Abdallah Jamoussi écrit – Le débat actuel sur l’identité, qui empoisonne le débat politique, est d’autant plus puéril qu’on n’arrive pas à créer l’identité par une clause constitutionnelle. C’est même contre-productif.
A l’heure où notre pays traverse un moment crucial de son histoire et où les salariés peinent à joindre les deux bouts du mois, sous la coupole du palais de Bardo se décide l’avenir de notre peuple.
Enclavés dans cette enceinte, nos députés dont le souci déclaré est de réaliser les objectifs de la révolution de notre peuple, las d’encaisser des promesses sans provisions. Lui, qui militait du père au fils pour la liberté, la transparence, la dignité et contre les formes d’exclusion et de népotisme, le voilà qu’il se perd au quotidien dans les virages, sans espoir d’atteindre la destination pour laquelle, il refusa de concéder le 13/01/2011 avec la tyrannie d’une pègre.
Il y a bien de quoi se soucier quand il ne reste pour le grand espoir national que des bribes. La situation est d’autant inquiétante, que certaines personnes ne croient plus un mot au discours officiel. «Tous les mêmes ; la corruption n’a pas de remède», qu’ils disent. Pour ma part, je crois que le mal provient du manque de perspicacité ; à défaut d’expérience. Et ce handicap, me donne le frisson d’inquiétude.
Oeuvre de Rachida Amara
L’Assemblée et l’angoisse de «la page blanche»
M’alarmer, c’est trop dire, car la volonté de corriger existe, du fait que nous apprenons du quotidien ‘‘Echourouq’’ du 17 février, que le président de l’Assemblée nationale constituante (Anc) aura sollicité le départ d’une feuille blanche pour l’élaboration de la constitution. Mais en réalité, il y reste beaucoup à faire pour instaurer un climat de détente, d’autant que certaines astuces mal occasionnées tournent souvent à l’aigre.
Je pense à la visite inopportune de ce ténor venu de loin prêcher pour un islam des ténèbres au pays des Lumières. J’ai pris soin d’écouter son sermon. Franchement, la narration est au niveau de la première du primaire et les injonctions meurtrières exhalent le délire. Cependant, compte tenu du nombre venu s’abreuver d’un tel savoir initiatique, concis et insalubre, il y a de quoi s’inquiéter pour une large couche sociale démunie de tout essentiel, et de surcroit, en matière de culture. J’ai discuté avec des jeunes à partir du niveau du Bac et ils m’ont demandé conseil à propos de ce qu’ils peuvent lire en toute confiance. Pour la première fois, j’entends parler de «bouquins toxiques».
La situation porte à croire que nous sommes en panne de repères. La phobie de cette jeunesse est légitime ; notre monde est miné et c’est notre conscience qui est prise pour cible. Le malaise se répand dans tous les azimuts et contamine la qualité de vie. Et pourtant et même, doit-on juguler une crise en lui rappliquant un paravent extrinsèque et sans rapport avec nos problèmes réels ? Ce serait administrer un palliatif pour calmer la douleur et laisser la mort accomplir sa tâche.
Le dédale du débat identitaire
Je me demandais, souvent, si le tollé qu’on soulève à propos du dédale identitaire puisse avoir une quelconque raison d’être. Nos intellectuels ont-ils conscience que l’identité, pour laquelle certains d’entre eux s’apprêtent à livrer bataille, existe déjà dans le dilemme qui les opposent ? Cherche-t-on un objet qui existe sous nos yeux ? Un peu plus loin dans ce sens et nous nous égarerons dans les labyrinthes de l’absurde. Aucun de nous ne se place de bon matin devant le miroir pour s’assurer que son identité ne l’aura pas quitté au cours de son sommeil. On aurait mieux fait de recenser la part de l’universel dans chaque culture, pour comprendre que le virtuel a laissé derrière le temps les frontières des unités disparates.
Ceux qui veulent prouver le contraire n’ont que faire de leur temps. Le monde entier est condamné à la globalisation et la géographie des multinationales et des trusts ne tardera de paraitre. Et cette situation de fait est sans appel. Que nous le voulions ou pas, nous ne pouvons pas imputer ce qui nous arrive à une conjoncture de cuisine interne. Presque tout se joue ailleurs et nous devons encaisser les conséquences.
Tableau vu au microscope : ces convulsions qui secouent notre pays et dont les effets se répercutent sur notre sécurité, ne sont au bout du compte que les fruits amers de plusieurs décennies de désertification intellectuelle en faveur de l’absence de critique. Le système éducatif serait pour beaucoup dans cette vacuité. On pouvait parler, chez-nous, de festivités culturelles et de quelques productions artistiques ou littéraires, mais pas d’œuvres sérieuses – du moment qu’aucun de nous n’avait le droit d’aborder les vraies questions. L’arbitraire faisait que les pouvoirs pouvaient avoir raison de tous ceux qui osaient soulever le couvercle. On avait peur qu’on ne découvre que l’effet attrayant de la façade ne fût que l’œuvre d’un maquillage.
Mais, pour l’heure, est-il séant de s’interroger si ce grand chantier constitutionnel – dispendieux, d’ailleurs – serait à même de réaliser un réel tournant dans notre histoire, alors que les indicateurs de l’arrière-plan de la scène augurent d’une inéluctable division sur les finalités ? Les amorces laconiques qui s’enchaînent à propos du «modèle de société» ne dénotent-elles pas un combat déraisonnable sur un front froid, pour une cause fictive liée à l’évidence ? Est-ce que je me trompe ? Les extrapolations, à ce sujet pourraient sembler tellement absurdes, qu’on devait se demander s’il ne s’agissait pas d’un euphémisme ayant pour objectif de supplanter à notre réalité une façon d’être afférente à une culture venue d’un autre continuum. C’est fusionner deux mondes, afin d’obtenir un hybride, sous prétexte que rien ne vaut l’identité particulière !
L’identité se vit, s’assume et se reproduit en temps réel
Qu’a-t-on à ajouter à ce que nous sommes et dont nous sommes fiers de l’être? Si, au moins, on pouvait le faire sans feu et sans fer ! L’identité ne s’invente pas, ne s’importe pas et ne s’impose pas non plus par un arrêté constitutionnel.
L’identité c’est ce que nous sommes/maintenant, et cette entité se vit, s’assume en se reproduisant en culture en temps réel. Une telle adéquation ne semblerait pas être du ressort de textes descriptifs ou normatifs. La culture est une dynamique propre à chaque peuple. Elle ne fige pas, étant donné qu’elle croît, se développe, vieillit se sclérose, et c’est en se figeant en normes qu’elle meurt.
Je ne citerais, à cet effet, comme exemple, que les civilisations des peaux-rouges, lesquelles coupées du reste du monde devaient rester si pures, si vierges et tellement originales qu’elles durent s’éteindre au premier contact du monde extérieur. Il en était de même pour les anciens empires, lesquels – à force d’admirer leurs suprématies – se seraient éteintes de suite de leur narcissisme. De quel article-arrêté, parle-t-on, à propos de l’identité radicale et pure? J’ai toujours plaidé en faveur de la diversité productive ; puisque c’est grâce à elle que la cité s’enrichit d’un nombre astronomique d’idées, d’expériences et d’initiatives et de modes. C’est dans un univers interactif que les mentalités prospèrent et que l’individu donne le meilleur de lui-même.
Notre société fut en tout temps un vivier de diverses références venues de tout bout du monde. Et il faut dire qu’elle avait connu des mutations, depuis l’indépendance, sans quoi elle n’aurait jamais su survivre ; étant donné la carence de ses ressources naturelles, d’une part, et la fragilité du potentiel humain, de l’autre.
Ce flux qui jaillit de notre vie sociétale
Ce qui m’intrigue n’est pas le fait qu’on discute de notre façon d’être, mais plutôt, cette attitude expéditive que j’observe chez ceux qui, au lieu d’encadrer le dialogue et de l’orienter vers un savoir-vivre ensemble, s’acharnent à en mettre un terme, de telle façon qu’il s’y produise une classe morte. Cherchent-ils à imposer la loi du silence ? Ce serait pour quel but ? Qu’on fasse autant pour la violence, mais pas pour le dialogue ! Je pense qu’on ne me contredirait pas, si je voyais la vitalité de notre société dans la révolution et dans notre façon de composer avec nos différences. N’est-il pas rare de tomber sur un peuple pareil ?
Une vraie aubaine pour comprendre ce qu’est notre culture millénaire. C’est à travers cette jeunesse si rare que je vois l’efficience de notre identité. Et ils sont nombreux, ces jeunes qui rentrent en réciprocité avec leurs détracteurs, avec tact et sagesse et qu’au terme de chaque dialogue, apparait une issue à ce qui nous divise. Voilà en quoi consiste le nouvel apport au profit de notre identité !
Aucun de nous ne pourra arrêter le flux qui jaillit de notre vie sociétale, si jeune, si ambitieuse et mue par une volonté de poser sa pierre à l’édifice de notre histoire. Ce n’est donc pas par une clause constitutionnelle qu’on arrive à créer l’identité. C’est même contre-productif. Il est possible que nous soyons conservateurs en matière de culture ; cela me parait normal. L’Homme est le seul être qui a plus peur de voir sa culture disparaître, que de voir sa propre vie se perdre.
Le moment est grave, et nous sommes en position face à une condition de vie de notre corps social, lequel corps ressemble à notre physique pour qui l’arrêt de l’évolution équivaut sa perte.
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