Il s’appelle Foued Lâjili et a vingt-six ans maintenant. C’est encore un blessé de la révolution. Les balles qui l’ont blessé, n’ont pas eu raison de son amour.

Par Dr Lilia Bouguira


Ce matin, je veux rester dans la joie…

Parce qu’il est du ressort de certains d’être maîtres de leur destin.

Parce qu’il y a des jours qui ne se lèvent que sur de la lumière et de la beauté.

Parce que, par certains matins, la nuit n’a plus lieu d’être et que l’espoir siffle au pas des morts nés.

Je sais, je fais trop long, aux limites du lassant, mais s’il vous plait, que ceux qui n’aiment pas quittent sur la pointe des pieds.

Je sais je n’aime ni la soie ni le velouté, mais l’appel de la terre est des fois si puissant que je m’oublie.

On ouvre la porte de la prison… Et on tire sur les fuyards

Il s’appelle Foued Lâjili et a vingt-six ans maintenant. Oui c’est encore un blessé de la révolution. Il me tient la main, se coltine à mon bras et raconte. Je ne me raidis pas, je laisse faire parce que la digue va sûrement l’emporter.

Nous sommes le 15 janvier 2011, Zaba a pris la poudre d’escampette mais le destin continue à s’en mêler.

Les ouvriers d’usines à Messaddine reprennent le chemin du retour tôt pour cette journée sans lendemain. Ils se sont faits payer la semaine et ont hâté le pas, le couvre feu est dans quelques heures. Soudain, le ciel arrache un cri puis un autre puis un autre. La plaine n’est plus à perte de vue que cris hurlements et pleurs. Des femmes, des hommes courent sans s’arrêter. Des balles sifflent de partout. Les portes de la prison de Messaedine sont ouvertes. Des taulards sont abattus de plein fouet alors qu’ils couraient vers la sortie le diable à leurs trousses. Des hommes sans face, des chiens, des charognards leur ont ouvert les portes, mis le feu dans leur sommier au «chambri» surpeuplé puis les ont pointés de leurs fusils pour les obliger à quitter, puis commencent à les abattre de sang froid.

Le chaos est un moindre mot.

Dieu ne fait plus mais l’homme fait.

Pourquoi la balle est de devant?

L’homme sans «h» a encore couru vers cet autre enfant de moins de vingt ans, sa maman me baise les mains pour l’aider en hurlant: mon fils, il lui restait une semaine pour ce vol de moto… Mon fils ne voudrait jamais s’échapper, il ne le voulait pas, et quand il a refusé de courir, une balle l’a atteinte en pleine face, en plein dans le cou, dans l’os hyoïde. Or, on ne fuie pas en reculant, alors pourquoi la balle est de devant?

Je pense à notre prophète Youssef et la femme du Aziz le souverain…

Je pense à tout cela mais je n’ai pas de mot. Je me sens moins que rien.

Je me sens bête et inutile, incompétente et frustrée.

Mon Dieu! Comme je fais long et combien je m’éloigne du sujet et je me fais pleurer. De plus, je vous avais promis de la joie et des rires…

Foued a l’habitude de cette zone industrielle et puis c’est par-là qu’elle passait chaque jour avec son groupe d’amies pour rentrer.

Foued guette sa sortie de l’usine Léoni, traîne la patte pour la rencontrer sans lui parler.

Il reste encore dans ces contrées traditionnelles une pudeur hors pair, du platonique je dirai.

Ce qui est fabuleux dans la vie c’est que nos yeux nous trahissent à chaque feinte.

Ce qui est encore plus fabuleux c’est que dans les choses de l’amour, c’est pas très compliqué. Il suffit d’un regard, d’une affinité et les différences s’estompent par coup de magie ainsi que les interdits.

Le miracle de l’amour de Foued et de K

Foued était dans ses pensées lorsqu’il entend la déflagration. Son cœur bat, ses veines turgent dans son gosier. Il hurle «K» et court comme un fou pour l’attraper. Une balle atteint K de plein fouet à la jambe, une autre en plein cœur s’il ne l’avait pas retournée.

Mais Foued est aussi visé…

Une balle en plein genou le déflagre. Il chancèle, se retient mais choisit malgré lui de tomber sur sa K pour mieux la protéger.

Foued reste dans cette position au creux de sa bien-aimée entre la vie et la mort. Tous deux sont inanimés. Les suites sont fatales, rapidement dirigées vers les urgences où K sortira en premier, une boiterie et une balle dans le côté extirpé sans grande difficulté. Foued, lui, est amputé.

Ce qui est imprévisible dans la vie ce sont les coups du destin.

Ce qui le rend plus supportable c’est notre capacité de nous adapter, de faire avec et d’aimer.

Oui l’amour sous toutes ses formes et rien que l’amour qui régit nos vies. Celui d’une mère pour son enfant, d’une sœur pour son frangin, d’un frérot dans la douleur et j’y reviendrai, d’une épouse ou mieux encore d’un amoureux pour sa dulcinée, mais cette fois, l’amour sous les balles de Zaba, ce forcené.

Nous arrivons encore à en rire lorsque nous devrions en pleurer comme par ce bel après-midi chez Dilou dans son ministère-cimetière où les rêves ne sont plus damnés parce qu’on arrive encore à se raconter, à se lever et marcher.

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