Jamel Dridi écrit de Lyon – Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Et celles, exagérées, de la révolution, si douces aux oreilles d’un grand nombre, sont souvent contre-productives pour la Tunisie.


Cet article à contre-courant de ce climat révolutionnaire jusqu’au-boutiste suscitera sans doute quelques réactions critiques mais, pour l’amour de la Tunisie et en raison du contexte économique et géopolitique, il se veut au moins réaliste.
J’ai assisté médusé mais aussi amusé, aux premières heures de révolution, aux haies d’honneurs avec gifles faites par certains salariés à leurs patrons. Les salariés étaient remontés et ont fait payer à leurs dictateurs/chefs d’entreprises tout ce qu’ils avaient subi.

 

L’économie dans le mur
Mais aujourd’hui, où en sommes-nous ? Les choses se sont-elles calmées ? Le climat dans les entreprises est-il plus serein et le climat pour les entreprises est-il bon? Et bien non, et la situation est parfois ubuesque comme ce qu’ont vécu les Tunisiens avec la grève de la Transtu à l’occasion du combat de coqs syndicalistes. Non seulement, les usagers, déjà en galère dans ces bus bondés quand tout va bien, ont été pris en otage pour une affaire difficilement compréhensible, mais, en plus, ladite affaire aggrave davantage la situation financière de l’entreprise.
Et s’il n’y avait que cela. Selon certains révolutionnaires inconscients, tous les chefs d’entreprise tunisiens sont mis dans le même sac quant à leur connivence supposée avec l’ancien régime. Il suffit d’être riche pour susciter la jalousie et être considéré comme un corrompu en puissance, un parasite du système. Pour eux, un chef d’entreprise honnête, ça n’existe pas ! En plus d’être fausses – seuls ceux qui ont une entreprise peuvent appréhender le stress et la charge de travail que cela représente –, ces idées risquent de conduire notre économie dans le mur rapidement. Comment, en effet, les entreprises vont-elles supporter tous ces sit-in qui, pour une grande partie, sont injustifiés, ces demandes irréalistes d’augmentation de salaire, ce climat qui les empêche d’investir et d’avoir confiance en l’avenir ? Comment veut-on que le chômage soit combattu quand des entreprises étrangères désireuses d’investir diffèrent leur projet en attendant de voir comment les choses évoluent ?
Au début, je me disais que le maintien de l’économie à flot ne doit pas être un prétexte pour stopper la révolution. Mais, à un moment donné, il faut savoir faire preuve de discernement, prendre une pause dans les revendications, et ne pas se suicider économiquement. Est-ce que ce sont ces révolutionnaires aux revendications utopiques qui vont créer des emplois à la place de ces entreprises étrangères et tunisiennes?
La révolution reposait, en partie, sur le ras-le-bol social face au chômage. Les révolutionnaires qui font peur aux entreprises vont-ils dans le sens de cette revendication? Casser le tissu économique, faire des déclarations médiatiques musclées contre l’entreprise ou des chefs d’entreprise n’est ni plus ni moins que du populisme. Lorsque le climat deviendra invivable pour les entreprises tunisiennes, elles fermeront. Leurs patrons, parce qu’ils en ont les moyens, n’auront aucun mal à partir à l’étranger le temps que les choses se calment. Seuls resteront, encore une fois, les pauvres ouvriers qui seront rétrogradés du statut de travailleur pauvre au statut de chômeur. Quant aux entreprises étrangères, elles délocaliseront en Europe de l’Est ou en Chine. Ce n’est pas plus compliqué que cela. A ce moment on tirera le trait de l’addition et l’addition sera salée en termes d’augmentation du chômage. Les révolutionnaires jusqu’au-boutistes en assumeront-ils les conséquences?

Le réalisme dans l’action dans le temps
De la même façon qu’un mensonge répété mille fois ne devient pas une vérité, l’exagération révolutionnaire, fut-elle impressionnante, ne fait pas loi. La révolution est une opération chirurgicale consistant en l’ablation d’une tumeur cancéreuse dans le corps tunisien. Il faut supprimer totalement cette tumeur car n’en laisser ne serait-ce qu’une partie et le mal repartira rapidement. Mais il faut aussi agir sans trop forcer et en prenant garde de ne pas léser les organes limitrophes sains à défaut de quoi l’opération ne guérira pas le malade mais aggravera son état de santé. Si la révolution devient l’anarchie, elle aura perdu tout son sens et sa légitimité. Ne tuons pas la révolution tunisienne en laissant certains exagérer.
Beaucoup trouveront mon texte contre-révolutionnaire. Il ne l’est pas. Mais de la même façon que je demande la libération de Samir Feriani, je dis que trop de révolution tue la révolution et les premiers perdants seront les Tunisiens eux mêmes. Après la révolution, il faut viser l’évolution. Après la destruction des symboles du passé, il faut construire notre Tunisie nouvelle. A rester prisonniers de notre passé et en ne regardant pas l’avenir nous nous condamnerons à faire du sur-place.
Au moment où la mode est d’être un révolutionnaire jusqu’au-boutiste et de tirer médiatiquement sur tous ceux qui ne vont pas dans ce sens, il faut avoir le courage de dire, vus le contexte économique du monde et le contexte géopolitique à nos frontières, qu’il faut ne pas exagérer dans notre révolution. Il faut réclamer la justice pour toutes les familles des martyrs, pour tous les abus passés, négocier les salaires, demander le respect de la police, mais nous devons le faire dans un climat serein, apaisé et dans l’unité nationale. Ne nous dévalorisons pas. Nous avons une véritable intelligence et un savoir-vivre reconnus et cela mérite que nous ayons un meilleur cadre de vie. Mais n’exagérons pas. Notre pays est un petit pays. En étant unis, et en nous mobilisant totalement, ce n’est pas dit que notre pays s’en sortira rapidement. Alors que dire si nous nous noyons dans la division et les surenchères révolutionnaires stériles.
La révolution passée, cherchons l’évolution dans l’intelligence, la douceur et le pragmatisme. Les temps l’exigent pour notre bien à tous et surtout pour celui de notre pays.

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