Pourquoi, en Tunisie, pays où la femme est censée avoir acquis ses droits et apparaît comme égale à l’homme dans les études et le travail, y a-t-il encore un ministère de… la Femme?

Par Wided Ben Driss*

Les Tunisiens d’après l’indépendance avaient les livres avant-gardistes de Tahar Haddad dans leurs programmes d’études. Les femmes tunisiennes ont grandi avec ces valeurs que les politiciens et les medias ont su exploiter au fur des années et ont dans un sens amplifié cette image de la femme tunisienne modèle et leader dans le monde arabe.

La femme tunisienne est-elle vraiment un modèle?

Cette image flatteuse de leader a, paraît-il, plu aussi à la femme tunisienne au point de la faire oublier de voir le fond de sa vraie situation dans la société. En effet, la femme tunisienne a encore beaucoup de droits fondamentaux non acquis à demander avant de clamer, par exemple, la parité.

A présent les masques sont tombés, les langues se sont déliées et le peuple tunisien vit le moment historique d’écrire sa nouvelle constitution qui sera à son image et qui l’accompagnera durant des décennies. C’est le moment d’évaluer objectivement les droits acquis par la femme tunisienne mais surtout ceux qu’elle n’a pas encore et qu’il faut instituer dans la nouvelle constitution.

Cette Tunisienne jouit-elle de tous ses droits .

La question qui se pose est la suivante: la femme tunisienne est-elle vraiment un modèle? Un modèle par rapport à qui? Aux femmes européennes, américaines et japonaises, ou aux arabes, musulmanes? Chacune de ces nations a un propre héritage culturel, une composition de société et une économie. Toute comparaison reste donc subjective et se fixe sur les apparences et non sur le fond.

Un autre question surgit aussi à ce niveau de l’analyse : comment en Tunisie,  pays où la femme est censée avoir acquis ses droits et apparaît comme égale à l’homme dans les études et le travail, y a-t-il encore un ministère de… la Femme?

Ce n’est guère l’action dudit ministère qui interpelle ici, mais son appellation même qui laisse entendre que la femme et l’enfance ont des problèmes qui requièrent une assistance en Tunisie. Cela laisse aussi comprendre que les hommes n’ont pas de soucis en Tunisie; d’où une recommandation d’avoir plutôt un ministère qui s’occupe de la famille tout court.

Notre constitution et nos nouvelles lois devraient assister cette famille tunisienne dans tous ses états, d’accord ou de divergence, et assurer les droits et les devoirs de chaque membre.

La nécessaire révision des lois en vigueur

Les Tunisiennes s'inquiètent pour leurs acquis.

Il est aussi à noter que des décennies après l’instauration du Code du statut personnel (Csp), une majorité des Tunisiens et Tunisiennes ignore encore ce texte dans ses détails et ne comprennent pas leurs droits et devoirs. Cette ignorance se reflète surtout dans les affaires de divorce de plus en plus nombreuses en Tunisie. La loi est appliquée à tous sans tenir compte du niveau intellectuel ou social, mais on remarque qu’il y a un clivage en Tunisie entre une «intelligentsia» bien informée et une population dans l’ombre si se bat pour survivre et qui sait peu sur ses devoirs et droits. Nous ne pouvons donc que recommander au ministère de la famille et aux nombreuses associations de diffuser des spots de vulgarisation des textes de loi à travers les médias.

Ces exemples, cités ci-haut, visent à dépasser l’illusion de lead dont se berce la femme tunisienne et à demander la révision des lois en vigueur.

La femme tunisienne a sûrement acquis la ferveur de réussir ses études; d’où le fort taux de réussite des filles aux universités. Mais dans le domaine professionnel, étatique ou privé, une femme doit s’investir et travailler beaucoup plus que les hommes pour accéder aux postes de décision.

La situation de la femme tunisienne est pire dans le domaine politique où les nominations se font sur la base des affinités personnelles et sur l’appartenance aux partis politiques au pouvoir, et non pas sur les compétences. Comment, dans ce cas, garantir l’égalité des chances entre hommes et femmes dans la transparence? En fait, la parité ne s’offre pas, elle se gagne par la compétence entre hommes et femmes à égales chances!

Les finances et les caisses sociales considèrent la mère tunisienne comme étant célibataire car c’est le père tuteur qui prend les enfants en charge. Il est évident que les femmes investissent dans la famille et participent à son budget. Les caisses sociales ne permettent pas à la femme tunisienne prendre en charge ses parents qui ne disposent pas de couverture. Or, celle-ci est fortement impliquée dans l’entretien de sa large famille et la loi doit l’aider dans sa noble action.

Les mères de familles méritent une attention spéciale

Tunisiennes manifestant, le 8 août, devant l'Assemblée constituante pour protester contre l'article qui met fin à l'égalité entre les sexes.

La femme tunisienne a le droit d’ouvrir un compte d’épargne à son enfant mais c’est le père tuteur qui dispose, légalement, du doit de gérer ce compte. Une Tunisienne devrait avoir l’autorisation écrite du père pour envoyer son enfant à une colonie de vacances. Dans le cas d’une famille vivant en harmonie le problème ne risque pas de se poser mais pourrait l’être en cas de crise. Le but n’est pas de retirer le droit de tutelle aux pères mais de partager ce rôle.

Il est important de donner une attention spéciale aux mères de familles qui ne travaillent pas. Ces mères passent leurs vies à s’occuper des foyers, à élever les enfants et les petits-enfants. Il est désolant d’indiquer sur les cartes d’identité de ces mères «sans emploi» et de les laisser en marge de la société. Il est impératif d’instaurer un système qui valorise le rôle des mères au foyer et qui reconnaît leurs efforts. Un appel à créer une caisse pour servir des «primes» et des retraites à ces mères, surtout dans le cas où elles sont dans le besoin.

* Directeur d’exploration.

 

Articles de la même auteure dans Kapitalis :

L’exploration pétrolière en Tunisie entre fables et réalité

Défis et dangers de l’exploration pétrolière en Tunisie