Mondher Khaled* écrit - «On n’éprouve jamais que deux émotions en avion : l’ennui et la peur», disait le cinéaste américain Orson Welles. Peut-on en dire autant du vol RT 1412011 Tunis-Doha-Alger ?


En 2011, le trafic aérien a connu dans la région arabe des perturbations sans précédent. Contre toute attente, les aéroports de Tunis et du Caire ont été bloqués dès le mois de janvier. Ce blocage n’a pas manqué de s’étendre un mois après à Tripoli, Sanaa puis à Damas. Cette onde de choc a, de facto, frappé de plein fouet les compagnies nationales respectives. Les pilotes, les contrôleurs du ciel ainsi que le personnel de bord ont perdu la boussole et les pistes, les tarmacs et les tours de contrôle ont depuis battu de l’aile.

Un vieux pilote dans l’avion

Dans ce ciel gris, seules la Qataria et la Turkish ont pris un envol vertigineux. Elues respectivement meilleures compagnies aériennes du Moyen-Orient et d’Europe, elles ont pris un envol vertigineux. Avec les hubs dont elles disposent, elles entretiennent aujourd’hui les accords d’exploitation les plus stratégiques.

Face à ces turbulences, les candidats promis à la remise sur piste de notre compagnie nationale «nouvelle ère» se sont rués sur cette manne demandant de l’aide à ces nouveaux aigles de l’air. Seul un vieux commandant de bord à la retraite, convié à prendre les commandes de la gazelle tunisienne à titre provisoire, a vu autrement.

Rompu au pilotage à vue et connaissant les effets des vents dominants qui soufflent tantôt de l’Atlas et tantôt des Aurès, il a décidé de mettre le cap sur l’ouest pour atterrir en premier lieu sur l’aéroport d’Alger, ensuite sur celui de Casa, les seuls en mesure de l’accueillir en cas de risques. L’anticipation et la connaissance parfaite de la dynamique des vents, est, dit-on dans le langage des pilotes, le seul moyen de prévenir un crash.

Après avoir testé l’état des pistes, la fiabilité des tours de contrôle et la disponibilité du kérosène, le «caïd» rebroussa chemin pour décoller vers des cieux occidentaux, où huit puis vingt aéroports internationaux lui ont déroulé le tapis rouge. Reconnu meilleur pilote de l’année, au grand dam de ceux qui ont douté de ses capacités, le vieux ramena l’appareil à bon port et le remit au nouvel équipage fraîchement débarqué, pour qu’il en prenne les commandes.

Un nouvel équipage fraîchement débarqué

Sans prendre la peine de consulter les plans de vol, pourtant foisonnant d’informations techniques, les nouveaux pilotes et copilotes tentèrent d’expérimenter les performances dans un ciel autre. Inspirés par les performances de leurs collègues turcs et qataris, ils mirent le cap sur l’aéroport de Tripoli malgré les risques de turbulences et l’absence d’aiguilleurs chevronnés.

Comme le prévoyaient les connaisseurs de la géo-aviation, le voyage, par trop imprudent, n’a pas atteint les résultats escomptés. L’appareil égyptien en difficulté a, déjà, de source digne de foi, atterri sur la seule piste disponible pour faire le plein en carburant.

De retour sur Tunis, l’équipage étudia la proposition qatari, pour un vol conjoint sur Damas, que la Syrienne n’était plus en mesure d’assurer à cause des turbulences qui planent sur le ciel syrien. Face à la concurrence et aux risques de mettre l’appareil à rude épreuve, nos pilotes réexaminent savamment le carnet de bord et les informations que le vieux leur a sagement transmises.

Voici le texte du message : «Le RT 1412011 est un appareil moyen-courrier, son exploitation ne reste économiquement intéressante que sur les petites distances. Sa faible émission de bruit réduit également les frais de maintenance. Les aéroports d’Alger et de Casa restent les plus indiqués en cas de difficulté. Pour que l’appareil tangue le moins possible, il faut prendre en ligne de compte les vents dominants venant de l’ouest. En cas de problème, répondez Wilco qui veut dire ‘‘votre message a été compris et sera exécuté’’».

Après mûre réflexion, décision fut prise d’explorer le ciel maghrébin. Mais faute de pouvoir atterrir à cause des épais nuages qui couvraient momentanément le ciel d’Alger, le jeune pilote a été contraint de mettre le cap sur Casa, puis sur Nouakchott. Sur le chemin du retour et sauvé par la météo, la tour de contrôle algérienne l’autorisa enfin d’atterrir. Avant d’entamer l’approche et ayant toujours un œil sur le message du vrai briscard, le commandant répondit à la tour… Wilco, Wilco, Wilco…

* Ex-fonctionnaire des Nations Unies et actuellement conseiller en communication auprès du Pnud.

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