L’espérance de vie en Tunisie augmente deux fois plus vite qu’en Chine. Le taux d’inscription des femmes aux études supérieures y est plus élevé qu’à Hong Kong ou au Mexique.


Dans une étude intitulée ‘‘Le miracle nord-africain’’, Francisco R. Rodríguez et Emma Samman, respectivement responsable de l’équipe de recherche et consultant du bureau du Rapport sur le développement humain du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) se concentrant spécialement sur la situation des pays de l’Afrique du Nord, et particulièrement celle de la Tunisie, et les comparent à celles des pays dans d’autres régions du monde.
Leurs conclusions rassurent quant au rythme de développement des pays maghrébins, notamment la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, au cours des quarante dernières années, en comparaison avec les pays qui étaient au même niveau de développement en 1970.

Les auteurs, qui n’hésitent pas à parler de «miracle nord-africain», soulignent particulièrement les performances de la Tunisie, qui offre l’exemple d’une «success story» comparable à celles enregistrées, dans les années 1990, par certains pays du sud-est asiatique. Extraits…

Quand la Tunisie «bât» la Chine
«Considérez la comparaison suivante. En 1970, un enfant né en Tunisie pouvait espérer vivre 54 ans et un enfant né en Chine, 62 ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie de la Tunisie s’est allongée pour atteindre 74 ans, soit un an de plus que celle de la Chine. Aussi, si le revenu par habitant de la Chine a augmenté presque trois fois plus vite que celui de la Tunisie, l’espérance de vie de la Tunisie a augmenté deux fois plus vite que celle de la Chine. Etant donné que la Tunisie dépasse de loin la Chine sur le plan de l’éducation, elle rivalise sérieusement avec la Chine en termes de développement général (tel que le démontre l’Indicateur de développement humain (Idh).Une manière d’illustrer les progrès notables réalisés par ces pays consiste à examiner leurs progrès comparativement à ceux des autres pays dans les trois composantes de l’Idh.
«Le graphique ci-après présente une comparaison entre l’évolution de l’espérance de vie dans ces trois pays au fil du temps et la moyenne mondiale, ainsi que celle d’un sous-ensemble de pays ayant un point de départ comparable.
«Nous pouvons constater que les trois pays ont commencé bien au-dessous de la moyenne mondiale en 1970 mais en 2010 ils avaient devancé le reste du monde – dépassant de loin les pays ayant démarré au même niveau. Des tendances similaires caractérisent leurs résultats sur le plan de l’éducation: le taux brut de scolarisation dans ces pays a augmenté en moyenne de 33% au cours des quarante dernières années, comparativement à la moyenne mondiale de 23% et à une moyenne de 26% pour les pays ayant un point de départ comparable.
Diversité des chemins en matière d’espérance de vie de 1970 à 2010


Source : calculs des auteurs.
Note: les «points de départ comparables» se réfèrent aux pays ayant une espérance de vie inférieure ou supérieure de deux ans à l’espérance de vie moyenne de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie en 1970.

«Il est intéressant de noter que ce n’était pas le cas de la croissance économique. Le taux moyen de croissance du revenu par habitant desdits pays n’était que de 2,1%, soit légèrement au-dessus de la moyenne mondiale de 1,7%. En termes de croissance, c’est la Tunisie qui a affiché les meilleurs résultats du groupe (3%) – mais même dans ce groupe, 19 pays ont enregistré un taux de croissance supérieur sur une période de quarante ans. En revanche, seuls six pays ont dépassé la Tunisie en termes d’améliorations dans la mesure combinée de la santé et de l’éducation de l’Idh.
«Cela a une signification plus large. Il existe une corrélation remarquablement faible entre la croissance économique et les améliorations en matière de santé et d’éducation. La corrélation entre ces deux variables sur une période de quarante ans est de 0,13, ce qui n’est pas statistiquement significatif.
«D’après le Rapport de cette année, ce découplage entre la croissance et les améliorations en matière d’éducation et de santé a beaucoup à voir avec la transmission de techniques, d’idées et d’idéaux – tels que la vaccination, les systèmes d’eau propre, et le principe que tout le monde a droit à l’éducation – dans les divers pays. L’aptitude des pays à incorporer ces progrès et à s’ouvrir à de nouvelles idées dépendra de plusieurs facteurs allant des conditions de départ aux institutions et à la volonté politique.

Tunisie: de grands progrès dans l’éducation et la santé
«Prenons le cas de la Tunisie. Beaucoup des progrès réalisés dans le domaine de l’éducation remontent à une série de réformes adoptées peu après l’indépendance en 1956 par l’administration de Habib Bourguiba. Une démarche essentielle a été la réforme de l’éducation en 1958, qui a établi un calendrier pour la scolarisation de tous les enfants âgés de 6 ans avant 1966 et la pleine scolarisation de tous les enfants d’âge primaire avant 1971. Il existe actuellement des preuves importantes que la santé et la scolarisation des enfants peuvent être améliorées en autonomisant les femmes ; c’est précisément ce qu’a fait la Tunisie en augmentant l’âge minimum du mariage, en levant l’interdiction coloniale d’importation des contraceptifs, en instituant le premier programme de planification familiale en Afrique, en légalisant l’avortement, en rendant la polygamie illégale et en donnant aux femmes le droit de divorcer, de se présenter aux élections et de voter.
«Bien entendu, plusieurs pays ont essayé de mener des réformes semblables, mais la Tunisie semble avoir connu un succès particulier en les menant à bien. Par exemple, seul 3% des femmes âgées de 25 ans ou plus étaient allées à l’école en 1955, un an avant l’indépendance. Aujourd’hui ce chiffre a atteint 62%. De plus, le taux d’inscription des femmes aux études supérieures est actuellement plus élevé qu’à Hong Kong ou au Mexique.
«Une bureaucratie d’Etat efficace semble jouer un rôle clé: la Tunisie offre un accès aux soins de santé de base à presque l’ensemble de sa population indépendamment du revenu; toutefois, ses dépenses de santé en tant que pourcentage du Pib ne dépassent pas celles des pays comparables. Elle gère un programme de travaux publics énorme mais 80% des dépenses du programme sont utilisés directement pour rémunérer les ouvriers non qualifiés – un pourcentage beaucoup plus élevé par exemple que dans le programme de garantie d’emploi du régime Maharashtra en Inde.

Efficacité du gouvernement et bonne gestion des priorités
«Toutefois, il y a plus que l’efficacité du gouvernement en jeu ici. Une caractéristique notable du processus décisionnaire de la Tunisie réside dans le fait qu’il est façonné dans une large mesure par une véritable prise en compte des priorités et du contexte tunisiens. Au début des années 90, où plusieurs pays en développement réduisaient radicalement les subventions directes et les remplaçaient par des programmes ciblés, souvent en suivant les recommandations directes des institutions internationales basées à Washington, la Tunisie, quant à elle, a fait quelque chose de différent: elle a reformulé son programme de subventions de façon à subventionner uniquement les bas produits, permettant ainsi aux pauvres de se proposer eux-mêmes en tant que bénéficiaires du programme. Cette mesure n’était pas simplement novatrice: elle était favorable aux pauvres et intelligente car les produits alimentaires subventionnés contribuaient en moyenne plus de 70% de l’apport calorique total et presque 80% de la consommation totale de protéines des pauvres en 1990.
«De plus, il lui a certainement fallu beaucoup de courage pour aller si directement à l’encontre des idées reçues à l’époque où régnait le Consensus de Washington.
«Des récits similaires semblent expliquer la réussite des autres pays les plus performants d’Afrique du nord. Il est intéressant de noter qu’une conséquence de la Guerre froide dans cette région aura été la création d’Etats relativement forts qui ont aussi pu se forger un espace pour une prise de décisions indépendante. Il se pourrait que le legs colonial français et son accent sur la construction d’une bureaucratie publique forte ait aussi joué un rôle.

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.

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