La violation des ambassades américaines dans les pays arabes sera-t-elle un électrochoc pour les Américains, qui seront moins tolérants envers les islamistes et leurs protecteurs dans la région, les Saoudiens et les Qataris?
Par Rachid Barnat
L’agitation introduite avec violence et rapidité par Rached Ghannouchi dans la société tunisienne depuis son retour de son exil londonien en mars 2011, et qui s’est soldée par l’installation au pouvoir de son parti Ennahdha, a son origine dans une guerre d’influence géopolitique entre deux tendances diamétralement opposées de l’islam: sunnisme et chiisme.
Ces deux courants de l’islam se distinguent par les sources utilisées pour écrire le droit musulman.
Pour les sunnites, la doctrine s’appuie sur 4 sources:
- le Coran ;
- puis, pour les cas non directement évoqués dans le Coran, ils utilisent la «sunna» (tradition) qui est la conduite du prophète dont les actes ont valeur de loi. D’où leur appellation de «sunnites». La «sunna» étant elle-même l’ensemble des «hadiths» du prophète (somme de ses commentaires) et de sa «sira» (faits et gestes);
- puis «al-ijma’â», le consensus des jurisconsultes musulmans;
- enfin le «qiyas» (déduction juridique) du jurisconsulte, à condition qu’il ne contredise pas les 3 références précédentes.
La géographie des Etats sunnites et chiites.
Il existe d’autres sources de référence selon les écoles sunnites ou «madhhab» (obédience). Les 4 principales écoles étant le malékisme, le hanafisme, le chafiisme, et le hanbalisme dont une manifestation récente est le wahhabisme.
Pour les chi’ites, le pouvoir spirituel doit revenir à la famille du prophète Mohammed. Après l’assassinat de ses petits-fils Al-Hassan et Al-Hussein, ce pouvoir spirituel serait transmis par Dieu à des ayatollahs (aya = preuve, dont le nom se traduit par «preuve de Dieu sur terre»), une sorte de clergé qui a un pouvoir d’essence quasi-divine.
Ayant rappelé cela, il est clair que les «ayatollahs» et les «fatwas» ne sont que de pures créations humaines, ce qui choque profondément les sunnites qu’on puisse accorder à des êtres humains et à leur jugement une essence divine pour sacraliser le guide spirituel des chiites mais aussi la «chariâ» (sommes des «fatwas» faisant office de jurisprudences) sous prétexte qu’elle est le prolongement de la parole d’Allah, puisqu’elle explicite le Coran selon les salafistes.
Ces deux tendances se considèrent mutuellement comme «impies» par leur idéologie fondatrice même. D’où les guerres qu’ils se font depuis toujours au nom d’Allah et qui ne sont, de toute évidence, que des guerres humaines pour le pouvoir.
La guégurre chiites-sunnites se poursuit, sous la conduite du guide Khamenei et du roi Abdallah.
L’aire d’influence de ces deux tendances religieuses se traduit géographiquement depuis quelques siècles par la répartition suivante :
- les sunnites: au Moyen Orient, en Afrique de l’Est et en Afrique du Nord jusqu’en Espagne, avant la Reconquista chrétienne;
- les chi’ites: en Iran, une partie de l’actuel Irak et un peu autour (Bahreïn, Syrie, Liban…).
Les chefs de file de ces deux tendances de l’islam se distinguent par la richesse de leur pays en hydrocarbures et pétrodollars qu’ils engrangent: l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Grâce à cette manne, ces deux pays n’ont eu de cesse d’étendre leur hégémonie sur les peuples musulmans qu’ils tentent d’«acheter» par toutes sortes d’aides, dont l’aide financière, pour les convertir à leur islam… Ce que tentait de faire encore récemment l’Iran avec la Mauritanie dans l’idée d’encercler les actuelles zones sunnites pour mieux les pénétrer et étendre leur chiisme!
Si la doctrine du chiisme n’a guère évolué depuis des siècles, celle du sunnisme a connu un bouleversement au milieu du 19e siècle en la personne de l’imam Mohamed Ibn Abdel-Wahhab qui va durcir le salafisme, en le rigidifiant par une lecture encore plus stricte et «textuelle» du Coran, de la sunna, mais aussi de la «chariâ» établie par les 4 premiers califes «Al-Rachidoun» (les sages), considérée comme le prolongement de la parole d’Allah et donc immuable. L’intention de cet Imam était de ramener l’islam à sa pureté d’origine. Ses fidèles rejettent toute tradition extérieure au Coran et à la sunna et refusent le culte des saints. D’ailleurs la plupart des musulmans se désolidarisent de ce mouvement qu’ils considèrent comme sectaire et extrémiste.
Les wahhabites poussent leurs pions
Querelle de députés sunnites et chiites au parlement du Koweït.
Mohamed Ibn Abdel-Wahhab va codifier tout du comportement que doit avoir un musulman au quotidien en multipliant les interdits «haram» (illicites): conduite, tenues vestimentaires burqa, niqab, barbes pour les hommes au henné pour reprendre le critère de la beauté masculine répandu à la Mecque et adopté par le prophète Mohammed lui même, jusqu’à s’immiscer dans les rapports intimes du couple pour leur dicter leur conduite.
Il fera un pacte avec le chef de la tribu guerrière des Ibn Saoud: il soutiendra le pouvoir temporel du chef des Ibn Saoud et occupera, en contrepartie, le pouvoir spirituel au royaume. Ainsi décrétera-t-il que toute atteinte ou contestation de la famille Ibn Saoud est assimilable à la «fitna» (zizanie)! Et donc sacrilège et punissable comme tel, assurant à cette monarchie l’intouchabilité et la stabilité.
Ce qui fut convenu et que la famille royale perpétue encore en propageant le wahhabisme par tous les moyens, chaînes de TV comprises; et en le finançant.
En somme, cet imam et le chef de la tribu Ibn Saoud se sont autoproclamés gardiens de la foi des musulmans: l’un en tant que chef spirituel et l’autre en tant que chef temporel; et les deux, gardiens incontestables, de leur foi! D’où leur désir d’étendre leur pouvoir à toute la «oumma» (nation) musulmane.
La guerre en Afghanistan va donner l’occasion au salafisme wahhabite de se propager dans la région grâce à Al-Qaïda (La Base). Il faut rappeler que Ben Laden, l’ancien chef de ce réseau terroriste, était saoudien et de culture wahhabite. De retour chez eux, beaucoup de combattants originaires entre autre d’Afrique du Nord, partis aider leurs «frères» afghans, vont importer le salafisme dont ils se sont imprégnés là-bas, aussi bien en Algérie qu’en Tunisie ou en Libye.
Le salafisme se propagera ainsi plus facilement dans les pays déstabilisés ou en guerre comme dans le Pakistan, l’Afghanistan, le Soudan, la Somalie, les pays du Balkan jusqu’en Tchétchénie… financé toujours par les pays du Golfe et d’Arabie.
Mais aussi en Europe dans les quartiers dits «difficiles» parmi les populations délaissées et plus particulièrement parmi des jeunes en perte de repère, contents de «recouvrer», pensent-ils, leur identité arabo musulmane... dans un salafisme complètement étranger au rite de leurs parents, mais seul «disponible» sur le terrain grâce à un prosélytisme agressif et au financement de l’Arabie et autres pays du Golfe. Et depuis l’étranger, ils n’ont cessé de faire du prosélytisme au salafisme wahhabite parmi les leurs restés dans le pays d’origine (Tunisie, Algérie…).
La guerre en Irak va donner l’occasion au «chiisme» de se renforcer au Moyen-Orient mais aussi au Liban et en Palestine (Hezbollah…). Et avec «le printemps arabe», l’Iran tente d’étendre son hégémonie sur les pays «arabes» en révolte en y diffusant son chiisme profitant de la déstabilisation de leurs peuples.
Après la chute du mur de Berlin, signant l’échec du communisme et de son totalitarisme, les Ibn Saoud pour respecter le deal qui les lie à la tribu des Ibn Abdelwahhab, tenteront de «promouvoir» leur wahhabisme parmi ces peuples libérés du joug du communisme. Certains d’entre eux, qui ont tout «oublié» de leur soufisme traditionnel connu pour sa tolérance et son ouverture, vont, par manque d’«éducation religieuse», adopter la forme la plus rétrograde et la plus intolérante de l’islam qu’est le wahhabisme !
A suivre…