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Il faut être naïf pour croire à une réelle métamorphose du mouvement islamiste tunisien aux idées rétrogrades, et revendiquées comme telles jusqu'à il y a peu?

Par Ali Guidara*

À l'approche des élections d'octobre 2014, le mouvement islamiste ratisse large dans son recrutement des candidats, dans ce qui ressemble à une tentative de se donner une image lissée, écartant les moins présentables de ses élus et intégrant des vedettes d'horizons divers.

Dans cette nouvelle pièce, il mobilise aussi bien ses «faucons» que ses «colombes», qui rivalisent de déclarations publiques et de prises de position qui se veulent patriotiques, contre toutes les formes de violence, voire féministes, qui pourraient faire croire aux plus distraits en une réelle métamorphose de ce mouvement aux idées pourtant jusqu'à il y a peu rétrogrades, et revendiquées comme telles.

Changement de fréquence

Ces tentatives visent évidemment à convaincre la population que les islamistes ont changé et qu'il faut désormais les compter parmi les démocrates, et pourquoi pas parmi les progressistes, si l'on en croit certaines déclarations bien médiatisées. Ils savent pertinemment que leur discours traditionnel imprégné d'instrumentalisation du religieux au profit de leur parti a perdu bien des adeptes et qu'il n'a finalement jamais trouvé en Tunisie un terrain fertile pour vraiment s'épanouir. Ils changent donc le fusil d'épaule pour mener à bien une nouvelle bataille qui leur donnera l'occasion de retourner au pouvoir, pour une période longue, cette fois non contestable. Un pouvoir qu'ils ne quitteront plus, une fois leur toile encore mieux tissée à travers les institutions publiques et les réseaux populaires. Les exemples ne manquent pas...

Chacun sait que l'oubli est une «faculté» populaire qui rend bien des services aux politiciens. Mais cette fois-ci, il faudrait être amnésique pour ne pas voir dans cette dernière opération de charme une nouvelle tentative de berner la population, dont une partie a cru les islamistes sincères et pieux et leur a fait confiance lors des premières élections postrévolution.

Du populisme trompeur

Plusieurs islamistes nous gargarisent du respect de la démocratie dans le seul but d'en détourner le sens et les finalités. Ils présentent pour preuve que la troïka, dominée par le mouvement islamiste, a quitté le pouvoir de sa propre initiative et par respect pour la démocratie. Non seulement ils passent sous silence la forte mobilisation des forces civiles et progressistes pour sauver le pays d'un désastre, mais ils tentent de nous faire croire qu'ils détenaient le pouvoir d'une façon légitime alors que la troïka était déjà dans l'illégalité depuis plus d'un an à leur départ. Le maintien du président provisoire de la république en place indique d'ailleurs qu'une partie de cette troïka est toujours là.

Ennahdha-assemblee

Il y a encore quelques mois , les députés islamistes ne voulaient pas inscrire l'égalité homme-femme dans le texte de la Constitution.

Les dernières prises de position du mouvement islamiste tentent de nous convaincre que l'égalité entre hommes et femmes lui tient à cœur. Pourtant, nous n'oublions pas que, lors des débats sur la nouvelle Constitution, les élus de ce mouvement se sont battus vigoureusement pour faire de la femme un simple complément de l'homme, dans le but d'anéantir des décennies de libération de la femme en Tunisie. C'est bien malgré eux qu'ils ont dû reculer.

Les islamistes nous disent désormais qu'ils sont contre toute forme de violence. Nous n'oublions pas que c'est grâce à leur laxisme ─ et le mot est faible ─ que la violence s'est importée dans ce pays pacifique et modéré. Ce sont des réseaux affiliés à la mouvance islamiste qui ont assassiné des opposants et agressé la société civile, les journalistes, les artistes et les universitaires. Ce sont des extrémistes se réclamant d'une même doctrine qui ont émis des décrets de mort contre ceux qu'ils ont jugés mécréants. Pendant que des prédicateurs extrémistes étaient invités dans notre pays pour prêcher la haine, la violence, le meurtre et même l'excision des femmes, sujet dont la majorité écrasante des Tunisiens n'avaient jusqu'alors jamais entendu parler.

Dans une métamorphose plus que suspecte, les ténors des islamistes se sont transformés du jour au lendemain en chantres de la diversité à la tunisienne et aux visages multiples de ce pays multimillénaire. Il n'y a pourtant pas si longtemps, les mêmes voulaient nous imposer une identité monolithique et artificielle. Celle d'un clonage d'individus à travers un prisme idéologique d'une nation imaginaire : la nation des islamistes. Allant même jusqu'à l'occupation de lieux de cultes et de lieux publics pour imposer leur idéologie par la terreur. Ordonnant à celles et à ceux qui tiennent à la diversité et à une véritable démocratie libérale et qui ne veulent pas de l'islamisme comme mode de gouvernement, de quitter la Tunisie, comme si le pays était devenu une propriété privée des islamistes et de leurs commettants.

Nous n'oublions pas non plus la tentative d'endoctrinement d'enfants dans des garderies distillant un enseignement marqué du radicalisme islamiste dès leur jeune âge. Les déclarations d'un grand leader islamiste (le très modéré vice-président d'Ennahdha Abdelfattah Mourou pour ne pas le nommer) qui voulait miser sur le formatage des jeunes générations pour créer l'homme nouveau islamiste n'ont pas disparu de nos mémoires, même s'il tente de jouer opportunément l'amnésique aujourd'hui.

Le combat continu contre le dogmatisme

Il y a encore une foule d'autres exemples qui démontrent le désastre causé par le passage des islamistes et de leur troïka en cette période de transition vers la démocratie. Les démocrates et les progressistes doivent dénoncer sans relâche les dépassements et abus récents des islamistes et de leurs serviteurs. L'attachement aux libertés et aux valeurs démocratiques le leur commande.

Les-enfants-de-Ghannouchi

Les extrémistes religieux, "enfants" de Ghannouchi, attaquent l'ambassade des Etats-Unis à Tunis, le 14 septembre 2012.

Si les islamistes étaient vraiment des démocrates, ils nous l'auraient déjà démontré lors de leur passage au pouvoir. Or, ce pouvoir, ils l'ont confisqué au mépris de toutes les règles d'éthique et ne l'ont quitté qu'une fois acculés par la forte mobilisation citoyenne qui a secoué leurs rangs. En tacticiens avertis, ils reviennent avec un discours remis au goût du jour.

Seule la mobilisation citoyenne permanente pourra les empêcher de causer d'autres dégâts, et c'est en quoi les prochaines élections sont déterminantes. Il ne faut jamais perdre de vue que c'est lorsqu'ils se sentent forts que les islamistes montrent leur vrai visage; ils attendent avec patience le moment de s'attaquer à nos acquis et à notre modernité. Et s'ils arrivent une nouvelle fois au pouvoir, ce moment arrivera tôt ou tard.

Quelles que soient leurs déclarations et leurs prises de position, et quelles que soient leurs dénominations et leurs appartenances groupusculaires, les islamistes de par le monde appartiennent au même courant idéologique, nourri des mêmes références dogmatiques et qui défendent un projet politique unique qui est l'essence même de l'islam politique, celui de l'instauration de l'idéologie islamiste au pouvoir, partout. Les actualités mondiales sont là pour nous le rappeler, douloureusement.

* Conseiller scientifique, spécialiste en analyse et management de politiques publiques.

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