Les hauts cadres militaires appelés après la révolution à des postes civils pour aider à calmer les colères populaires ont fait de leur mieux pour assumer leur mission. Ils ne sont pas irremplaçables, mais ils doivent être bien remplacés.

Par Kilani Bennasr*


Le 14 janvier 2011, la terre a tremblé sous l’édifice de l’Etat tunisien, sa structure est endommagée, tout est à refaire! Quelques jours après la chute de Ben Ali, face à la détérioration de la situation, le pouvoir politique provisoire, en concertation avec le commandement militaire, est très soucieux de limiter les pertes en vies humaines et de garder les rênes du pouvoir sous contrôle unifié; on dépêche des hauts cadres militaires pour combler le vide dans les postes de gouverneurs et de directions générales sensibles de l’Etat.

Assurer la mission et calmer les révoltés

Le général Rachid Ammar dialoguant avec des manifestants sur l'esplanade de la Kasbah le 24 janvier 2011.

Il n’y a pas de doute, ces nominations représentent des solutions d’urgence où l’armée s’est trouvée obligée de priver ses unités combattantes et ses états-majors de leurs meilleurs cadres pour satisfaire les besoins de l’Etat; des postes clé civils sis principalement au centre et au sud du pays et autres très importants à Tunis.

A peine arrivés en catastrophe sur les lieux de travail, ces derniers sont surpris de l’ampleur du désordre et de l’indiscipline caractérisée de leurs personnels et des jeunes citoyens, déchainés, n’ayant peur de rien. Les consignes sont claires, il faut assurer d’abord la mission, ensuite calmer les révoltés, faire preuve de patience et ne plus les sommer ou les provoquer par des salves de tir réel.

Par ailleurs, la pression a contraint quelques uns de ces hauts cadres militaires à demander une fin de détachement, la majorité n’a résisté que quelques mois et ceux qui sont encore aux commandes, se résignent à leur sort et font tout pour donner à leur administration l’impulsion suffisante qui la remettrait sur les rails.

Ce n’est pas la vie de château

Contrairement à leurs prédécesseurs, qui avaient droit à une vie de château avant la révolution, les hauts cadres militaires ayant occupé des fonctions civiles, menaient depuis leur nomination en début 2011 un train de vie en-dessous de la moyenne, avec le juste nécessaire. Certains sont loin de leur famille, sans pouvoir réel pour coordonner leurs actions avec les responsables régionaux et vivent la peur au ventre, avec le sentiment que tout peut leur arriver. Ils ne se sont jamais plaints de leur situation ni montrés quémandeurs; alors que les nouveaux responsables du gouvernement, depuis leur investiture, ne penseraient qu’à leur confort personnel…

L'armée garde les points et établissements sensibles dans le pays.

Après les élections du 23 octobre 2011 et l’investiture démocratique du gouvernement provisoire, le peuple tunisien s’est enfin félicité d’avoir franchi une étape clé dans le processus de transition démocratique. Quelques jours ont suffi pour que les citoyens se rendent compte que l’énergie du gouvernement provisoire, au lieu de la consacrer à résoudre les difficultés quotidiennes du peuple, serait déployée pour mener la vie dure à l’opposition et à ceux désignés par l’ancien gouvernement y compris les militaires, pour les pousser, de manière indécente et répugnante, à quitter définitivement leurs lieux de travail.

L’exemple frappant est celui de la Direction générale des prisons, cette institution a été la plus touchée par la révolution, des responsables sécuritaires ont visé le cœur de l’Etat en facilitant l’évasion de milliers de prisonniers, plus de la moitié des prisons a été saccagée sans compter de nombreux décès et blessés parmi détenus et gardiens. Ceci nous rappelle ce qu’ont entrepris les nazis allemands en Tunisie qui, pour se venger de la France, ont libéré tous les prisonniers militaires et civils juste après leur débarquement en Tunisie en 1943.

Fraternisation entre l'armée et le peuple: la révolution est passée par là.

Amélioration des conditions dans les prisons

Depuis la désignation à la tête de cette Direction générale des prisons d’un haut cadre militaire, un changement au mieux est constaté, presque aucune évasion n’est enregistrée et une nette amélioration des conditions d’incarcération respectant les normes internationales des droits de l’homme, les lois nationales et les directives du nouveau gouvernement.

Selon le témoignage d’observateurs internationaux et Ong installées à Tunis, la situation actuelle dans les prisons en Tunisie serait rassurante. Ce dont tout le monde a peur ce n’est pas le «Dégage» ingrat éventuel qui toucherait les derniers hauts cadres militaires en poste mais que cette politique se généralise davantage pour servir les desseins des politiciens sans le moindre souci pour l’intérêt national.

L'armée au service des réfugiés au camp de Choucha sur la frontière libyenne.

Rien de ce qui précède ne devrait porter à croire que les hauts cadres militaires sont irremplaçables, car le salut de la nation est notre but à tous et si le parti au pouvoir pense encore pouvoir rafler des voix lors des prochaines élections, il devrait dés maintenant convaincre les tunisiens, en les traitants équitablement, sur un critère strictement professionnel.

*- Spécialiste en droit humanitaire.

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