Kilani Bennasr* – La révolution du 14 Janvier a mis à l’évidence la faillite du régime de Ben Ali. La Tunisie est à la recherche d’une politique garantissant égalité, liberté et démocratie au peuple, et stabilité et souveraineté à l’Etat.
Au cours de la période d’études militaires que j’ai effectuées de 1991 à 1993 en Espagne, la Turquie était présentée comme étant une puissance régionale qui a manqué de peu pour atteindre le niveau de l’Espagne, puissance coloniale de tous les temps.
A l’occasion des présentations de thèmes stratégiques, les étudiants militaires espagnols réaffirment que la Turquie, après avoir franchi toutes les étapes pour une ouverture totale sur l’Europe, en approuvant la laïcité et en remplaçant l’alphabet arabe par les caractères latins, aurait dû aller jusqu’au bout : quitter la religion musulmane et se reconvertir au christianisme, la religion de Constantinople capitale de Byzance de l’époque.
Etat laïc avec un gouvernement issu d’un parti islamiste
Dans la réalité, si la Turquie accuse un léger retard par rapport à l’Europe, la religion musulmane n’y est pour rien. Il y a bien d’autres raisons, le facteur religieux ralentisseur du développement viendrait surtout de l’attitude hostile des Européens occidentaux refusant tout partenariat économique ou technologique avec la Turquie moderne musulmane.
En revanche, tout au long de l’histoire, les réalisations de la Turquie sont «pharaoniques» sur plusieurs plans.
L’empire Ottoman est resté un Etat puissant, de 1299 jusqu’au 19 siècle. Tout en conservant la foi musulmane pour son peuple, la Turquie continue à consolider l’Etat turc, «la porte sublime», et défendre ses intérêts. Bénéficiant du plan Marshall, elle est toujours membre du Conseil de l’Europe, et aussi membre de l’Otan depuis 1952. Elle est en fait plus occidentale que certains pays européens.
Le mouvement nationaliste, mené par Mustafa Kemal Atatürk, qui appartenait alors au mouvement Jeunes-Turcs, définit, dès juin 1919, dans la déclaration d’Amasya, les raisons pour lesquelles le gouvernement impérial ottoman, considéré comme illégitime, doit être remplacé pour que les intérêts nationaux des Turcs soient défendus. Il obtient un soutien important de la population et de l’armée.
Le gouvernement provisoire conduit par Mustafa Kemal récupéra enfin une partie des territoires cédés par le traité de Sèvres. À l’est, il signa un autre traité avec le gouvernement bolchevik russe : le Traité de Kars (1921). Par ce traité, la Russie soviétique rend à la Turquie un territoire pris à l’Empire ottoman en 1878, peuplé de tribus arméniennes et kurdes.
À l’ouest, le mouvement nationaliste engagea la guerre gréco-turque pour récupérer les côtes ouest de l’Anatolie. Au sud, en Cilicie (Tarsus), il empêcha la constitution d’une région autonome arménienne sous protectorat français, prévue par le traité de Sèvres.
Finalement, le sultanat est aboli le 1er novembre 1922.
Enfin, clef de voûte du processus initié par Mustafa Kemal, le 29 octobre 1923, la République de Turquie est proclamée : il est aussitôt élu président.
Tout le long de son histoire contemporaine, l’armée turque reste le pilier de la nation, quoique ayant mené des coups d’Etat, le 17 septembre 1961 suivi d’autres interventions militaires répressives en 1970 et en 1980.
C’est à l’issue de ce dernier coup d’Etat qu’un Conseil national de sécurité (Mgk) a vu le jour. Le peuple et les grands dignitaires turcs reconnaissent au Mgk son rôle de salut de la patrie dans les moments difficiles et quand les principes de la laïcité initiés par Atatürk son menacés. La mise en place du Mgk a pour mission de concilier la nature démocratique du régime et les principes fondateurs de la république turque et l’Islam.
A partir de 1991, la constitution est réformée pour satisfaire aux critères démocratiques exigés par la candidature de la Turquie à la Cee puis à l’Union européenne.
En 2002, le Parti pour la justice et le développement (Akp), considéré comme islamiste modéré, remporte nettement les élections législatives et revendique une «démocratie musulmane» à l’image de la «démocratie chrétienne» dans d’autres pays.
La constitution turque continue d’accorder à l’armée un rôle de surveillance de l’exécutif, un rôle inexistant dans les pays occidentaux.
En Turquie, alors que le régime est parlementaire, le pouvoir exécutif est représenté à la fois par le président de la république et par le gouvernement. Quant au pouvoir législatif, il est représenté par la Grande assemblée formée de 550 membres, dont 363 islamistes de l’Akp, 179 sociaux démocrates du (Chp), 9 indépendants (2% des femmes).
Dans l’état actuel des choses, les caractéristiques et attributions des pouvoirs exécutif et législatif se résument comme suit :
Pouvoir exécutif : jusqu'en 2007, le président était élu par la Grande assemblée nationale de Turquie à la majorité des deux tiers du nombre de ses membres, pour un mandat de 7 ans non renouvelable. Depuis la réforme d’octobre 2007, il doit être élu au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans et rééligible une fois (cette disposition ne s’appliquera que pour la prochaine élection, normalement en 2014). Le Premier ministre est élu parmi les membres du parlement. Les autres ministres doivent être choisis parmi les groupes parlementaires selon l’importance de ceux-ci.
La loi turque prescrit qu’en temps de campagne électorale, des personnalités indépendantes, qui n’appartiennent à aucun parti politique, doivent prendre la tête de certains ministères, dont le ministère de l’Intérieur, de la Justice et des Transports.
Pouvoir législatif : il est exercé par la Grande assemblée nationale de Turquie composée de 550 sièges renouvelés tous les 5 ans.
L’âge requis pour être député est de 25 ans, le candidat doit par ailleurs posséder au minimum un niveau d’instruction d’enseignement primaire. À partir de l’année 1995, des amendements constitutionnels abaissent la majorité électorale à 18 ans et le nombre de députés a augmenté, passant à 550. Pour être représenté à la Grande assemblée nationale de Turquie, un parti doit présenter un candidat dans au moins la moitié des provinces de la Turquie et obtenir au moins 10% des suffrages sur l’ensemble de la Turquie.
Rôle de l’armée : depuis la fondation de l’État turc moderne par Mustafa Kemal Atatürk en 1923, l’armée turque se perçoit comme la gardienne du kémalisme comme idéologie officielle de l’État, bien qu’Atatürk manifestât la volonté de séparer l’armée de la politique. Les forces armées turques conservent une grande influence sur la vie politique turque et les décisions concernant la sécurité nationale, via le Conseil de sécurité nationale.
Le Conseil de sécurité nationale (Mgk), qui est présidé par le président de la république et par des généraux, commande les diverses forces armées turques, le chef d’état major, le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de la Justice et les vice-premiers ministres. C’est par cette institution que l’armée turque manifeste ses volontés sur les questions intérieures (sur les Kurdes ou le génocide arménien ou sur la laïcité) ou sur des questions extérieures (Chypre, le Kurdistan irakien, l’embargo sur l’Arménie), etc.
En avril 2007, en prévision à l’élection présidentielle du 4 novembre 2007, et en réaction à la politique de l’Akp, majoritaire au parlement, l’armée réaffirma son intention de maintenir intact le principe de laïcité prévalant dans le pays.
Récemment, vers la fin juillet 2011, le chef d’état-major des armées ainsi que les 3 chefs d’état-major des armées de terre, air et mer ont démissionné en bloc, pour protester contre l’ingérence du gouvernement actuel turc dans les affaires internes de l’armée.
A suivre
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