Le processus de la révolution et de la transition démocratique est en danger, estime Vérité Action* dans ce troisième et dernier article dressant un bilan à mi-chemin de la transition tunisienne.


Nous relevons, selon nos propres constatations sur le terrain, un net recul de la question de la sauvegarde des droits de l’homme en Tunisie, avec notamment les sacro-saintes compétences dévolues à la police pour amener la stabilité.
Nous tirons la sonnette d’alarme sur la question de la torture et des demandes des personnes lésées à faire prévaloir la justice et être rétablis rapidement dans leurs droits fondamentaux en tant que citoyens.  
Pourtant, cette question ne semble pas prioritaire dans le contexte actuel marqué par des discussions interminables sur les prochaines élections.

La société civile a la tête ailleurs  
Les familles des victimes de la répression sont abandonnées à leur sort et très peu orientées sur la meilleure façon de faire valoir leurs droits contre les tortionnaires et les «snipers» entre autres.
La société civile ne prend pas suffisamment sa responsabilité dans la poursuite des violations des droits de l’homme ni dans le soutien des victimes de la torture et la répression et de leurs proches qui ne cessent de descendre volontairement dans les rues, sans soutien effectif et efficace.
Ainsi, on a dû attendre les déclarations d’un haut fonctionnaire de l’Onu pour se rendre à l’évidence que la justice transitionnelle n’a même pas commencé à fonctionner. Suite à ces déclarations, le gouvernement s’est empressé de rassurer la population, mais les annonces faites à ce sujet sur les poursuites contre l’ancien président et une vingtaine de hauts responsables de son régime n’ont convaincu personne.
Sur un autre plan, la question des réfugiés tunisiens en Europe augmente la crainte des pays européens qui choisissent la voie de fermeté sécuritaire dans un contexte politique marqué par la montée de l’extrême-droite.
Dans ce contexte, les Tunisiens, qui reçoivent sur leur territoire des centaines de milliers de réfugiés de la guerre en Libye sans vrai soutien de la communauté internationale, ne comprennent que les pays européens deviennent à ce point agités face à quelques milliers de réfugiés tunisiens, largement maltraités.

La justice traîne les pieds
La lutte contre la corruption reste quant à elle également sans suite concrète. Les Tunisiennes et les Tunisiens posent beaucoup de questions sur le travail de la commission contre la corruption. Aucune affaire n’a encore été portée devant les tribunaux – malgré les déclarations – et les suspects sont toujours libres et ont largement le temps de retirer leur argent ou de fuir le pays. Cela sans parler de la compétence des tribunaux ordinaires dans le traitement de ce genre d’affaire.
En fait, sans implication directe de l’Etat dans la prise en charge de ce dossier, il restera aux mains d’associations et autres groupements incapables, à part l’effet médiatique, de réaliser quoi que ce soit dans ce dossier.
La poursuite du dictateur, des membres de son gouvernement et de leurs proches boitillent. Le transfert de leur dossier au tribunal militaire, bien que motivé par la compétence de celui-ci en matière de traitement, laisse surgir des craintes légitimes quant au sérieux d’une telle démarche et des garanties quant à l’extradition de Ben Ali et de sa famille et la récupération des fonds placés à l’étranger.
La crainte est que les pays, sur les territoires desquels se trouvent ces dirigeants, peuvent brandir l’impossibilité d’extradition car les tribunaux militaires sont des tribunaux d’exception qui ne garantissent pas la tenue de procès équitables, selon les normes internationales connues.
Enfin, Vérité-Action souhaite attirer l’attention sur le devoir de tous les partis politiques, associations et autres à favoriser un climat d’échange sain et tolérant pour avancer dans le chemin de la démocratie et des libertés à pas fermes.

Les conclusions de Vérité-Action
Vérité-Action, qui a déjà attiré l’attention dans ses précédentes prises de position, et plus particulièrement celle du 21 janvier 2011, sur ces dangers et les craintes qui accompagnent la révolution tunisienne, souhaite mettre l’accent sur les conclusions suivantes:  
1. Vérité-Action poursuivra son engagement dans la défense des droits de l’homme et des libertés en Tunisie, en faisant tout pour que ces souhaits deviennent ancrés dans le quotidien du citoyen et dans le contexte social, économique, politique et historique de la Tunisie.  
2. Vérité-Action déclare adhérer entièrement aux valeurs légitimes de la révolution, à savoir la liberté, la justice sociale, la dignité et la démocratie de notre société tunisienne arabo-musulmane libre et indépendante.  
3. Vérité-Action continuera à soutenir et défendre les revendications du peuple et à œuvrer sur tous les thèmes qui présentent un intérêt commun, tout en préservant son indépendance.
4. Vérité-Action considère que sa contribution est complémentaire à celle des autres partenaires sur les scènes nationale et internationale, et cela dans un esprit de transparence et de partenariat.  
5. Vérité-Action mettra son expérience jusqu’ici acquise pour œuvrer de façon prioritaire pour la poursuite des anciens responsables de l’ancien régime pour leur rôle dans la corruption, la torture et la répression, et cela par l’appel à instaurer une vraie justice transitoire indépendante et sereine.  
Fort de cet engagement, Vérité-Action appelle le gouvernement actuel à respecter ses engagements pour travailler dans le chemin qui mène à l’instauration du vrai pouvoir du peuple, et non celui qui mène à réincarner le passé dans un soi-disant changement de façade.
Elle appelle les divers acteurs (politique, société civile, médias) à assumer leur responsabilité envers le peuple en cherchant les compromis nécessaires pour que leur peuple puisse enfin savourer le vrai goût d’une démocratie digne, réelle et transparente.

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* Vérité-Action est une Ong fondée en 1997, basée dans le canton de Fribourg en Suisse. Régie par le code civil suisse, elle œuvre pour la liberté d’expression et d’association en Tunisie, la libération de tous les prisonniers politiques et d’opinion et la promulgation d’une loi d’amnistie générale, l’indépendance de la justice et de la magistrature et le respect du rôle de la défense, le respect des droits de l’Homme et de la dignité humaine et la cessation des pratiques de torture, de harcèlement et de persécutions dont sont victimes les défenseurs des droits de l’Homme et les prisonniers politiques ainsi que leurs proches.

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.

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Tunisie. Une situation économique et sociale volatile (2.3)