Rachid Barnat écrit – Un autre faux problème avec lequel Rached Ghannouchi et le parti Ennahdha tentent d’occuper les Tunisiens, qui ont d’autres demandes urgentes.
Un débat intéressant sur la chaîne Hannibal dans l’émission ‘‘La voix du peuple’’. Le thème du jour : «Le devenir de la langue arabe». Présents sur le plateau : hommes de lettres et journalistes.
Voilà un sujet, comme bien d’autres, que mettront sur le tapis Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste Ennahdha, et ses hommes, pour faire diversion sur l’absence d’un réel programme politique et économique à proposer aux Tunisiens en réponse aux objectifs de leur révolution : la langue arabe.
Machiavéliques Ghannouchi & Co
En effet, depuis le retour de leur chef de son exil londonien, les islamistes ont occupé la scène politique, médiatique et publique avec des thèmes comme :
- l’identité ;
- la foi et comment la pratiquer ;
- l’obédience la plus appropriée pour être un bon musulman (wahhabisme, salafisme, etc.) ;
- les tenues vestimentaires pour les femmes (voile, hijab ou niqab) ;
- le capillaire pour les hommes (court ou long, au henné ou naturel) ;
- le statut de la femme ;
- la famille, la polygamie, le mariage coutumier ;
- la bi-nationalité ;
- les filles-mères ;
- la charia comme fondement de la nouvelle constitution.
Or, depuis que la constituante est installée, M. Ghannouchi et ses hommes cherchent à nous occuper par d’autres thèmes de la même veine, comme de la langue que doivent parler les Tunisiens… pendant qu’ils «bricoleront» la constitution selon leur idéologie, puisqu’ils tentent d’imposer la charia en lieu et place de notre bon code civil et de passer en douce d’autres résolutions impopulaires. Alors que durant toute la campagne électorale, M. Ghannouchi et ses hommes assuraient qu’il n’en serait rien. Et pour confirmer la nouvelle image de «modéré» que veut se donner Ghannouchi, il se revendiquera de l'islamisme de son «ami» Erdoğan, Premier ministre turc. Lequel ami lui conseillera l’adoption de la laïcité, faut-il le rappeler ! Machiavéliques Ghannouchi & Co.
Deux positions dominent le débat :
- une position de victimisation de la langue arabe : l’intervenant, homme de lettres, tout en n’étant pas catastrophé quant au devenir de la langue arabe en Tunisie, puisqu’il reconnaît que beaucoup de jeunes et moins jeunes maitrisent très bien la langue arabe, parfois mieux que ceux qui en constituent le berceau ! Sa crainte est que les plus jeunes, utilisateurs des réseaux sociaux et autres technologies de leur époque, délaissent cette langue au profit des langues étrangères : l’anglais, le français…
Il déplore que l’avenir de la langue arabe soit l’oubli si les hommes politiques ne s’en saisissent pas pour décréter l’arabisation de l’éducation, et de l’administration tunisienne… pour préserver cette langue des pollutions étrangères.
La position du journaliste présent sur le plateau semble plus réaliste : il reconnaît que les jeunes massacrent la langue par les outils des réseaux sociaux. Ils n’en maîtrisent plus ni le vocabulaire ni la grammaire, dit-il. Il donne l’exemple des Sms que beaucoup de jeunes utilisent. Mais, reconnaît-il, il n’y a pas que cette langue qui en souffre, puisque c’est le sort du français comme de l’anglais et bien d’autres langues.
Plus réaliste, il met en perspective l’évolution d’une langue et le contexte de ses utilisateurs.
Si les jeunes délaissent une langue pour une autre ce n’est jamais un hasard. Ce sont les technologies et les sciences appliquées qui dictent ce choix. Ce qui est le cas de la langue anglaise.
Maintenant que les pays émergents se développent et commencent à faire de l’ombre aux Occidentaux, sans complexes, beaucoup de jeunes se mettent à apprendre ce qui sera la langue dominante dans un proche avenir : le chinois.
Ce qui l’amène à dire que la langue arabe ne séduit pas tant que ça le monde parce que les pays arabophones sont absents totalement des secteurs technologiques et scientifiques ! Ils n’ont aucune innovation en ces domaines à proposer au monde.
Car s’il est vrai qu’au moyen-âge de l’Occident, correspondant à l’âge d’or de la civilisation arabe, tout le monde parlait arabe pour puiser le savoir et les technologies dont faisaient preuves les peuples arabophones d’alors ; depuis, le déclin de la civilisation arabe ainsi que celui de la lange arabe n’ont cessé de s’accentuer conformément à la règle : «Une civilisation qui ne croît plus, régresse inéluctablement».
Il estime à 2% la contribution de la littérature en langue arabe à la littérature mondiale (Blogger.com). Que dire du reste !
Pour arriver à la conclusion qu’une langue ne survit pas par décret ! C’est aux peuples de la faire vivre par leur génie créatif dans tous les domaines : littéraire, scientifique, technologique, médical… Qui malheureusement manque cruellement au monde arabophone ! On peut même dire que ni la langue d’un peuple ni son identité ne se décrètent ! (‘‘L’identité ne s’impose pas par arrêté constitutionnel’’).
Une langue ne survit pas par décret
A une certaine époque des hommes politiques français se sont inquiétés de l’anglicisme envahissant la langue française. Pour la protéger de cette «pollution» étrangère, ils ont décrété une loi punissant les «contrevenants». Ce fut un échec : car une langue survit par son peuple et non par des lois !
Elle rayonne ou décline en fonction du génie créateur et inventif de ses utilisateurs et aussi par la manière dont elle est enseignée. Or l’arabe et le français sont mal enseignés. Ben Ali a peu à peu détruit l’éducation nationale en favorisant outrageusement le privé. Aucun élève ne parvenait à de bons résultats sans cours privés. Source d’inégalités et d’injustices évidentes !
Si, cependant, les Tunisiens, grâce au savoir, ont pris une bonne longueur d’avance sur les peuples qui fascinent tant M. Ghannouchi et ses hommes, il n’est pas certain qu’ils la conserveront ! Ils risquent même de la perdre quand on connaît le programme d’Ennahdha qui veut imposer le modèle wahhabite aux Tunisiens, pour les replonger dans un obscurantisme moyenâgeux régi uniquement par l’interdit. Ou le licite (halal) et l’illicite (haram).
Quand on sait le niveau où se trouvent les Saoudiens et les peuples où les Ibn Saoud ont déjà exporté leur modèle religieux et sociétal (Afghanistan, Pakistan, Soudan, Somalie…), on ne peut que s’inquiéter sur le devenir, non de la langue, mais du peuple lui-même que des islamistes, plus royalistes que le roi, veulent soumettre par décret à une identité arabo-musulmane conforme à celle des Saoudiens !
Qu’ont fait les Saoudiens de leur bannière arabo-musulmane ? Ils sont la risée du monde entier pour leur régime totalitaire d’un autre âge, barbare où les châtiments corporels moyenâgeux sont de rigueur.
Autrement dans quel domaine technique, industriel ou scientifique les Saoudiens se sont-ils distingués, pour donner à d’autres peuples l’envie de brandir eux aussi la bannière identitaire arabo-musulmane ?
La théorie de Noam Chomsky
A choisir, un jeune tunisien revendiquera son identité tunisienne plutôt qu'un vague générique arabo-musulman, si tant est qu’il doute de son identité (‘‘Les Tunisiens, leur identité plurielle et leur nouvelle constitution’’ !
Donc encore un faux problème qu’Ennahdha veut exploiter dans un but électoraliste, en faisant du populisme.
A moins que ce parti n’ait décidé d’appliquer la théorie de Noam Chomsky : «Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser…, laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté…».
A bon entendeur.