Le résultat en mars 2011 des diverses révoltes au Maghreb peut être résumé ainsi: une révolution en marche en Tunisie, des mouvements jugulés en échange de promesses de progrès démocratiques en Algérie et au Maroc, une situation figée en Mauritanie du fait d’autres préoccupations inquiétantes et enfin une guerre en Libye.
Des critères caractéristiques hétérogènes entre les cinq pays
Mais ces différences peuvent, en partie, s’expliquer par des caractéristiques intrinsèques qui font de chaque pays, en dépit de problèmes semblables à résoudre à la fois économiques (emploi, chômage des jeunes et sécurité alimentaire) et politiques (liberté d’expression, état de droit, dignité et respect), des champs d’application spécifiques.
Tout d’abord, chaque pays ne dispose pas des mêmes disponibilités financières directement mobilisables. En effet, si, du fait de la rente pétrolière, la Libye et l’Algérie peuvent utiliser d’importantes aides financières d’urgence pour calmer les revendications et bénéficier de délais, il n’en n’est pas de même dans les autres pays. Au demeurant, les événements nous montrent que cette facilité n’est pas déterminante.
En revanche, il est intéressant de relever que le seul pays qui aujourd’hui a conduit un processus réellement révolutionnaire, c’est-à-dire donnant lieu à la fuite de l’autorité suprême mais aussi à une démarche de refondation complète des textes fondamentaux, est la Tunisie. Il est aussi le seul à disposer de forces armées réellement républicaines qui ne sont pas impliquées dans les affaires politiques et économiques du pays. Au-delà du refus de tirer contre la population, ce trait original est source d’ouverture au progrès et à une vraie «civilisation» de la gouvernance.
Il importe également de constater que si les revendications initiales ont surtout été d’ordre économique en Tunisie, Algérie et Mauritanie, elles ont donné la priorité au politique en Libye et au Maroc. L’explication peut se trouver dans le fait que dans les trois premiers pays les mouvements ont très tôt concerné une grande partie du territoire, alors qu’au Maroc et en Libye, ils ont été plus circonscrits aux zones urbaines. Cette hypothèse mériterait une analyse plus précise sur le terrain car elle permettrait de mieux comprendre l’émergence du phénomène.
Le taux des personnes de plus de 15 ans n’ayant pas bénéficié de système d’éducation fait apparaître deux groups distincts: d’un côté le Maroc et la Mauritanie (entre 45 et 51%) et de l’autre l’Algérie, la Tunisie et la Libye (entre 16 et 27%). Cette répartition se retrouve de façon identique pour le classement par indice de développement humain qui se partage entre un groupe d’indices inférieurs à 0,7 (Mauritanie et Maroc) et un groupe au dessus de 0,75 (Algérie, Libye et Tunisie). Elle est également pertinente si l’on regroupe d’un côté les pays dont la vie quotidienne est aujourd’hui la moins perturbée (Mauritanie et Maroc) et, de l’autre, ceux qui connaissent les tensions les plus fortes Algérie et Tunisie) allant jusqu’aux affrontements armés pour la Libye. Il semble bien donc qu’il y ait corrélation entre éducation, voire développement humain et aspirations de la population à agir sur son destin. Là aussi, il paraîtrait enrichissant de conduire des analyses factuelles plus approfondies.
Le pourcentage de la population de plus de 15 ans sans éducation s’établit ainsi dans les cinq pays du Maghreb, d’après la World data 2010 du Pnud : Algérie (16%), Tunisie (27%), Libye (27%), Maroc (51%) et Mauritanie (45%). Quant à l’indice de développement humain dans les cinq pays, il s’établit comme suit, selon la même source: Libye (0,847), Tunisie (0,769), Algérie (0,754), Maroc (0,654), Mauritanie (0,52)
Enfin, considérant que l’influence des réseaux sociaux a souvent été évoquée lors du développement de ces révoltes, il semble pertinent de se pencher sur le taux de pénétration d’internet dans les pays considérés.
Deux pays le Maroc et la Tunisie connaissent des proportions d’accès de l’ordre d’un individu sur trois. En revanche, pour les autres pays, la proportion de citoyens en mesure de participer à des réseaux sociaux semble très faible. En tout état de cause, on peut imaginer que seuls, ou presque, les urbains ont accès à internet et que cette population appartient sans doute à la classe la plus éduquée. Ceci conduit à relativiser, peut être pas le rôle joué, mais au moins les catégories d’individus considérées. Là aussi un travail d’analyse approfondie sera probablement nécessaire si l’on souhaite comprendre précisément les ressorts de ces révoltes et éviter des conclusions hâtives.
Selon la World data 2008, le taux d’accès à internet dans les cinq pays considérés s’établit comme suit: Maroc (33%), Tunisie (27%), Algérie (12%), Libye (5%) et Mauritanie (2%).
Les relations des peuples et des pouvoirs seront durablement modifiées
S’il est certain que les mouvements connus en ce début 2011 par ces cinq pays expriment des revendications justifiées par les difficultés et les problèmes tout à fait semblables qu’ils rencontrent, les priorités des acteurs sont assez distinctes. Il importe d’éviter d’apprécier ces pays comme un tout homogène qui connaîtrait des aspirations identiques. Le respect dû à ces peuples commande que l’analyse tienne compte des particularismes et des situations effectives. La tentation qui conduirait à globaliser les attentes et les besoins ne peut qu’être dommageable. La première des priorités est évidemment liée à une écoute réelle et attentive des sociétés civiles pour comprendre en quoi une aide extérieure peut être souhaitée et utile.
Il est probable que ces révoltes font que les relations des peuples et des pouvoirs seront durablement modifiées. Par voie de conséquence, celles des relations euro-méditerranéennes devront s’adapter. Rien ne sera sans doute plus comme avant. Mais il est encore bien tôt pour déterminer quelle seront la teneur et l’ampleur de cette refondation. L’heure est à l’écoute et à l’accompagnement bienveillant.
* Consultant indépendant.
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