ressources humaines et naturelles. Ils ont surtout su se mettre au labeur.

La Tunisie a mené une bataille civilisée pour effectuer un tournant politique remarquable. Ce faisant, elle marque de son empreinte la région, en proposant la culture du consensus et de la stabilité.

Les nouvelles autorités sauront-elles relever le défi et promouvoir l'image de marque de la Tunisie, une image historiquement articulée autour des valeurs de paix, de tolérance, de progressisme et d'ouverture? Une chose est sûre : elles n'ont pas droit à l'échec. Une troisième chance ne passera pas.

* Conseiller scientifique, spécialiste en analyse et management de politiques publiques.

 

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