Alors que les différends entre Alger et Rabat continuent à bloquer la coopération intra-maghrébine, le Dialogue 5+5 semble avoir marqué une nette reprise après la récente réunion de Lisbonne.
Par Michel Roche*
Deux réunions des ministres des Affaires étrangères viennent de se tenir successivement au mois de mai, dans la sous-région de Méditerranée occidentale: la première est celle de l'Union du Maghreb arabe (UMA), à Rabat, les 9 et 10; la seconde est celle du 5+5**, à Lisbonne, le 22. Il est important de considérer ces deux réunions dans cette séquence pour bien en apprécier les résultats.
Vers une stratégie maghrébine de sécurité
Les observateurs s'accordent à reconnaître que la réunion de l'UMA a été décevante; et effectivement on ne peut qu'en souligner le manque apparent de résultat. Les différends entre Alger et Rabat continuent à bloquer les progrès de la coopération intra-maghrébine; l'absence du ministre des Affaires étrangères algérien témoigne clairement de l'état des relations entre les deux capitales et rien n'indique que les choses puissent bouger dans un avenir proche. Cela dit, le jugement doit être relativisé car M. Lamamra s'est fait représenter par le secrétaire général de son ministère, qui est le diplomate algérien du niveau le plus élevé; l'absence du ministre n'a donc eu qu'une conséquence d'ordre protocolaire.
Manifestement, on n'est toujours pas dans une perspective de relance de l'organisation maghrébine et les multiples déclarations sur la nécessaire intégration donnent un fort sentiment de déjà-vu. Mais il y a probablement aussi des raisons de penser que les choses avancent malgré tout. Ainsi, on peut se féliciter de la proposition algérienne d'organiser une réunion sur communauté économique maghrébine avant la fin de l'année.
Surtout la part accordée aux questions de sécurité retient l'attention, ce qui n'a rien pour surprendre compte tenu de l'actualité. La façon dont les dossiers ont été abordés donne une idée du chemin parcouru depuis deux ans: orientée vers le concret, la réflexion a porté sur les différents aspects de la sécurité (terrorisme, drogue, immigration clandestine) tandis que l'approche s'est étendue à toute la zone Sahara-Sahel. Alger est d'ailleurs revenu avec sa proposition de stratégie maghrébine de sécurité.
La question de l'organisation d'un sommet à Tunis a de nouveau été évoquée; rien ne semble avoir été définitivement agréé et, de façon paradoxale, c'est dans la conclusion des travaux du 5+5 qu'on trouve l'appui le plus clair à sa tenue.
Cette remarque permet de souligner un point important : la réunion des ministres des pays de l'UMA a surtout permis de préparer entre Maghrébins la réunion du 5+5. Et ce n'est pas un hasard si les travaux de l'UMA sont largement repris dans le document final de la réunion du 5+5 qui s'y réfère avec un niveau de précision inhabituel.
La position centrale du 5+5
La réunion du 5+5 à Lisbonne semble bien avoir marqué la reprise du 5+5, bien plus que le sommet de Malte l'an dernier ne l'avait laissé imaginer. On est en effet frappé par la façon tout à fait directe dont les questions ont été abordées et leur niveau de détail, ainsi que par la liste des réunions annoncées pour les mois à venir.
La part consacrée au dialogue politique a été significative. Traditionnellement la discussion permet de préciser des approches communes; cette fois-ci on est probablement allé plus loin, à travers la recherche d'une coordination des actions. La situation en Libye a été ainsi l'occasion d'annoncer la tenue d'une réunion ad-hoc à Tunis le 2 juin, aujourd'hui reportée. Les longs développements consacrés à la sécurité ont abouti à une prise de position par laquelle les ministres ont déclaré vouloir «œuvrer en faveur d'une stratégie de coopération coordonnée et intégrée pour la prévention et la lutte contre le terrorisme et le crime organisé»; et les travaux réalisés entre les pays de l'UMA dans ce domaine ont été pris en compte par le 5+5. Vis-à-vis du Sahel, la déclaration mérite également d'être citée: «Les ministres soutiennent l'adoption d'une approche globale pour la région associant les pays du Maghreb, de l'Union européenne et du Sahel, pour faire face aux défis communs et soulignent l'importance du Dialogue 5+5 dans ce cadre».
Une place également importante a été consacrée aux coopérations sectorielles qui ont été abordées avec un degré de précision notable. On assiste ainsi à une relance des réunions ministérielles, sur la base d'un calendrier précis. Pour la seule année 2014, les réunions suivantes sont annoncées: Environnement et Énergies Renouvelables (Lisbonne, octobre); Education (Paris, 10 octobre); Transports (Lisbonne, octobre); Tourisme (Lisbonne, décembre); Défense (Grenade, décembre); Migrations (Malte avant la fin 2014). La tenue de réunions ministérielles dans les secteurs de la santé (au Maroc); du commerce et de l'investissement et de la culture (en Tunisie) est envisagée. La coopération décentralisée et les collectivités locales ont fait l'objet d'échanges de telle sorte que la question est désormais à l'ordre du jour des travaux du 5 +5.
Ceci souligne l'impression que le rôle de coordination des ministres des Affaires étrangères pour l'ensemble des aspects du processus a été renforcé. Une telle évolution, si elle se confirmait, placerait le 5+5 dans une position centrale pour la conduite de la coopération en Méditerranée Occidentale. On constate d'ailleurs que l'Union pour la Méditerranée (UpM) n'a pas été en mesure de profiter de l'éclipse relative du 5+5 pour s'imposer, écartant ainsi le risque d'affaiblir le processus comme certains avaient pu le craindre
La réunion des ministres des Affaires étrangères a été immédiatement précédée par deux réunions, également tenues à Lisbonne dans le cadre du 5+5 et dont les résultats ont contribué à donner plus de substance aux travaux des ministres.
Les parlementaires en première ligne
La première réunion a été celle de l'Assemblée Parlementaire de la Méditerranée (APM). Elle répondait au souci, exprimé il y a déjà quelque temps par les ministres, de relancer la dimension parlementaire du 5+5. L'APM qui affiche sa volonté de s'impliquer d'avantage dans la sous-région a évoqué des questions précises et importantes: immigration clandestine, situation en Libye, changement climatique. On devrait aussi aller plus loin dans la coordination, car il est envisagé d'organiser à l'avenir un dialogue entre les ministres et les parlementaires. Il s'agirait alors d'une évolution importante dont les conséquences pourraient se faire sentir à Bruxelles où la définition d'une nouvelle approche de la politique européenne vis-à-vis de la région se fait toujours attendre.
En outre, le second Forum économique du 5+5 s'est réuni pour aborder le thème du développement durable, autour de quatre axes : gestion des déchets et de l'eau, transport urbain, infrastructures de l'énergie et environnement. Ces questions ont également été abordées par les ministres du 5+5 au travers des réflexions sur les coopérations sectorielles, soulignant là aussi la cohérence des travaux menés dans les différentes enceintes.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.
** Le Dialogue 5+5 regroupe les pays de la Méditerranée occidentale: l'Italie, la France, l'Espagne, le Portugal ainsi que Malte pour la rive Nord, et les cinq pays de l'UMA pour la rive sud (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Libye).
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